Marketing des services sur les métavers, Consommation hédoniste

Marketing des services sur les métavers, Consommation hédoniste

II. De la cible marketing ou comment profiter de ces mondes utopistes pour créer une relation idéale avec le bénéficiaire du service

Internet depuis sa création, est le lieu d’expression de nombreuses utopies : libre circulation, libre expression… l’imaginaire internet renvoie à de nombreux thèmes de l’univers culturel américain : celui de la frontière qui incline à voir dans le cyberespace un territoire à conquérir, celui de la communauté ou encore de la liberté individuelle.

Second Life renvoie à des imaginaires de type utopiste : faire des choses qu’il serait difficile, voire impossible de faire dans la réalité, comme voler, changer de sexe, s’offrir une villa en bord de mer, se déguiser… ces conditions qui participent du succès de Second Life s’inscrivent dans une consommation hédoniste, à l’intérieur d’un monde entièrement consacré à l’accomplissement des désirs des résidents. Une véritable aubaine pour les acteurs du marketing.

A. Une consommation hédoniste

Premier besoin de l’avatar : son plaisir : un jeu pour un « je ».

Nous pensons avec le sociologue Serge Soudoplatoff109 que si jeu il y a sur Second Life, il s’agit en fait d’un jeu de consommation hédoniste. Car enfin (chose qu’il ne dit pas) le seul besoin d’un avatar qui ne connaît aucune des contraintes qui affligent les humains de la première vie (un avatar n’a pas besoin de se nourrir, de se vêtir pour affronter le climat, de dormir,…) est de satisfaire le bon plaisir de la personne qui se cache derrière l’avatar, soit un consommateur hédoniste.

Le sociologue perçoit dans Second Life « une expérience marchande hédoniste », et explique le succès des mondes virtuels comme Second Life par une quête intérieure de « réconciliation » avec soi-même entre deux tendances contradictoires de notre société contemporaine : l’hyper rationalisation qu’il associe au cerveau gauche et l’hédonisme, cerveau droit (qui est aussi la sphère de l’intuition et de la beauté). Nous nuancerons son propos en rappelant que d’autres confrères voient au contraire là, une montée de l’irrationnel dans notre société contemporaine.

La tendance des résidents à auto-sublimer leur apparence et leur environnement (sur des îles qui ne reproduiraient à l’entendre que la beauté) conduirait – selon Serge Soudopatoff- à créer les conditions d’une consommation hédoniste, une consommation bien marchande. Ce qui lui fait dire que « l’expérience hédoniste se trouve dans l’expérience marchande ».

Il fait, à cet égard, le parallèle avec une tendance qu’il a observé dans la vraie vie, dans les nouveaux centres commerciaux comme celui d’Edmonton au Canada110. Le « shopping » serait dans ces lieux « un accompagnement, un sous-produit de la culture hédoniste ».

Le parallèle que fait Serge Soudoplatoff avec les grands centres commerciaux qui ressemblent plus à des parcs d’attractions qu’à nos traditionnelles grandes surfaces, est repris par un spécialiste de la marque : Dr. Nils Andres, directeur de l’agence Komjuniti, (agence allemande).

Il a étudié le rapport de satisfaction des résidents avec les marques de la première vie.111 Il préconise aux marques qui souhaitent se positionner dans Second Life d’observer ce qui se passe dans les centres de loisirs et d’attractions.112

Serge Soudoplatoff conclut que Second Life est certainement la « plateforme de relations sociales, la plus novatrice actuellement » dans la mesure où elle « ajoute du rêve aux forums sur internet, qui sont plein d’empathie et d’humour mais qui manquent d’une autre dimension ».

Il constate aussi que Second Life « tire le meilleur parti du Web d’aujourd’hui : des interactions horizontales, sans qu’un opérateur vienne s’intercaler entre les internautes, et une créativité qui s’exprime dans le réseau, avec une zone de chalandise qui a explosé grâce à Internet ». 113

Si tout est recherche du plaisir sur Second Life, tout invite à consommer pour soi. La consommation a alors deux finalités : expérimenter des sensations et s’offrir une vie que l’on ne pourrait s’offrir dans la première vie. On peut certainement voir dans cette consommation le phénomène adulescent de notre société contemporaine occidentale qui refuse de vieillir.

Si l’âge moyen sur Second Life n’a rien à voir avec les réseaux sociaux peuplés d’adolescents comme Habbo Hotels et Myspace, on y joue avec son avatar et c’est particulièrement vrai de la gestion de l’apparence de son avatar qui rappelle le jeu de poupées des petites filles. Parce que l’on vit en réseau, c’est-à-dire que l’on vit au vu et au su de groupes auxquels on appartient, l’apparence de l’avatar est primordiale.

Nous avons vu des personnes – des avatars féminins notamment – passer des heures à leurs toilettes avant de rentrer en relation avec d’autres avatars. Certaines d’entre elles changent de tenues à chaque connexion et en fonction du lieu où elles se rendent, n’hésitent pas à changer de tenues plusieurs fois au cours de la même connexion.

Elise Lovenkraft nous a personnellement posé bons nombres de soucis par rapport à son apparence et nous avons consacré des heures à chercher à faire évoluer son image. Cette activité aussi « chronophage » soit-elle, peut s’avérer également coûteuse pour l’achat d’une tenue, d’un accessoire, d’une coupe de cheveux… Les avatars sont prêts à tout pour faire évoluer l’apparence de leurs avatars (rappelons que chaque adhérent à Second Life peut construire autant d’avatars qu’il le souhaite).

Certaines marques RL ont su tirer partie de ce besoin. C’est le cas de L’Oréal que nous avons retrouvé par hasard sur l’île des « greenies Homme rezzable » , un univers fantasmagorique qui ne ressemble en rien à notre planète bleu. Il est peuplé de petits hommes verts, les greenies et les éléments du décor ont des proportions telles que les avatars ont la taille de souris.

Pour distinguer quoi que ce soit dans cet univers plongé dans l’obscurité, il est nécessaire de prendre de la hauteur en prenant son envol. Guidée par une amie avatar, nous avons dû monter sur une immense chaise sur laquelle se trouvait un sac à main et un nécessaire de maquillage.

Un clic sur le rouge à lèvre géant permettait de récupérer gratuitement, pour son avatar, des textures de maquillage L’Oréal, aux noms évocateurs : « Vintage Glamour », « Scarlett », « Plum Perfect »,…

B. Des résidents en attente des marques

L’article de Stratégies114 sur les mondes virtuels du 12 octobre 2006, a été un des premiers articles de synthèse à faire part du rapport entre les marques et les mondes virtuels. Le journaliste, qui a interrogé, pour son enquête, plusieurs directeurs d’agence implantés dans ces mondes, rapporte les propos de Pascal Dasseux, directeur général de Media Contacts France.

Celui-ci fait référence à une étude américaine qui déjà atteste de l’attitude favorable des résidents face aux marques : « Une récente étude de notre agence américaine montre que les joueurs ne sont pas opposés à la présence des publicités dans leur jeu. Au contraire, ils déclarent se sentir mieux dans un environnement recréant au plus près le monde réel »

On ne peut que s’étonner que des résidents passant de longues heures sur des mondes virtuels – certains sur Second Life se font appeler les « No Life » tant ils se retrouvent déconnectés de la première vie – n’aient pas d’avantage d’a priori, voire de rejet vis-à-vis de la publicité et de la présence de marques.

Les amateurs des marques sur Second Life n’appartiennent pas à la génération spontanée, celle des résidents particuliers qui construisent leurs environnements. L’idée est confirmée dans une autre étude, celle menée en mars 2007 par Repères, agence implantée dans Second Life dont les résultats ont été communiqués dans le magazine CBNews du 16 avril 2007.

L’article titrait «Second Life: les avatars sollicitent les marques ». L’étude menée du 13 au 18 mars 2007, auprès de 1 085 avatars respecte en proportion l’équilibre de la fréquentation internationale sur Second Life à l’époque : 24% d’Américains, 12% de Français, 12% de Hollandais, 10% de Britanniques, 5% de Canadiens, 5% d’Allemands, les autres nationalités représentent 32%.

Les répondants se sont déclarés à 42 % comme « débutants », 46% comme « confirmés », 2% comme « experts » dans Second Life. 25 % des répondants passaient en moyenne 5 heures, chaque semaine, 26% entre 6 et 10 heures, 23% entre 11 et 20 heures, 16 % entre 21 et 40 heures, 10% plus de 40 heures.

Le premier résultat de cette étude, entièrement consacrée à l’analyse du rapport des résidents avec les marques de la première vie, est extrêmement encourageant pour les marques puisque leur présence est perçue positivement par une large majorité des résidents (66%).

François Abiven, Pdg de Repères commente les résultats : « On ne constate pas d’effet de saturation ou de rejet. Au contraire, les avatars sont plutôt en attente de la présence des marques, 45% des répondants souhaitant qu’il y en ait davantage, contre 13% qui estiment qu’il y en a déjà trop. » L’origine de cette attitude d’ouverture est pour lui, inscrite dans les gènes du monde virtuel : « S’opposer radicalement à la présence des marques ou vouloir les interdire est de toute façon contraire à l’esprit dans lequel a été conçu cet univers, qui est avant tout ouvert ».

109 Serge Soudopatoff est un sociologue passionné par Internet. Il est l’auteur d’un blog sur le sujet intitulé « la rupture Internet » : http://www.almatropie.org/blgg/

110 800 boutiques, une piscine, une patinoire, un parc d’attraction, des cinémas, des restaurants et même un terrain de golf.

111 Résultats de l’enquête Komjuniti publiés dans le journal OpenPR : First customer satisfaction survey in Second Life – insufficient customer care and opportunities for interaction between Second Life users and companies identified as the main weakness, 4/04/2008

http://openpr.com/news/17221/First-customer-satisfaction-survey-in-Second-Life-insufficient-customer-care-and-opportunities-for-interaction-between-Second-Life-users-and-companies-identified-as-the-main-weakness.html

112 “Experiences and learning effects from real-world leisure and pleasure parks could serve as a very useful basis for planning for manufacturers”, extrait de l’article OpenPR, ibid.

113 Interview de Serge Soudoplatoff par Solveig Godeluck pour Les Echos du 4 mai 2007.

114 Mondes virtuels, profits réels, Stratégies, 12 octobre 2006, p.18.

Les chiffres qui temporisent ces résultats sont d’une part celui des « indifférents à la présence des marques dans Second Life » : 42 % – chiffre qui tend à prouver que les expériences de marques sur Second Life menées jusqu’ici n’ont pas bouleversé les esprits ; et d’autre part, le chiffre qui atteste du business des marques de la RL sur Second Life : seuls 17% ont déjà acheté un produit d’une marque de la vraie vie, 32% indiquent que cela ne les intéresse pas.

Des chiffres que F. Abiven explique par le fait que les avatars préfèrent les produits vendus par les résidents que ceux distribués dans les lieux de vente développés par les marques.

Cet état de fait nous permet de dire que les transactions sur Second Life sont essentiellement relationnelles. On achète peu dans les boutiques, show-room désert d’avatars (c’est la raison pour laquelle elles sont désertées), on échange plus facilement entre avatars. Le lien est comparable à celui qui se crée sur les marchés populaires des villes.

On achète plus facilement à une personnalité, une personne qui vous hèle « Il est beau mon poisson ! » que dans un rayon d’un super marché. Il en va de même sur un métavers.

Tout comme nous avons vu qu’une des caractéristiques de ces mondes était de recréer de l’humain dans nos échanges numérique sur Internet, nous pensons que le type de commerce sur Second Life ne peut être industriel, il peut simplement s’effectuer via l’objet virtuel.

Il passe toutefois, la plupart du temps, par la relation directe entre deux avatars et par conséquent entre deux personnes.115

L’étude révèle également que l’enthousiasme à l’endroit des marques est proportionnel à l’ancienneté de l’avatar sur Second Life : plus l’avatar a de l’expérience sur Second Life, moins il s’intéresse aux marques, tandis que les nouveaux y voient un surcroît de réalisme et donc un atout pour le « jeu ». La présence de la marque pérennise celui-ci et permet « de se rapprocher de la RL en lui donnant du réalisme ».

La présence des marques ferait donc vivre Second Life en faisant d’elles des garantes d’un réalisme que les résidents ont fuit dans un monde synthétique, c’est là encore un paradoxe et non des moindres que nous apprend Second Life sur les métavers.

C. Mais des résidents qui ne se sentent pas reconnus par les marques

Si les marques font vivre Second Life, elles passent bien souvent, faute d’expérience, à côté des besoins des avatars et en particulier négligent leur besoin d’interaction. Autant l’enquête Repères-CB-News montrait l’enthousiasme des résidents pour les marques en 2007, autant celle de l’agence allemande Komjunuti révèle, un an plus tard, leur déception.

C’est ce que nous apprend l’enquête sur la satisfaction des consommateurs sur Second Life, publiée sur le site OpenPR, worldwide Public Relations, le 4 avril 2008.116. L’agence a interrogé 200 utilisateurs de Second Life sur leur satisfaction vis-à-vis des produits et de l’offre des marques de la première vie à l’intérieur de la communauté virtuelle.

Les résultats de l’enquête relativisent beaucoup ceux de l’agence Repères un an plus tôt. 72% des sondés ont exprimé leur désappointement devant les activités des marques sur Second Life.

Le tiers a déclaré ne pas être au courant de la présence des marques sur Second Life et pour ceux qui l’était, ce n’était pour eux qu’un effet de mode. Seulement 7% considèrent que cette présence a une influence positive sur l’image de la marque et sur leur décision d’achat.

Les participants ont exprimé leur envie d’interagir avec les marques, ils sont d’autant plus enclin à le faire, qu’ils se sentent protégés par leur anonymat, ils peuvent donc facilement s’investir dans une relation avec la marque sans se sentir menacés dans leur identité de consommateur dans la vraie vie.

L’inexpérience des marques qui ont du fermer leurs îles, faute de trafic, aurait laissé une mauvaise impression aux utilisateurs, même lorsque certaines marques ont tiré leur épingle du jeu d’un point de vue trafic, le fait même de quitter Second Life leur prouve que d’autres utilisateurs s’étaient détournés de leur offre.

D. Marques et résidents : s’inscrire dans une relation à long terme

La désertion, tant des résidents de Second Life des îles des marques, que des marques de Second Life, montre que les opérations de relations publiques des marques ont fini par lasser.

115 Pour poursuivre dans l’analyse du type de commerce qui a lieu dans les mondes virtuels, un parallèle pourrait être fait avec les résultats de les travaux d’Emmanuelle Lallement : « Au marché des différences. Barbès ou la mise en scène d’une société multiculturelle : ethnologie d’un espace marchand parisien ». Thèse de doctorat, Ethnologies, EHESS, 1999.

116 Résultats de l’enquête Komjuniti en pdf : http://openpr.com/pdf/17221/First-customer-satisfaction-survey-in-Second-Life-insufficient-customer-care-and-opportunities-for-interaction-between-Second-Life-users-and-companies-identified-as- the-main-weakness.pdf

117 First customer satisfaction survey in Second Life- insufficient customer care and opportunities for interaction between Second Life users and companies identified as the main weakness, 4/4/2008, OpenPR : http://openpr.com/news/17221/First-customer-satisfaction-survey-in-Second-Life-insufficient-customer-care-and-opportunities-for-interaction-between-Second-Life-users-and-companies-identified-as-the-main-weakness.html : “The aim has to be to build communities around Second Life sites and look to serve them over the long term. Manufacturers of brands therefore need to develop holistic concepts that take in the active involvement and management of Second Life users, guarantee long-term content management and therefore allow communities of Second Life inhabitants to grow organically. One-off promotional initiatives are punished over the long term with a lack of attention by Second Life users and can provoke a negative consumer backlash effect on the brands in real life.”

Il s’agirait maintenant pour les marques sur Second Life de construire une relation à long terme avec les résidents, à défaut de quoi la marque risquerait d’être rejetée dans la vraie vie aussi. C’est en tout cas l’observation qu’en fait l’expert en stratégie de marque, Dr. Nils Andres, de l’agence Komjuniti.117. Voyons comment peut s’instaurer cette relation sur un métavers et comment, si possible, y établir une stratégie e-marketing.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Approches de deux marques de services dans Second Life
Université 🏫: Université De PARIS IV – SORBONNE CELSA - Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Auteur·trice·s 🎓:
Brunet Sylvie

Brunet Sylvie
Année de soutenance 📅: Mention : Information et Communication - Promotion 2006
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