L’insécurité juridique actuelle, la maternité de substitution

Une convention (de gestation pour autrui) dont l’illégalité est contournée par les parties – Section I :
II – La contrariété des systèmes juridiques favorisant la fraude
B – Le maintien d’une interdiction injustifiée ?
3 – L’insécurité juridique actuelle : une zone de non droit
Les maternités de substitution qui ont toujours existé continueront d’être; simplement la pratique sera rejetée dans une zone de non droit. Nous regrettons que les femmes qui décident de se porter candidates à la maternité de substitution ne puissent le faire sous la protection du droit national. Cette carence génère des effets comparables à ceux que produisait la pratique illégale des avortements, avant que la loi de 1975 ne légalise l’interruption volontaire de grossesse : l’insécurité, notamment médicale et juridique, dans laquelle sont accomplies ces techniques, ainsi qu’une sélection des couples bénéficiaires fondée sur leur moyen financier180.
Nous pourrions imaginer un système avec des contrôles permanents, à savoir des examens psychologiques et médicaux des parties, l’intervention d’avocats pour rédiger les contrats, le tout sous l’autorité d’un juge. La clandestinité, qui n’offre aucune garantie contre le risque de dérive commerciale, justifie probablement l’intervention législative.
4 – L’intérêt des personnes en cause
L’admission de la gestation pour autrui ne peut être souhaitable que dans le respect de l’intérêt et des droits de chacun.
Le couple peut être en mesure soit de fournir la totalité, soit la moitié du patrimoine génétique de l’enfant. Leur situation ne commande pas d’examen particulier car les actes médicaux auxquels ils devront se soumettre ne diffèrent pas d’une insémination artificielle ou d’une FIV. Toutefois, la gestation pour autrui permet de pallier certaines formes de stérilité féminine en raison d’une absence d’utérus ou déformation chez les filles Distilbène181, de conséquences de cancer ou résultant d’une hystérectomie, des fausses couches répétées, une contre indication médicale à la grossesse ou de nombreux échecs de FIV. Dans ce cas, on implante les gamètes des parents génétiques dans le ventre de la mère porteuse.
Pour Geneviève DELAISI DE PERSEVAL182, son interdiction est illogique et injuste183, alors que la loi française prend en compte la souffrance que procure l’absence d’ovocyte. Celle qui reçoit dans son cabinet de nombreux patients nés sous IAD (insémination avec tiers donneur) a estimé que « le don de gamètes pèse plus lourd d’un point de vue psy que le fait d’avoir été porté par une autre femme ». Dans les pays où la pratique est autorisée, aucun élément ne laisse penser que la gestation pour autrui pour convenance personnelle soit une réalité.
Par ailleurs, un autre argument favorable à cette pratique est la certitude apaisante pour le couple stérile de ce que l’enfant porté en utérus tiers n’en sera pas moins leur véritable enfant génétique puisque conçu à partir de leurs propres gamètes.
Concernant l’enfant, dans la mesure où, à l’instar des techniques actuellement permises, la gestation pour autrui a pour objectif le développement de l’embryon jusqu’au stade du fœtus, puis d’enfant à naître, il semble qu’elle ne pose pas davantage de questions morales que l’ensemble des techniques permises, avec les procréations hétérologues. L’enfant né grâce à un don de gestation connaîtra une histoire prénatale marquée par l’intervention d’une mère utérine, qui ne sera pas la mère génétique ni sociale, tandis que les enfants conçus grâce à un don d’ovocyte connaissent une histoire prénatale marquée par l’intervention d’une mère génétique qui n’est pas la mère utérine et sociale. Ici, la maternité se trouve dissociée entre la mère biologique et la mère utérine et sociale alors que dans le don de gestation, elle est partagée entre la mère utérine et la mère biologique et sociale. Contrairement au don d’ovocyte ou de sperme, le don de gestation permet une concordance entre l’identité légale et l’identité génétique de l’enfant, ce qui évite les souffrances et les difficultés techniques liées au « secret des origines »184.
D’ailleurs, le Professeur FRYDMAN (gynécologue-obstétricien des hôpitaux de Paris) propose d’envisager à titre expérimental le don dirigé (dons de gamètes entre personnes connues) dans le cadre de la procréation médicalement assistée et de faire un constat à l’issue de quelques années185. En comparaison avec la gestation pour autrui, il semble réellement que les conséquences psychologiques seront moins lourdes pour un enfant qui connaîtra ses origines personnelles et la manière dont il a été conçu et porté, plutôt qu’un enfant qui a été porté par sa propre mère mais qui ignorera toute sa vie son origine biologique paternelle.
L’enfant procréé, recherché avec acharnement par le couple demandeur, a plus de chance d’être un enfant heureux que beaucoup d’autres conçus à l’intérieur du couple et qui doivent parfois grandir dans un milieu familial peu favorable186. D’ailleurs de nombreux arrêts ont été favorables à l’adoption dans l’intérêt de l’enfant.
Enfin, au nom des arguments favorables à cette pratique, relativement à la mère utérine, il y a l’idée de solidarité entre les femmes stériles animées par un dèsir d’enfant et les femmes qui acceptent d’accéder à ce dèsir. Si le principe d’indisponibilité du corps humain n’est plus raisonnablement soutenu aujourd’hui, des opposants à la gestation pour autrui invoqueront l’incontournable principe du respect du corps humain. Or si le respect du corps humain passe par la non-patrimonialisation, il n’implique pas le refus du don, preuve en est la reconnaissance du don d’organes et de produits du corps humain. C’est pourquoi la terminologie don de gestation ou gestation pour autrui est préférable au prêt ou à la location d’utérus, car elle ne comporte aucune connotation matérielle et sous entend la générosité, le sentiment d’altruisme qui motive ce geste lorsqu’il est fait à titre gratuit187.
A ce titre, l’anthropologue Helena RAGONE, internationalement connue pour ses travaux sur la question, cite les propos d’une « surrogate » âgée de 30 ans, mariée, deux enfants : « Ce bébé n’est en aucun cas le mien. Je lui ai fourni l’environnement nécessaire pour qu’il puisse naître et qu’il soit rendu à son papa et à sa maman. C’est une forme facile de baby sitting188». Déjà, dès le milieu des années 1980, une partie de la doctrine a exprimé son sentiment de sympathie envers la gestation pour autrui. M. SERIAUX écrivait en 1990 : « Il est permis d’estimer cette pratique parfaitement légitime ; elle est même louable189 ».
De plus, il faut dénoncer une incohérence. Cette femme empêchée par la loi de donner, avant sa grossesse, à un couple agréé par elle l’enfant qu’elle portera, moyennant équitable récompense, possède par contre le droit discrétionnaire de l’abandonner, une fois né, au hasard des établissements ou du service de l’ASE, ou pis encore de recourir à une interruption volontaire de grossesse pendant les douze premières semaines190.
Enfin, la situation psychologique de la femme n’apparaît pas comme un risque dès lors que son consentement a été donné librement et de manière éclairée. En effet, l’attachement intra- utérin de la mère et l’enfant n’est pas lié à la biologie. Une femme enceinte s’attache psychologiquement à son enfant car elle se projette avec lui dans le futur, par exemple, elle lui choisit un prénom, elle imagine son visage…Il s’agit de l’attachement prénatal. Mais, dans la gestation pour autrui, il n’y a pas d’attachement au fœtus car la mère gestationnelle ne
se projette avec lui puisqu’elle sait que ce n’est pas son enfant. A l’inverse, la mère intentionnelle vit une « grossesse psychique » et l’attachement se fait ici191. Il en va peut être de manière un peu plus complexe du risque physique, non négligeable, qu’entraîne une grossesse et un accouchement. Mais la prise de risque ne relève t’elle pas au demeurant de la volonté de chacun ?
Il résulte de cette première partie que le droit français a tout organisé pour dissuader la pratique de la gestation pour autrui.
Les juges prononcent la nullité du contrat sur le fondement des principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, qui sont aujourd’hui critiquables. Mais, le refus de l’adoption ne dissuade pas les couples d’y recourir et les sanctions pénales s’avèrent inefficaces. Le couple intentionnel parvient à ses fins par tout moyen, notamment en se déplaçant dans les pays où cette pratique est autorisée. Aujourd’hui, rares sont les commentateurs qui approuvent le maintien de la solution actuelle, tel l’arrêt récent du 9 décembre 2003 (192). On souligne plutôt que les conditions de l’adoption sont parfaitement respectées alors même que la maternité de substitution est illicite.
Cette prohibition injustifiée a pour conséquence d’ignorer l’enfant issu de cette pratique qui se retrouve dans l’état de victime puisqu’il est dans l’impossibilité d’établir sa filiation maternelle. Or, comment un contrat nul peut il nuire à un tiers ? N’y a-t-il pas une incohérence ?
Lire le mémoire complet ==> La convention de gestation pour autrui : Une illégalité française injustifiée
Mémoire présenté et soutenu vue de l’obtention du master droit recherche, mention droit médical
Lille 2, université du Droit et de la Santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et économiques et de gestion
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181 Du nom de ce médicament pris en France par 160000 femmes enceintes entre 1950 et 1977. Le risque de malformations génitales et de cancers augmente chez les enfants dont les mères ont été traitées au Distilbène.
182 La « gestation pour autrui » en quête de légitimation, site Internet : http://www.liberation.fr
183 De nombreux témoignages sur le site de l’association Maia montre cette injustice et la nécessité de recourir à la gestation pour autrui à l’étranger.
184 DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.), « Le secret des origines », Colloque international, décembre 1998, Secret et justice, Publication de l’espace juridique, Lille, 1998, p. 185 et suiv.
185 FRYDMAN (R.), Dieu, la médecine et l’embryon, éd. Odile Jacob, 1999, p. 209.
186 Cf. par exemple, RUBELLIN-DEVICHI (J.), « Congélation d’embryons, fécondation in vitro, maternité de substitution. Point de vue d’un juriste », Génétique, Procréation et Droit, Paris, Actes sud, Hubert Nyssen éditeur, p. 315 et note 31 : « Ce n’est vraiment pas l’intérêt de l’enfant qui conduirait à proscrire le recours à des mères de substitution (…). Le risque d’être maltraité ou abandonné existe certainement beaucoup moins pour ces enfants ardemment dèsirés que pour ce qui naissent sans avoir été voulus ».
187 DEPADT-SEBAG (V.) et DELAISI DE PERSEVAL (G), « La gestation pour autrui peut elle devenir une indication d’assistance médicale à la procréation » in Les cahiers du CCNE pour les sciences de la vie et de la santé, n° 461, préc., janv-mars 2006, p 49.
188 RAGONE (H.), Surrogate Motherhood : Conception in the heart, Oxford, West view Press, 1994.
189 SERIAUX (A.), J.C.P.1990.II.21526.
190 V. « La querelle des mères porteuses », site Internet : www.perso.wanadoo.fr/max-christian.ducomte/mere/
191 Il y a peu de travaux sur ce sujet, toutefois Mme Laure CAMBORIEUX, Présidente de l’assosciation Maia et étudiante en psychologie, est actuellement en train de rédiger un rapport.
192 MASSIP (J.), POISSON-DROCOURT (E.), J.C.P. 2004, n° 28, p.1999.

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