L’enfant issu des conventions de gestation et le droit français

Une convention dont l’illégalité nuit au tiers : l’enfant – Section II –
Le droit français ignore l’enfant issu des conventions de gestation pour autrui (I), ce qui amène nécessairement à réfléchir sur l’élaboration d’un statut pour cet enfant (II).
I – L’indifférence du droit français à l’égard de l’enfant issu des conventions de gestation pour autrui
Le droit français ignore l’enfant issu des conventions de gestation pour autrui (A), ce qui semble contraire aux conventions internationales (B).
A – La volonté affichée du droit d’ignorer l’enfant
En effet, la politique législative du XXème siècle est fondée sur l’occultation de la vérité (1), ce qui a pour conséquence de sacrifier l’enfant au nom de l’intérêt général (2). Certains juges ont tenté de faire primer l’intérêt de l’enfant avant toute autre considération, mas ces arrêts furent cassés par la Cour de cassation (3). Il en résulte que la situation actuelle de l’enfant issu des conventions de gestation pour autrui est comparable à celle de l’enfant adultérin avant 1972 (4).
1 – La politique législative du XXè m e siècle
Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ s’interroge sur une législation largement fondée sur l’occultation de la vérité. Elle remarque que le législateur du XXème siècle organise sciemment des filiations mensongères et érige en délit passible d’emprisonnement et d’amende la recherche de la vérité193. Ainsi, est puni par le Code de procédure pénale la recherche de l’identification génétique d’une personne sans autorisation judiciaire (art. 226-28) ou le fait de divulguer une information permettant d’identifier l’identité d’un donneur de gamètes ou du couple receveur (art. 511-10). Mais ses sanctions sont cohérentes avec le renforcement de l’anonymat dans les filiations : anonymat de l’accouchement sous X, anonymat des procréations assistées hétérologues. Avec les lois du 29 juillet 1994, le consentement du donneur et des receveurs suffit à créer un état factice pour l’enfant. Cette constatation met à mal le principe de l’indisponibilité des personnes sur lequel s’était fondée la Cour de cassation pour interdire les conventions de mère porteuse. Notons que paradoxalement, le renforcement de l’accouchement sous X favorise la fraude et la persistance des pratiques de mères porteuses.
Mais, ce bouclage des filiations factices dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation est en totale incohérence avec notre droit de la filiation fondée sur la vérité biologique194. Or, pourquoi le législateur a-t-il adopté une telle attitude ? La réponse est le retour en force de la filiation sociale par rapport à la filiation biologique. Les auteurs de la loi du 3 janvier 1972 ont cru que l’essentiel était la vérité biologique. Toutefois, dans certains cas, la stabilité de l’enfant, l’honneur des parents et la tranquillité publique sont intéressés à ce que certaines vérités ne soient pas dites. Les pédopsychiatres ont toutefois attiré l’attention sur les dangers potentiels, pour le psychisme de l’enfant, des non-dits, secrets et autres « cadavres » dans le placard195. C’est ainsi que nous pouvons parler de déni des droits de l’enfant : les droits de l’enfant ne sont reconnus que dans la mesure où ils coïncident avec ceux des parents et des adultes en général.
Dans la pratique des conventions de maternité pour autrui c’est pis, car l’enfant est sacrifié au nom de l’intérêt général, alors même que le problème de l’anonymat ne se pose généralement pas car la mère porteuse entretient des relations avec le couple commanditaire. Le refus explicite des magistrats, et implicite du législateur, d’établir la filiation maternelle à l’égard de l’enfant, caractérise également une occultation de la vérité « biologique et sociale ».
2 – Le sacrifice de l’enfant au nom de l’intérêt général
En premier lieu, nous pouvons citer la loi de 1994 qui crée une « surfiliation » dans les procréations hétérologues. Les motifs tiennent à un jugement de valeur sur la conduite des adultes et non l’intérêt de l’enfant. Les raisons sont exposées dans les travaux parlementaires : il est apparu inadmissible que l’homme revienne sur son consentement ou que la femme arrache l’enfant à celui qui avait consenti à sa procréation196 . La véritable raison est le secret de la filiation, la stérilité du couple et préserver la fiction législative : lorsqu’une loi organise un mensonge, son dévoilement serait une grave atteinte à l’autorité de la loi. L’anonymat protège donc le père mais pas l’intérêt de l’enfant.
Mais ce qui nous intéresse particulièrement est le sort de l’enfant issu d’une convention de gestation pour autrui. En effet, le refus de l’adoption est totalement injuste197.
Citons une lamentable affaire du 29 juin 1994198 qui montre les résultats concrets de la position de principe de la Cour de cassation de 1991. Un enfant est né d’une mère de substitution et avait été remis à l’épouse de son père. Le couple ayant divorcé entre temps, le père refuse de consentir à l’adoption demandée par son ex-épouse, qui avait cependant conservé l’enfant avec elle. La cour d’appel199 est passée outre ce refus en l’estimant constitutif d’un abus de droit. L’interdiction d’adoption posée par la Cour de cassation privilégie le père, qui n’est pas le moins fautif dans cette affaire, et prive définitivement l’enfant de toute perspective d’avoir un jour une filiation maternelle puisque sa mère biologique l’a abandonné et que sa mère nourricière ne peut l’adopter.
Or, le priver de sa filiation maternelle est le priver de tous les droits qui sont rattachées à celle-ci. Ainsi, la loi le prive de la protection que confère l’autorité parentale (art. 371-1 C. civ.), du devoir d’entretien et d’éducation, des grands-parents, des droits successoraux. De plus, c’est laisser le sort de l’enfant à la discrétion du père.
L’établissement d’une filiation maternelle est donc aléatoire alors qu’elle va dans le sens de l’intérêt de l’enfant. Les dernières solutions jurisprudentielles sont la cruelle illustration de ce que l’intérêt de l’enfant n’existe que s’il corrobore l’harmonie sociale. C’est le cas des arrêts de la première chambre civil du 23 avril 2003200 et du 9 décembre 2003201 ainsi que l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 4 juillet 2002202. A la mort du père, l’enfant sera orphelin. Ces arrêts violent donc directement l’intérêt des enfants.
Madame RUBELLIN-DEVICHI a critiqué la position de la jurisprudence française dans l’arrêt de la cour d’appel de Rennes203. Si le principe est que la mère est celle qui porte l’enfant et lui donne la vie, il n’y a pas de véritable définition de la mère en droit français. Cet adage, atténué par la possibilité d’accoucher dans l’anonymat, est inexact et dépassé. De plus, les procédès scientifiques, qui sont de droit, donnent une certitude de la filiation (arrêt Civ. 1re 28 mars 2000). Dans l’affaire qui nous concerne, les juges ont porté directement atteinte à l’intérêt des enfants en les privant de leur filiation maternelle génétique sans bénéfice pour personne, en obligeant les parties à trouver une stratégie pour établir le lien de filiation maternelle, peut être dans un détournement des règles de l’adoption.
On disait que le droit de la famille qui ressort de l’étude des lois récentes devait être pédocentrique. Or, il fait passer la paix des familles, l’ordre social et la stabilité des structures familiales avant les droits et l’intérêt de l’enfant204.
Lire le mémoire complet ==> La convention de gestation pour autrui : Une illégalité française injustifiée
Mémoire présenté et soutenu vue de l’obtention du master droit recherche, mention droit médical
Lille 2, université du Droit et de la Santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et économiques et de gestion
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193 DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.), « Réflexions sur les mythes fondateurs du droit contemporain de la famille », RTD civ. 2juin 1995, p. 249 et spéc. p. 261.
194 NEIRINCK in « Le droit de la filiation et les procréations médicalement assistées », LPA, 14 déc. 1994, p. 54.
195 V. les chapitres 4, 5, 6 et 15 du livre collectif Enfance menacée, éd. Inserm, 1992, sous la direction de RAIMBAULT (G.) et MANCIAUX M.).
196 Rapport AN, n°2871, t. 1, p. 140.
197 Droits de l’enfant, D. 1992, Somm. p. 59, DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.).
198 Civ. 1ère, 29 juin 1994, D. 1994. Jurisp. 581, note CHARTIER.
199 Poitiers, 22 janv. 1992, D ; 1993, Somm. p. 119, obs. VASSAUX-VANOVERSCHELDE.
200 Cass. Civ. 1ère, 23 avril 2003, n° 02-05. 033.
201 Cass. Civ. 1ère 9 déc. 2003, n°01-01.927, n° 1644 F – P : J.C.P. 2004, I, n° 109, obs. RUBELLIN-DEVICHI (J.); Dr. famille 2004, Comm. n°17, obs. MURAT (P.); Defrenois 2004, p. 592, note MASSIP (J.); Revue Lamy mai 2004, art. GAUMONT-PRAT (H.); D. 2004, p. 1998, note POISSON-DROCOURT (E.).
202 CA Rennes, Chambre du conseil, 4juill. 2002, n°01/02471, D. et a. c/ Ministère public.
203 J.C.P. 2003, I, p. 101, note RUBELLIN-DEVICHI.
204 DEKEUWER-DEFOSSEZ (F.), « Réflexions sur les mythes fondateurs du droit contemporain de la famille », préc. p. 269.

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