Djenné : L’inscription au Patrimoine Mondial par l’Unesco

2.2 L’inscription au Patrimoine Mondial par l’Unesco de certains monuments en terre et ses conséquences sur la population.

Exemple de la ville de Djenné
Depuis plusieurs années maintenant, ces architectures vernaculaires ou nobles ont retenu l’attention et des opérations de sauvegarde et de restauration sont en cours. « Quelques données concrètes s’imposent pour apprécier l’importance quantitative des architectures de terre. Sur les 242 villes inscrites à ce jour sur la liste de l’Organisation des Villes du Patrimoine Mondial, 78 sont construites en terre ou témoignent de parties importantes de leur tissu urbain édifiées avec ce matériau (centres historiques).
Cela représente 32% de ce patrimoine urbain de valeur universelle. Sur les 878 biens de la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, 115 d’entre eux sont construits en terre, soit 15% des biens culturels. Ce sont soit des sites archéologiques, des ensembles architecturaux historiques, des édifices prestigieux, soit des biens mixtes ou des paysages culturels associant la qualité de leur environnement naturel et de leur patrimoine bâti »52.
Le Mali recense à ce jour quatre sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO :
– La ville ancienne de Djenné en 1988
– La ville ancienne de Tombouctou en 1988
– Le sanctuaire naturel et culturel de Bandiagara en 1989
– Le tombeau des Askia en 2004
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Photo extraite du :Programme Africa 200953
Tous ces sites ont une architecture de terre, qu’elle soit vernaculaire comme les habitats Dogons sur le site de Bandiagara, ou noble comme la mosquée de Djenné. C’est une reconnaissance mondiale faite à la construction en terre du Mali. Quelles sont les conséquences de cette reconnaissance pour le Mali et plus particulièrement pour les habitants de Djenné ?
Voici comment Yamoussa Fané, chef de la mission culturelle de Djenné, parle de la reconnaissance de l’UNESCO : « L’inscription de ce bien à cette prestigieuse liste a été obtenue non seulement pour la valeur exceptionnelle de son architecture de terre dont le style a influencé toute la sous- région, mais aussi pour la valeur toute particulière des vestiges des civilisations pré-islamiques présentes dans les environs proches de la ville »54.
L’inscription sur la liste du patrimoine mondial a, en fait, beaucoup d’avantages indirects : financements des projets de restauration, création de nouveaux métiers comme celui de guide, développement économique dû à l’intérêt touristique…
Mais pour arriver à de tels résultats positifs, il faut se confronter à une population pour qui la préservation du patrimoine ne va pas toujours dans le sens de leur mode de vie. La ville de Djenné ne peut pas être une ville-musée, les habitants ne peuvent vivre figés dans une architecture «moyenâgeuse», ils ont l’envie et le droit d’accéder aux progrès et cela ne se fait pas sans frictions.
Aujourd’hui la situation paraît avoir atteint son paroxysme au point de mettre en doute la possibilité pour la ville de Djenné de garder son inscription au patrimoine mondial. Dans «Le Républicain» du 10 décembre 2010, Assane Koné55 écrit: « Jusqu’à quand Djenné pourra conserver sa valeur universelle exceptionnelle qui a justifié son inscription en 1988 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ? Si des dispositions urgentes ne sont pas prises, il faut craindre de voir un beau matin la radiation de Djenné de cette liste prestigieuse de l’humanité ».
« Le délabrement des maisons d’habitation, les problèmes d’assainissement et les effets induits des mutations socioculturelles, ainsi que la pression du développement urbain deviennent de plus en plus intenses », souligne le chef de la Mission Culturelle de Djenné.
Les menaces qui pèsent sur le site paraissent insurmontables. L’assainissement est l’un des problèmes les plus récurrents. Depuis des années la gestion des déchets pose problème et n’a toujours pas été résolue. L’adduction d’eau récente a permis d’apporter l’eau potable dans la ville, mais elle a engendré une pollution qui constitue une menace sanitaire.
La plupart des tâches ménagères sont maintenant effectuées dans les rues alors qu’il n’y a pas d’évacuation des eaux usées. Les eaux usées, l’érosion et le ravinement ont creusé des trous près de la mosquée de Djenné.
Ces problèmes sont d’autant plus importants qu’ils ont un impact sur le tourisme et donc sur l’économie locale. Certains sites comme celui de Kaniana deviennent des dépotoirs d’ordures. Et sur d’autres sites protégés, la terre est prélevée pour la recycler en matériaux de construction. La pose d’antennes paraboliques et des fils électriques sur les façades enlaidit les architectures de terre. Certaines maisons sont abandonnées et ne sont plus entretenues, elles connaissent des dégradations importantes et tombent en ruine.
Un projet soutenu par l’UNESCO et mis en place par le Ministère de la Culture du Mali et le Rijksmuseum des Pays-Bas a permis de faire face au délabrement progressif de la ville ; 114 maisons ont été restaurées. « Le principal objectif du projet mené par le Centre du patrimoine de l’UNESCO est de poursuivre l’amélioration de l’état de conservation des villes anciennes de Djenné »56.
La tâche est difficile surtout quand on sait que les aides de l’UNESCO portent sur les restaurations des monuments inscrits et que l’entretien, lui, reste à la charge des habitants. L’inscription sur la liste entraîne aussi des contreparties. Le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO impose des obligations : « L’acte par lequel l’Etat, par la voie de l’inscription des biens culturels dans un registre créé à cet effet, impose au propriétaire, détenteur ou occupant desdits biens, des servitudes en grevant l’utilisation ou la disposition »57.
La population se voit soudain contrainte de changer son style de vie et de s’adapter à une ville- musée qu’il faut respecter au nom de son inscription au patrimoine mondial, à un site protégé qu’il faut protéger et entretenir. La mosquée de Djenné est enduite tous les ans par les Barey-ton de Djenné, aidés de toute la population.
Ce travail prend deux jours et il est à la charge des habitants. Ils continuent cette tradition qui attire beaucoup de touristes mais il n’en va pas de même pour l’entretien de leurs propres façades. On a vu plus haut que les travaux de maçonnerie et d’enduit étaient traditionnellement des réalisations collectives et solidaires.
Mais aujourd’hui la population locale n’a que rarement de quoi payer un maçon, donc les enduits s’abîment et mettent les maisons en péril. Les habitants ont l’interdiction de réaliser des adjonctions ou des constructions en ciment dans le centre protégé. Cette contrainte est parfois difficile à respecter quand l’Etat lui-même ne donne pas l’exemple.
Sur le site archéologique de Tonomba (qui fait partie de l’inscription de Djenné), l’administration locale a installé ses bureaux et prévoit des travaux d’agrandissements. « Pendant que l’Etat interdit aux populations de construire en dur à Djenné, il s’arroge le droit d’élever des constructions en ciment un peu partout » a dénoncé Joseph Brunet Jailly de l’association Djenné Patrimoine.
Quelques années plus tôt, en 2003 dans la préface du livre L’architecture à Djenné – La pérennité d’un patrimoine mondial, Cheick Oumar Sissiko, Ministre de la Culture, faisait l’éloge du projet de réhabilitation :
« Ce projet de réhabilitation de l’architecture traditionnelle de Djenné arrive à ses termes. Il a le mérite d’avoir jeté les jalons d’une démarche de restauration, de l’entretien et de la valorisation de nos villes historiques en terre.
Il peut également servir d’exemple en ce qui concerne l’approche participative et le respect des traditions, des savoirs et savoir-faire endogènes. » Les efforts demandés aux habitants devraient être compensés par la « manne » financière promise qui doit découler des chantiers de restauration et du tourisme.
L’UNESCO insiste bien sur l’intérêt que peut apporter à la population le fait d’avoir un patrimoine inscrit, en terme de création d’emplois liés aux travaux de réhabilitation, d’entretien, d’exploitation du site et de promotion, ainsi que l’attrait touristique qu’un tel patrimoine engendre. Les retombées sur l’économie locale, sur les hôtels et les restaurants font partie intégrante des projets de l’UNESCO.
A propos du tourisme, on note en effet un accroissement important du nombre de visiteurs. Les chiffres de l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme) montrent que le tourisme au Mali a fait un bond de 27% entre 2004 et 2005 contre 4,5% pour l’ensemble du tourisme mondial.
Les organisateurs de voyage ont su se placer. En signant un accord avec l’UNESCO, TripAdvisor, le géant du voyage en ligne lance un partenariat sur le patrimoine mondial. Il s’engage à donner jusqu’à 1,5 millions de dollars sur deux ans au Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO. En échange l’UNESCO profitera des commentaires à propos des sites de la part des voyageurs (une façon comme une autre de créer une surveillance des sites).
Jet tours n’est pas en reste en proposant, dans le cadre de son engagement dans le tourisme durable, de soutenir deux projets de conservation dont les falaises de Bandiagara au pays Dogon. Malheureusement ce tourisme international de groupe n’a que très peu de retombées sur l’économie locale, la plupart des règlements étant fait via des organismes hors du Mali comme le souligne Michèle Odeyéfinzi58 sur le site de l’Antropo59
« Le tourisme actuel bénéficie dans une large mesure à des opérateurs extérieurs à la région, seuls quelques guides et certaines petites structures hôtelières grappillent les quelques retombées de ce tourisme organisé depuis les pays occidentaux. Cet état de fait est un réel manque à gagner pour les villageois qui voient passer les caravanes de 4×4 sans comprendre pourquoi elles passent ! ».
Un autre type de voyage aura peut-être plus d’impact sur l’économie réelle : ce sont les circuits de petits groupes comme ceux qu’organise le musée du Quai Branly. Ce voyage de 10 jours au pays Dogon insiste bien sur le classement par l’UNESCO des sites visités : « Jour 3, départ pour Djenné, ville classée au patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO »
L’écotourisme est une nouvelle façon de voyager, il prend de l’essor et relève le défi du «développement durable» touristique. L’association Anthropo s’associe depuis plusieurs années avec un village Dogon, Youga Na, pour développer un tourisme tout à fait local avec la création d’une auberge dans ce village dont le prix des nuitées sert à payer le salaire de l’instituteur du village.
Nous venons de passer en revue les différentes conséquences que peut avoir une inscription au patrimoine mondial pour la population locale. Cette dernière partie tentera de voir quel impact l’intérêt porté par l’Unesco sur les constructions en terre de Djenné peut avoir sur la population et les maçons.

2.3 L’influence de l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco sur l’évolution de la construction en terre au Mali.

Le projet lancé par L’UNESCO, Africa 2009, a été mis en place pour répondre aux questions de transmission des savoir-faire spécifiques visant à la conservation et à la préservation du patrimoine bâti en terre.
C’est pour cette raison qu’il développe des programmes de formation afin d’accroître les connaissances et les compétences des locaux pour l’entretien des édifices. Mais ces formations sont très spécifiques à l’architecture de Djenné, et plus particulièrement à la restauration.
De plus, elles ne sont pas à destination des maçons extérieurs à Djenné, et elles n’apportent pas de réponses à une architecture vernaculaire rurale. Le programme de formation mis en place par les Pays-Bas va dans le même sens. Roger Bedaux, le responsable du projet qui a permis de restaurer plus de 100 maisons à Djenné dit ceci : « Si on parle de préservation du patrimoine, cela ne suffit pas de remettre en état ou de revêtir quelques jolies façades.
Il faut essayer de retrouver et de pérenniser les connaissances traditionnelles en maçonnerie, et en même temps renforcer les capacités «modernes» des maçons. La confrérie des maçons de Djenné, les «barey-ton» possède de très bons maçons, mais ils n’ont aucune notion des règles officielles de la restauration.
Il y a aujourd’hui une base de connaissances suffisante pour l’entretien des maisons restaurées ». De tradition vernaculaire, il n’y a pas vraiment un passé d’architecte malien. Mais depuis quelques années, des architectes et des techniciens sont formés (en France ou dans des écoles d’architecture Africaine) et travaillent à Djenné sur les chantiers de restauration.
Ce qui pourrait être perçu comme un progrès n’est pas très bien vécu par la corporation des maçons. Olivier Scherrer60 qui a beaucoup travaillé avec eux, relate : « Dans les changements, on observe maintenant des architectes et des techniciens du cru mais formés en France ou dans des écoles d’architectes qui voient le jour sur place ; mais cela entraîne la perte de savoir-faire des maçons ainsi que leur responsabilité.
Le maçon est supplanté par les connaissances théoriques et scientifiques des architectes. Cela fait penser à la transition entre le Moyen-Age et la Renaissance, époque où les artisans ont perdu leurs prérogatives sur les chantiers ».
D’après Thierry Jeffroy, « malgré ces efforts de formation, l’impact de l’Unesco sur la population locale est inexistant. L’entretien du patrimoine est vécu comme une charge. Il y a toujours une tendance forte à la déconsidération de la terre ». Joseph Brunet Jailly confirme ce point du vue : « le renouveau poussé par des étrangers n’a aucun impact sur l’opinion ».
Comme le souligne justement Daniel Turquin, l’influence des travaux de restauration de la ville de Djenné sur la construction en terre crue aujourd’hui au Mali est aussi éloignée que l’impact de la restauration de Notre-Dame sur les constructions de lotissements en France. On constate en effet que les intérêts de chacun ne sont pas identiques et que la pression d’un groupe sur un autre n’a que peu de conséquences.
De la même manière qu’à Marrackech avec le tadelakt, si la sauvegarde du patrimoine en terre peut influencer l’économie touristique alors il y aura sans doute un effort de fait sur ce plan là. Mais la sensibilisation concernant un habitat contemporain en terre crue n’est pas à l’ordre du jour ; en tous les cas il ne sera pas influencé par l’inscription du patrimoine des monuments prestigieux du Mali.
Lire le mémoire complet ==> (L’architecture de terre crue en mouvement en France et au Mali – Regards croisés)
Mémoire Diplôme d’Université BATIR
Université de Nantes – Bâti Ancien et Technologies Innovantes de Restauration
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51 Cf annexe. Entretien avec Roger Katan, architecte, le 28 juillet à Sauve, p.82
52 Cf annexe, entretien avec Hubert Guillaud, op. Cit., p 84
53 Conservation du Patrimoine Culturel Immobilier en Afrique sub-saharienne, bilan final, juin 2010, Edition CRATerre http://craterre.org/terre.grenoble.archi.fr/africa2009/introA2009.php
54 Djenne Patrimoine, « Informations n° 19 », automne 2005 http://www.djenne-patrimoine.asso.fr/
55 Assan Koné journaliste pour Le Républicain au Mali et Altermonde en France. « Patrimoine mondial de l’UNESCO : Djenné menacée ? » Le Républicain, octobre 2007 : http://www.malijet.com/a_la_une_du_mali/patrimoine_mondial_de.html
56 Programme de solidarité de l’UNESCO, « Ville ancienne de Djenné au Mali : vers un développement durable », Feuillet n°42, novembre 2006. http://www.unesco.org/
57 Loi n°85-40/AN-RM relative à la protection et à la promotion du patrimoine culturel national,http://www.african- archaeology.net/heritage_laws/mali_loi26071985.html
58 Michèle Odeyéfinzi auteur de Dogon dougo,dugo.
59 L’Anthropo. http://www.lanthropo.free.fr/site/index.php
60 Cf entretien avec Olivier Sherrer, op. cit., p 74

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