L’architecture de terre crue en mouvement en France
Université de Nantes
Igarun

Formation continue-
Diplôme d’Université BATIR
Bâti Ancien et Technologies Innovantes de Restauration

Mémoire D.U. BATIR
L’architecture de terre crue en mouvement en France et au Mali
L’architecture de terre crue en mouvement en France et au Mali
Regards croisés

Solène Delahousse

Tutrice du mémoire :
Aymone Nicolas

Session 2009

Introduction :

Fresquiste de formation, j’ai toujours été attirée par la terre, car comme la technique de la fresque, la construction en terre a traversé les siècles et les continents sans jamais tomber dans l’oubli. La terre comme la chaux sont desmatériaux qui ne demandent pas ou peu de transformation et qui se trouvent à même le sol sur tous les continents.
Alors que la terre sera modelée pour construire un bâti, la chaux servira de support aux pigments pour réaliser des décors. Ces deux techniques cousines n’ont besoin pour exister que des éléments offerts par la nature et du savoir-faire de l’homme. Il n’est pas rare d’ailleurs de les voir ensemble, la fresque s’appuyant sur un mur en terre.
L’architecture en terre crue, contrairement à la terre cuite, ne demande aucune industrialisation : c’est réellement le matériau au pied du mur qui fait le bâti. Sa qualité thermique a permis de l’utiliser des pays scandinaves jusqu’à l’équateur. Depuis 10 000 ans, la terre crue a accompagné l’homme dans son habitat.
Elle a d’abord servi d’enduit pour protéger les huttes de bois, puis la brique de terre crue – composée d’alluvions sableuses et argileuses mélangées à de la paille – est devenue le matériau de construction des premières villes en Mésopotamie à l’époque de la sédentarisation. Sous toutes les latitudes, les villes ont été bâties en terre crue, de l’Egypte au Moyen-Orient, en Afrique, mais aussi en Amérique et en Europe. Chaque pays, chaque région, chaque groupe ethnique apporte sa créativité pour façonner la terre. Elle est utilisée pour tous les types de constructions, de l’habitat rural à l’habitat urbain, des souks aux temples, du manoir à la forteresse, de l’église à l’usine.
Citons quelques exemples célèbres : la fameuse Tour de Babel, haute de 90 mètres, construite en terre au VIIe siècle avant J-C ; certains tronçons de la muraille de Chine datant du IIIe siècle av. J-C sont aujourd’hui toujours visibles ; la ville de Shibam au Yémen, aussi appelée la « Manhattan du désert », a été construite entièrement en terre au XVIe siècle avec des édifices pouvant atteindre 30 mètres de hauteur.
Plus près de nous la ville de Lyon, capitale de la Gaule antique, a été bâtie en pisé jusqu’à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, et ce dans plus de 150 pays, près de deux milliards de personnes vivent dans des habitations en terre crue, soit un tiers de la population mondiale.

Origine du sujet :

Lors de mes lectures sur l’architecture de terre, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de corrélations entre la France et l’Afrique sur le sujet. Le Mali m’a paru le pays le plus significatif quant à son architecture de terre : j’ai donc choisi de travailler sur les échanges entre la France et le Mali.
Dans un deuxième temps, je me suis interrogée sur les impacts que pouvait avoir l’inscription au patrimoine mondial par l’Unesco de certains sites maliens sur la population.
Parallèlement à cela, j’ai constaté en France un mouvement certain vers l’architecture de terre, aussi bien du côté de la recherche que sur le terrain de la restauration et plus timidement de la construction. Je me suis demandé si ces deux mouvements parallèles pouvaient avoir des interférences.

Les sources :

Mon regard se veut le plus innocent possible sur un monde dont j’ignorais tout, il y a encore quelques mois. J’ai donc choisi de m’appuyer sur sept entretiens et deux conversations libres, menés auprès d’acteurs de la construction de terre français ayant eu une expérience en Afrique ou au Mali.
Ce sont des hommes de plus de cinquante ans, ils ont donc tous vécu le renouveau de la terre en France dans les années 80. Par ordre d’entretien : Olivier Scherrer, Jean Dethier, Daniel Turquin, Roger Katan, Hubert Guillaud, Thierry Joffroy et Joseph Brunet Jailly.
Pour chacun une présentation est faite dans une note de bas de page au fur et à mesure des citations dans le texte et les entretiens sont annexés. La rencontre avec Thomas Granier n’a pas été transcrite en entretiens, car cela s’est déroulé sous forme d’une conversation libre. J’ai aussi eu un contact téléphonique avec Roger Klein mais qui ne rentre pas dans la série des entretiens.
Mes autres sources d’informations ont été les lectures de monographies, de documents divers ainsi que la consultation de certains sites Web.1

La méthode :

Pour traiter ce sujet, j’ai utilisé la méthode de l’analyse comparative qui permet d’explorer une même question à travers des contextes historiques, géographique et sociaux très différents, ici la France et le Mali.
Le point commun entre ces deux pays – la période coloniale et les relations d’interdépendance qui en ont résulté – transparaît d’ailleurs en filigrane dans tous les entretiens.
Toutefois, j’ai plutôt cherché à comprendre les éléments majeurs des enjeux de la construction terre en analysant les réponses de mes interlocuteurs en fonction de leur point de vue. De quelle place parlent-ils ? Quels buts défendent-ils ? Les arguments diffèrent selon qu’ils sont développés part un chercheur, un maçon ou un porteur de projet humanitaire. J’ai donc croisé ces informations, essayant de prendre le recul nécessaire pour faire une analyse de la situation au plus juste.

Le postulat de départ

La révolution industrielle de la fin du XIXe siècle, avec ses progrès technologiques et ses innovations, a permis de mettre au point un grand nombre de matériaux précurseurs dans le domaine de la construction comme le ciment, l’acier et le verre.
Le développement des transports a permis à ces nouveaux matériaux de voyager dans le monde. Ces deux événements conjugués ont donné naissance à un nouveau style architectural, le Style International, dont la caractéristique est de construire des bâtiments en rupture totale avec les traditions du passé.
Parallèlement, l’expansion économique des Trente Glorieuses a entraîné un changement des modes de vie, une plus grande mobilité des populations et la production industrielle de maisons préfabriquées loin des savoir-faire vernaculaires.
Face à cette multitude de produits nouveaux, la terre a été considérée comme un matériau pauvre et vétuste. En quelques décennies, l’utilisation de la terre crue dans la construction est tombée en désuétude.
 Illustration tirée d’un plaquette réalisée par des étudiants de l’école d’architecture de Grenoble,1991
Illustration tirée d’un plaquette réalisée par des étudiants de l’école d’architecture de Grenoble,1991
Au tout début des années 80, un intérêt nouveau s’est manifesté pour les constructions en terre. En France, un laboratoire de recherche sur le matériau terre a ouvert ses portes au sein de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble (ENSA) en 1979 ; puis la première grande exposition sur la terre, « Les architectures de Terre : Histoire d’une Tradition Millénaire », a été organisée en 1981 par Jean Dethier2 au Centre George Pompidou à Paris.
Elle a été suivie par la création du « Domaine de la Terre » à Villefontaine, première grande réalisation expérimentale de 63 logements sociaux. Ce projet est resté sans réelle suite pendant 20 ans. Or, on assiste depuis une dizaine d’années à un regain d’intérêt pour la construction en terre crue et à une mobilisation des professionnels.
La médiatisation croissante des enjeux du développement durable aurait-elle une influence sur cette redécouverte de l’architecture en terre ? Ce matériau répondrait-il à de nouveaux enjeux de sociétés, de nouveaux intérêts économiques ?
Je me suis aussi demandé pourquoi, à la même époque au Mali, certains sites prestigieux construits en terre ont été reconnus et inscrits sur la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO. Trois sites ont été inscrits entre 1988 et 2004 : la ville ancienne de Djenné, la ville de Tombouctou et le tombeau des Askia.
La valorisation de ces sites est-elle en rapport avec le mouvement sensible mais encore timide en faveur de la construction en terre ? Cette inscription a-t-elle une influence sur le regard porté par les Maliens sur leur tradition constructive en terre et a-t-elle influencé la construction vernaculaire en terre crue aujourd’hui ? Y a-t-il un lien qui rassemble ces deux pays autour de la terre ?
Le mouvement en devenir en France sur la construction terre peut-il avoir une influence sur la construction au Mali et inversement, la reconnaissance mondiale d’un patrimoine en terre au Mali peut-elle changer le regard des Français sur l’architecture de terre crue ? En d’autres termes, des échanges culturels peuvent-ils avoir lieu dans le domaine de la construction ? L’évolution d’un habitat peut-elle être influencée par des facteurs extérieurs ?
J’ai personnellement, dans mon travail sur la chaux, expérimenté ce cas de figure avec une technique bien spécifique que l’on nomme « le tadelakt »3. Cette manière de travailler la chaux vient du Maroc, plus particulièrement de Marrakech. Ce revêtement était à l’origine totalement fonctionnel et n’avait aux yeux des Marocains aucune valeur esthétique.
La manière dont la chaux était travaillée rendait l’enduit étanche à l’eau. C’est avec cette technique que les maçonneries de terre étaient recouvertes pour étanchéifier les hammams. Il se trouve que cet enduit est particulièrement beau ; lisse, irrégulièrement brillant, sensuel au toucher et de couleurs variées mais toujours chaudes. Il n’a pas tardé à plaire aux occidentaux.
A cette même époque, les années 80, au Maroc, luxe rimait avec salle de bain personnelle, baignoire et décors de carreaux en grès cérame aux murs. Les Marocains percevaient la technique du tadelakt, comme archaïque et vétuste. Le décalage peut être mis en parallèle avec les constructions en terre crue, synonymes de pauvreté au Mali et l’attrait de certains occidentaux pour cette architecture, aussi bien pour son aspect esthétique que pour son intérêt technique.
Dans ces mêmes années, une palmeraie située aux abords de Marrakech s’est vendue. Quelques riches Marocains mais surtout beaucoup d’occidentaux essentiellement Français et Américains y ont acheté des parcelles pour y faire construire de luxueuses villas.
Alors que la construction en occident prônait « le tout béton », ces étrangers s’installaient au Maroc avec l’amour de cette architecture en terre et de ces savoir-faire artisanaux et ancestraux. A la même époque, un architecte marocain, Elie Mouyal mettait beaucoup d’énergie à mettre en valeur l’architecture locale afin de convaincre la population des méfaits du béton et de la standardisation européenne.
La rencontre de cet architecte et de ces occidentaux a permis la construction de somptueuses maisons au cœur de la palmeraie avec des techniques de construction en terre mettant en valeur de superbes voûtes en briques crues mais aussi des décors en fer forgé, en zelliges et des salles de bain toutes recouvertes de tadelakt.
En 1995, un livre Intérieurs Marocains 4 illustrant tous les intérieurs de ces riches villas est édité. La moitié environ des maisons présentées dans cet ouvrage appartiennent à des étrangers qui, pour une raison ou une autre, ont choisi de vivre une grande partie de l’année au Maroc. Leurs intérieurs ont ceci d’intéressant qu’ils réinterprètent la tradition « (…)
La décoration intérieure est totalement redevable du savoir-faire des artisans marocains. (…) le tadelakt, cet enduit traditionnel de chaux mélangé à des pigments de couleur et lissé avec des galets au savon noir, est largement employé sur les murs des chambres et des salles de bain. »
Les magazines de décoration français ont vite diffusé ces photos, entraînant la mode du tadelakt en France. Quelques artisans se sont formés à cette technique et c’est ainsi que l’on retrouve des réalisations en tadelakt dans nos intérieurs. L’engouement des occidentaux pour cette technique a interpellé certains marocains qui ont compris l’attrait du tadelakt pour les touristes.
Aujourd’hui, chaque Riad et chaque hôtel possèdent un hammam et des salles de bains en tadelakt. Toutefois, le goût particulier des occidentaux pour une technique vétuste et archaïque n’a pas fait école auprès de l’ensemble de la population marocaine qui trouve plus confortables les salles de bain modernes.
Cet exemple n’est-il pas en train de se répéter au Mali, et particulièrement à Djenné, où les édifices prestigieux en terre sont entretenus par les locaux parce que faisant partie de leur patrimoine, et surtout de leur économie à travers le tourisme, mais pas forcement par goût personnel ? Y a-t-il des points communs et des transferts d’intérêt sur le sujet construction en terre crue ?

Annonce du plan :

Le premier chapitre sera consacré à l’influence du développement durable sur la construction terre en France et sera traité en trois sous-parties.

  • 1. L’état des lieux de la construction terre en France
  • 2. L’influence du développement durable dans le bâtiment
  • 3. Les conséquences du développement durable dans le mouvement de la construction en terre crue.

Dans le deuxième chapitre, j’étudierai les conséquences sur la population malienne de l’inscription de plusieurs sites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, et les répercussions sur la construction en terre vernaculaire.

  • 1. L’état des lieux de la construction en terre au Mali
  • 2. L’inscription au patrimoine mondial par l’Unesco de certains monuments en terre Exemple de Djenné
  • 3. L’influence de cette inscription sur l’évolution de la construction vernaculaire au Mali

Dans le troisième et dernier chapitre, je porterai un regard croisé sur les mouvements en cours dans ces deux pays autour de l’architecture et de la construction en terre, afin d’analyser si des corrélations existent, et si oui, quels en sont les points communs.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de définir quelques termes spécifiques, dont en premier lieu celui d’ »Architecture en terre ». J’ai sciemment choisi ce terme « architecture en terre », car il est assez vaste pour englober le sujet dans son ensemble.
Architecture, du latin architectura, désigne l’art de concevoir des espaces couverts et de construire des édifices. Dans ce mémoire, le terme « architecture en terre crue » englobe à la fois les habitations vernaculaires et les constructions nobles, même si chacune de ces typologies peut être distinguée.

Architecture vernaculaire :

– Vernaculaire : adjectif (du latin vernaculus : indigène).
– Langue vernaculaire : langue parlée seulement à l’intérieur d’une communauté (par opposition à « langue véhiculaire »)5
L’architecture vernaculaire est une construction propre au lieu, sans architecte, réalisée par les habitants eux-mêmes, avec comme seule évidence, la « logique constructive » qui se définit en fonction des besoins et des possibilités de construction avec les matériaux disponibles sur place.
Selon Patrick Bouchain : « L’architecture vernaculaire née sur place, façonnée par les contraintes, est par définition plus contextuelle. Sa force, en même temps que sa fragilité, vient du fait qu’elle se situe dans la permanence et non dans l’événement. » 6

Architecture noble :

En opposition à l’architecture vernaculaire, l’architecture noble est pensée et dessinée par des architectes, elle n’utilise pas forcément les matériaux existant sur place. L’architecture noble est souvent réservée à la création de monuments spectaculaires.
Remerciement
Je remercie Aymone Nicolas pour son suivi, son regard toujours attentif et ses conseils.
Je remercie tout particulièrement mes interlocuteurs qui ont pris de temps de répondre à mes questions avec toujours beaucoup de passion. Dans l’ordre des rencontres : Olivier Scherrer, Alain Klein, Jean Dethier, Daniel Turquin, Roger Katan, Thomas Granier, Hubert Guillaud, Thierry Joffroy et Joseph Brunet Jailly.
Un merci spécial à Cécile et à tous ceux qui m’ont apporté leur soutien

Sommaire :

Introduction :
Origine du sujet
Les sources
La méthode
Le postulat de départ
Chapitre 1 – Regard sur l’architecture en terre crue en France
1.1 L’état des lieux de la construction en terre crue en France
1.2 L’influence du développement durable dans le secteur du bâtiment
1.3 Les conséquences du développement durable dans le mouvement de la construction en terre crue en France
1) La recherche
2) Les techniques
3) Formations et visibilité
Chapitre 2 – Regard sur l’architecture en terre crue au Mali
2.1 L’état des lieux de la construction en terre crue au Mali
2.2 L’inscription au Patrimoine Mondial par l’Unesco de certains monuments
2.3 en terre et ses conséquences sur la population. Exemple de la ville de Djenné L’influence de l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco sur l’évolution de la construction en terre au Mali.
Chapitre 3 – Regards croisés
3.1 Les raisons du retour à la construction en terre crue en France
3.1.1 Le secteur industriel
3.1.2 Les auto-constructeurs
3.2 Les raisons du retour à la construction en terre au Mali
Conclusion

Sommaire :

  1. L’état des lieux de la construction en terre crue en France

  2. Le développement durable et le domaine du bâtiment français

  3. Le développement durable et la construction en terre crue en France

  4. Regard sur l’architecture en terre crue au Mali

  5. L’inscription au Patrimoine Mondial par l’Unesco de certains monuments – la ville de Djenné

  6. Les raisons du retour à la construction en terre crue en France

  7. Le retour à la construction en terre au Mali, les raisons

____________________________________
1 Cf Bibliographie p 66
2 Cf annexes, Entretien avec Jean Déthier, architecte, le 25 juillet à Paris, p.76
3 Delahousse Solène, Le tadelakt, un décor à la chaux, Editions Massin, 2003, 89 p.
4 Lovatt-Smith Lisa, Intérieurs marocains, Editions Taschen, 1995, 320 p.
5 Albert Hassan, l‘autoconstruction dans tous ses états, Séminaire «Pérennité et obsolescence de l’architecture moderne.» Sous la direction de Dominique Druenne. ENSAPB 2010
6 Citation extraite de Pierre Frey, Learning from vernaculaire,Actes sud, 2010, 170 p.

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