La dépendance de l’activité agricole vis-à-vis de la nature

Première partie : Le contexte : la place du travail salarié dans l’agriculture familiale

Cette partie a pour but de présenter le contexte général de notre recherche. Plus spécifiquement, elle revient sur la place qu’a pu tenir le travail salarié dans l’agriculture familiale et sur la place qu’il y tient aujourd’hui.

Le premier chapitre fait un panorama des caractéristiques du travail en agriculture et des spécificités des deux grands types main-d’œuvre susceptibles d’être mobilisés sur les exploitations, à savoir, la main-d’œuvre familiale et la main-d’œuvre salariée.

Nous montrons, dans ce chapitre, que l’agriculture française, comme celle de nombreux pays développés, est, encore aujourd’hui, majoritairement composée d’exploitations familiales.

Pour ce faire, nous revenons sur la définition de l’agriculture familiale et sur le large débat qui a longtemps intéressé nombre d’économistes agricoles : le débat sur les formes d’organisation de l’agriculture qui oppose classiquement l’exploitation familiale à l’exploitation capitaliste à salariés.

Nous montrons que, bien que le salariat agricole ait largement régressé tout au long du XXe siècle, il joue, encore aujourd’hui, un rôle important dans l’agriculture dite familiale.

Nous montrons, de plus, que les caractéristiques sociales, historiques et politiques de ce salariat ont contribué à le rendre invisible alors même que sa place se renforce depuis la fin des années 1980 et que sa composition évolue.

Le deuxième chapitre présente plus spécifiquement le secteur français des fruits et légumes.

Ce chapitre a pour but de montrer que les caractéristiques de ce secteur font de lui un terrain d’étude pertinent pour comprendre les mutations récentes de la main-d’œuvre dans les exploitations familiales ainsi que leurs implications.

Chapitre I :

Travail et main-d’œuvre en agriculture

Nous présentons dans ce chapitre les caractéristiques du travail en agriculture et celles de la main-d’œuvre des exploitations.

La présentation des deux grands types de main-d’œuvre, la famille et le salariat, nous amène à exposer le débat sur les formes d’organisation en agriculture.

Dans un deuxième temps, cette présentation nous conduit à revenir sur les évolutions qu’ont connu ces différents types de main-d’œuvre au cours du temps.

Dans la plupart des pays développés, les parts relatives de la main-d’œuvre familiale et de la main- d’œuvre salariée ont fortement évolué : si la place de la main-d’œuvre familiale s’est renforcée tout au long du XXe siècle, celle du travail salarié se stabilise aujourd’hui, voire augmente dans certains pays et dans certains secteurs.

Pourtant, comme nous le montrons dans ce chapitre, la main-d’œuvre salariée du secteur agricole a toujours été marquée par une certaine invisibilité, à la fois sociale, politique et académique.

Nous centrons notre analyse sur le cas français afin de mieux comprendre le contexte social et politique dans lequel ont eu lieu les évolutions.

Ce chapitre prend appui sur un travail de recherche bibliographique complétée par un ensemble d’entretiens menés auprès de différents types d’acteurs et réalisés à diverses périodes de la thèse.

Ces entretiens ont des statuts divers : la plupart ont un statut d’enquêtes exploratoires et ont permis une meilleure appréhension de notre objet d’étude; quelques-uns ont un statut d’enquêtes informatives et ont permis d’obtenir des informations difficilement disponibles dans la littérature. L’Annexe 2 présente l’ensemble de ces entretiens.

Les caractéristiques du travail en agriculture familiale

I – Les caractéristiques du travail en agriculture

La dépendance de l’activité agricole vis-à-vis de la nature explique nombres de caractéristiques du travail et de son organisation dans ce secteur.

I.1 – La dépendance vis-à-vis de la nature

L’activité agricole est dépendante de la nature. Plus particulièrement, elle dépend, d’une part, des cycles biologiques et, d’autre part, elle est soumise à des aléas, à la fois climatiques et biologiques.

Cette dépendance, plus ou moins forte selon le type de production, a une forte influence sur le travail agricole et son organisation.

I.1.1 La dépendance vis-à vis des cycles biologiques : la saisonnalité de l’activité agricole et la polyvalence des travailleurs

La dépendance vis-à-vis des cycles biologiques se traduit par une saisonnalité de l’activité agricole, c’est-à-dire par la répétition, chaque année, d’une succession de tâches à effectuer.

Ces tâches diffèrent non seulement en termes de quantité de travail à fournir mais aussi en termes de compétences à mobiliser.

Comme le montre la Figure 1, la plupart des productions agricoles sont marquées par la saisonnalité de l’activité. L’ampleur de pics de travaux et leur durée varient fortement d’une production à l’autre.

L’accroissement de l’activité est particulièrement important pour les productions fruitières et légumières.

Ces productions sont en effet très intensives en travail. Alors que la culture d’un hectare de blé dur nécessite 8 heures de travail par an, celle d’un hectare de pomme nécessite près de 700 heures, celle d’un hectare de melon près de 900 heures et celle d’un hectare de tomate sous serre plus de 8500

heures23.

23 Sources : Chambres d’Agriculture Vaucluse et Drôme, Références technico-économiques 2004-2005.

La quantité de travail nécessaire à l’hectare varie énormément d’une période à l’autre de l’année.

Dans certaines productions comme la pomme ou la tomate hors sol, la quantité de travail peut varier de 1 à 10 entre la période d’activité haute et la période d’activité basse.

Des cultures comme le melon ou le blé dur alternent des périodes sans activité (5 mois pour le melon et 3 mois pour le blé) et des périodes d’activité.

Figure 1- Evolution annuelle de la quantité de travail nécessaire à l’hectare pour différents types de productions.

Evolution annuelle de la quantité de travail nécessaire à l’hectare pour différents types de productions

Sources : Chambres d’Agriculture Vaucluse et Drôme, Références technico-économiques 2004-2005

La durée des pics de travaux varie, elle aussi, d’une production à l’autre. Dans une production sous serre, l’artificialisation du milieu permet un relatif étalement du pic de travail sur six mois, voire plus.

À l’inverse, la durée du pic de travail est beaucoup plus faible pour une production fruitière par exemple (de l’ordre de un à deux mois).

La saisonnalité de l’activité en agriculture implique donc de pouvoir mobiliser une quantité de main-d’œuvre importante pour des temps parfois relativement courts.

De plus, comme le montrent l’exemple de calendrier de travail présenté dans le Tableau 1, les tâches à effectuer sont souvent extrêmement diverses.

Même si l’activité de récolte est généralement l’activité la plus exigeante en temps de travail, beaucoup de tâches différentes doivent souvent être menées en parallèle.

Tableau 1- Calendrier de travail mensuel pour la tomate hors sol (en heure/hectare)

Janv.Fév.MarsAvrilMaiJuinJuill.AoûtSept.Oct.Nov.Déc.Total
Désinfection sol0,50,5
Paillage0,10,1
Chauffage serre11
Installation irrigation8080
Distribution substrat22
Plantation150150
Palissage150100100120470
Taille, effeuillage,

descente

218414552452452644552552922024130
Traitement282227222019151061033212
Blanchiement abri101020
Deblanchiement7070
Irrigation fertilisante1818181818181818181818198
Récolte631883134384003503001751502377
Emballage2060100140128112965648760
Nettoyage serre200200
Total4145378451005117812191047976617281,61783738670,6

Sources : Chambre d’Agriculture Vaucluse, Références technico-économiques 2004-2005, juin 2005

Les cycles biologiques contraignent aussi fortement les calendriers de travaux.

Comme le soulignait J.S. Mill en 1848 : l’agriculture ne peut pas connaître « une division des occupations aussi grande que les différentes branches manufacturières car ces différentes occupations ne peuvent être simultanées » (cité par N. Reinhardt et P. Barlett [1989] (p. 205)).

Ainsi, à l’inverse du secteur industriel dans lequel les travailleurs peuvent se spécialiser sur une tâche spécifique tout au long de l’année, le secteur agricole connaît une moindre division du travail.

La polyvalence des travailleurs est donc une exigence de l’activité agricole du fait de sa dépendance vis-à-vis des cycles biologiques.

La saisonnalité de l’activité agricole se traduit donc, d’une part, par la nécessité de pouvoir mobiliser une main-d’œuvre de manière irrégulière dans l’année et, d’autre part, par une difficile division du travail et une exigence de polyvalence de la part des travailleurs.

La saisonnalité est donc centrale dans la définition de l’activité agricole. Pourtant la saison est une notion complexe à saisir.

Elle peut dans un premier temps se définir à l’échelle d’une culture donnée en fonction de son cycle végétatif.

Les tâches à effectuer se calent dès lors sur le cycle de la plante : semis, récolte… Ce premier niveau de définition pose déjà un certain nombre de problèmes : pour les végétaux au cycle végétatif court, les exploitants peuvent décaler les différents semis afin d’étaler la période de production.

La saison n’est dès lors plus calée sur le cycle de la plante mais sur la période de l’année autorisant la production comme c’est le cas pour un certain nombre de productions maraîchères.

La saison se définit alors par rapport au climat. Pourtant, certains progrès techniques et certaines améliorations variétales contribuent à étaler les périodes de production et à les affranchir du climat : l’artificialisation des productions sous serre en est l’illustration parfaite.

La période de production peut dans certains systèmes serristes s’étendre sur 8 à 12 mois dans l’année.

La définition de la saison au niveau de l’exploitation agricole dans son ensemble est tout aussi délicate : les complémentarités temporelles entre les différents types de production ou entre les différentes variétés rendent parfois difficile la détermination d’une saison particulière.

Le flou qui entoure la notion de saison se retrouve dans les débats juridiques des années 1980 qui ont cherché à déterminer dans quelle relation contractuelle le travail saisonnier pouvait s’inscrire.

«Le cœur du problème réside d’abord dans la détermination de la notion de « saison ».

Comment mesurer les effets des dispositions qui organisent les « activités saisonnières » ou qui adaptent les normes aux « emplois saisonniers » sans qu’une définition précise ait au préalable été élaborée, sans que l’on sache ce que représente sur le plan juridique la notion de « saison ». » [Casaux, 1988] (p.184). L. Casaux [1988] propose quelques éléments de définition.

La saison est une période de travail « limitée dans le temps », qui se singularise « par un certain caractère répétitif » et qui est soumise à des éléments « indépendants de la volonté de l’employeur en ce qui concerne le moment où elle intervient, la durée pendant laquelle le travail va devoir s’effectuer ainsi que la périodicité de son exécution » (p. 174-175).

Elle souligne cependant la grande « variabilité et la fluidité » de cette notion.

I.1.2 Les aléas climatiques et biologiques : une exigence de flexibilité

À la dépendance vis-à-vis des cycles biologiques s’adjoint la contrainte des aléas climatiques et biologiques.

Les calendriers de travail en agriculture ne sont pas fixes d’une année sur l’autre.

Le début de l’activité, sa durée et son intensité sont souvent difficilement anticipables. Cette imprévisibilité est renforcée par les aléas climatiques et biologiques.

Certains évènements peuvent considérablement modifier le planning de travail soit en créant une charge de travail supplémentaire (l’attaque de parasite nécessitant un traitement ou le pic de chaleur engendrant un mûrissement accéléré des fruits nécessitant leur récolte rapide) soit en interdisant la réalisation de certaines tâches (la pluie empêchant les traitements ou la récolte) voire en diminuant considérablement la quantité de travail à effectuer (la grêle mettant à mal une partie de la récolte).

Le caractère impérieux des différentes tâches est extrêmement varié.

Si la réalisation de certaines tâches peut être repoussée ou étalée sur plusieurs mois (comme la taille dans le cas de la vigne ou de l’arboriculture), d’autres au contraire ne peuvent souffrir d’attendre et doivent être réalisées au moment opportun sous peine de compromettre l’ensemble de la récolte (traitements, récolte).

L’activité agricole nécessite donc une très forte disponibilité de la part des travailleurs et une extrême flexibilité, la flexibilité étant entendue comme la capacité à s’adapter rapidement à un changement24.

L’activité agricole est donc soumise à de fortes fluctuations d’activité.

Ces fluctuations se distinguent selon leur prévisibilité : lorsqu’elles correspondent à la succession de différentes tâches agricoles et font appel à la notion de saison, elles sont relativement prévisibles; au contraire, lorsqu’elles sont liées à des incidents climatiques ou biologiques, elles sont plus difficiles à prévoir.

Dans un cas comme dans l’autre, elles exigent de la part des travailleurs agricoles une forte flexibilité et une importante polyvalence.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement - Centre International d’Études Supérieures en Sciences Agronomiques (Montpellier SupAgro)
Auteur·trice·s 🎓:
Aurélie DARPEIX

Aurélie DARPEIX
Année de soutenance 📅: École Doctorale d’Économie et Gestion de Montpellier - Thèse présentée et soutenue publiquement pour obtenir le titre de Docteur en Sciences Économiques - le 27 mai 2010
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