Le consomm’acteur: naissance d’un consommateur engagé et responsable

L’entreprise « sous pression durable » – Chapitre II :
L’entreprise mondialisée est sommée de s’engager dans des politiques de responsabilité sociale, non plus seulement sous les pressions classiques de type actionnariales et salariales, mais également sous la pression grandissante de la société civile, des organismes spécialisés, des instances internationales et même des Etats. Jusqu’alors volontaire, la Responsabilité sociale de l’entreprise apparaît désormais de plus en plus comme une nécessité, une quasi-obligation. Les grandes firmes multinationales sont plus que jamais sous haute surveillance, « sous pression durable »123.
Section 1 : Réveil de la société civile et création d’organismes spécialisés
Les temps changent, la société civile ne tolère plus les agissements « manifestement nuisibles et injustes »124 des multinationales qui se retrouvent de ce fait dans la ligne de mire des revendications citoyennes. La prise de conscience collective des risques engendrées par l’activité de certaines grandes entreprises a fait diminuer le seuil de tolérance. La société civile et la montée en puissance des acteurs non étatiques font désormais pression pour que les multinationales rendent des comptes et modifient leurs comportements.
A. Opinion publique, ONG et Médias
Qui a dit que l’opinion publique n’existe pas ? Son poids est de plus en plus grand et les multinationales en savent quelque chose. Mobilisée par les organisations non gouvernementales devenues incontournables, et relayée par des médias de plus en plus accessibles, l’opinion publique n’hésite plus à rappeler aux multinationales le contrat implicite qui les unies à leur environnement social et naturel.
1. Le « consomm’acteur » : naissance d’un consommateur engagé et responsable
Le réveil de l’opinion publique constitue un des moteurs clés de la nouvelle responsabilité d’entreprise. Le monde est devenu un « village global »125 au sein duquel évolue des “citoyens du monde”. Les progrès de transport et de communication ont permis la mondialisation des échanges économiques et financiers mais également des opinions publiques. L’émergence d’une « société civile mondiale »126 de plus en plus consciente des enjeux du développement durable et encline à s’engager dans une consommation responsable vient contre balancer le pouvoir des géants que sont les firmes multinationales. Personne ne fera plus croire que le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à la frontière française.
Si le terme altermondialiste vient qualifier une réalité contemporaine, l’activisme social n’est pas un phénomène nouveau. Paru en 1906, le livre de Upton Sinclair dénonçant les pratiques des abattoirs de Chicago fit scandale. Près de cent ans plus tard, largement inspiré de l’ouvrage de Sinclair, Eric Schlosser publiait Fast Food Nation : The Dark Side of the All-American Meal127. Si les contestations de la société civile se sont institutionnalisées au cours du XX° siècle, dès le XVIII°, en Angleterre, le boycott du sucre de canne des Caraïbes produit par les esclaves, abouti à la loi du 25 mars 1807128. Des pots de sucre portant l’inscription «Sucre d’Inde orientale non produit par les esclaves» témoigne de ce premier mouvement de consommateurs129. Les organisations de consommateurs français sont traditionnellement davantage orientées vers la défense “classique” des intérêts des consommateurs que vers la consommation engagée parfois appelée la “consomm’action”. Depuis le milieu des année 1990, des associations spécialisées dans les problématiques de RSE ont vu le jour, comme le collectif De l’éthique sur l’étiquette, et bons nombres d’organisations préexistantes ont élargi leur domaine d’action à ces nouvelles préoccupations. Ainsi, parallèlement à son activité classique de défense des consommateurs l’Union de Consommateur (UFC) –Que Choisir qui, créée en 1951, s’engage depuis 2004 dans des campagnes de RSE130.
Les consommateurs s’enquièrent de plus en plus des conditions sociales et environnementales dans lesquelles ont été fabriqués les produits qu’ils consomment et deviennent ainsi des “consomm’acteurs ”. À la question « pour vous décider à acheter un bien ou un service à une entreprise, l’engagement de celle-ci en matière de responsabilité sociale ou environnementale est-il… ? »131, 70% des personnes interrogées apportent une réponse positive. Le respect des normes sociales et environnementales apparaît désormais comme un atout marketing. L’essor du commerce dit équitable atteste de cette nouvelle sensibilité des citoyens consommateurs à des facteurs non-économiques. Quatre types de “consommation citoyenne”132 peuvent alors être identifiées: la consommation dite de “réassurance”, soucieuse des conditions sanitaires ; la consommation solidaire en vue d’un partage des ressources plus juste ; la consommation auto-limitée en vue de préserver des ressources finit et en opposition avec le consumérisme133 ambiant; et enfin la consommation eco-luxe alliant modernité et écologie. Malgré cet apparent engouement pour le socialement responsable, la vertu du citoyen a ses limites et la pratique ne suit pas toujours le discours. Selon une étude IFOP effectuée en 2008, 87% des personnes interrogées déclarent rapporter leurs piles usagées dans les points de collecte, contre seulement 30% d’après les chiffres officiels. Cette distorsion se retrouve dans nombre de comportements “citoyens” comme le commerce équitable. Tandis qu’une norme de développement durable semble être admise, les comportements ne suivent pas. Si le consommateur responsable demeure encore parfois introuvable, il n’y a aucun doute que celui-ci est en devenir et que la décision d’achat est appelée à être de plus en plus influencée par des critères extra-économiques. Le déficit d’information du consommateur est l’obstacle majeur à la diffusion de la consommation responsable. La multiplicité des labels et leur manque d’homogénéité conduit à un manque de lisibilité pour le consommateur et donc à un moindre attrait de celui-ci, découragé devant l’ampleur de l’offre éthique.
L’entreprise fait également face à un risque juridique renforcé. Le recours aux tribunaux est extrêmement développé aux Etats-Unis. Les Federal Sentencing Guidelines de 1991 donnent une échelle des sanctions pénales (si les entreprises disposent d’un code éthique celles-ci voient leur peine diminuée). La pratique américaine des « lanceurs d’alerte éthique», les Whistleblowing, a été légalisée par la loi Sarbanes-Oxley134 qui impose aux entreprises de mettre en place des procédures permettant aux salariés de dénoncer un comportement anonymement et en jouissant d’une entière protection. Après de longs débats et deux rejets consécutifs, motivés par le souci de conformité de la loi informatique et libertés135, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) fixe les conditions d’un droit « d’alerte professionnelle » début 2006136. Le pendant français du Whistleblowing était nécessaire pour les entreprises françaises cotées sur une bourse américaine et donc soumises à la loi Sarbanes-Oxley. Une telle distorsion les obligeaient à l’illégalité d’une part ou de l’autre de l’Atlantique. Contrairement à la loi américaine, la mise en place d’un tel système est facultative et les dénonciations anonymes sont filtrées afin d’éviter tout abus calomnieux. Par ailleurs, la possibilité d’une réforme introduisant en droit français le principe américain de class action permettant à un groupe d’individus ayant subi le même préjudice d’agir en justice, fait débat. Une proposition de loi devrait être déposé courant 2009. Aux Etats-Unis toujours, adopté il y a plus de 200 ans, l’Alien Tort Claims Act dit Acta est l’u
ne des législations les plus avant-gardiste en la matière. L’Acta permet à un citoyen étranger de déposer une plainte devant les juridictions civiles américaines pour la violation des normes impératives du droit international par une multinationale américaine. Depuis quelques années les affaires se multiplient. Le pétrolier Shell est la première multinationale à avoir été mise en cause par l’intermédiaire cet instrument juridique pour ses activités au Nigeria.
Traditionnellement très réticents à la RSE et partisans de la théorie instrumentale, les syndicats se sont peu à peu ouverts à la RSE. La RSE a longtemps été perçue comme un moyen de diversion, une communication de façade pour éviter toute régulation contraignante. La RSE représenterait un risque de substitution à l’action publique mais aussi à la négociation collective et donc à l’existence et à la pertinence même des syndicats. En effet, les codes de bonne conduite ou chartes éthiques ne sont que très rarement la résultante d’une consultation des parties prenantes et sont édictées unilatéralement pas la direction des entreprises. Sur le déclin, les organisations syndicales rêvent de retrouver leur contre-pouvoir perdu. Conscients des enjeux et du rôle à jouer, les syndicats s’ouvrent peu à peu à la RSE. Les syndicats qui ont l’avantage d’avoir une présence permanente dans l’entreprise apparaissent comme des tiers susceptibles de contrôler et alerter en cas d’abus de la part de l’entreprise.
Les entreprises ne sont plus seulement contraintes à êtres socialement responsables par les acteurs sociaux traditionnels comme les syndicats mais également par la société civile de plus en plus aguerrie, mobilisée en amont et relayée en aval par des porte-parole toujours plus puissants, les organisations non gouvernementales.
Lire le mémoire complet ==> (Responsabilité sociale : un nouvel enjeu pour les multinationales ?)
Mémoire pour l’obtention du Diplôme
Université PAUL CEZANNE – AIX-MARSEILLE III – Institut D’études Politiques
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123 Titre Enjeux- Les Echos, octobre 2008
124 DUSKA, Business ethics : Oxymoron or good business ?, Business Ethics Quarterly, 2000, p. 117
125 Expression popularisée par Marshall McLuhan dans son ouvrage The Gutenberg Galaxy: The Making of Typographic Man
126 RUANO-BORBALAN J-C, « la société civile mondiale : mythes et réalités », Sciences Humaines, n° 130, août-septembre 2002
127 SCHLOSSER Eric, Fast Food Nation : The Dark Side of the All-American Meal, Houghton Mifflin,
2001, p. 288
128 Loi portant sur l’abolition de l’esclavage promulguée par le roi George III
129 TIBERGHIEN Frédéric, Origines et perspectives de la Responsabilité Sociétale des entreprises, Président de l’Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE), Revue Parlementaire
130 Alternatives Economiques, n°20, p. 58
131 Sondage MORI/CSR Europe réalisé auprès de 12 162 personnes représentatives de la population européenne, 2000
132 JOLLY Cécile, L’entreprise responsable, sociale, éthique, « verte »… et bénéficiaire ?, Edition du Félin, Paris, 2006
133 BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, Gallimard, Paris, 1996, 318p
134 Loi votée le 30 juillet 2002 à la suite du scandale Enron
135 loi du 6 janvier 1978
136 « Le “whistleblowing” à la française est né », Cercle d’éthique des affaires, dans Revue Entreprise éthique, « Principes éthiques et pratiques de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) » prévenir les risques éthiques en entreprises ? », Tome II, n°29, octobre 2008

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Responsabilité sociale : un nouvel enjeu pour les multinationales ?
Université 🏫: Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III - Institut d'études Politiques
Auteur·trice·s 🎓:
Sandra Naigeon De Boer

Sandra Naigeon De Boer
Année de soutenance 📅: Mémoire pour l'obtention du Diplôme
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