Processus d’institutionnalisation du syndicat

§2-Le processus d’institutionnalisation
Le syndicat tend vers la réalisation de son objet. Dans cette optique, il exerce, au sein du milieu social où il évolue, un certain nombre de fonctions. Nous nous intéresserons ici aux fonctions que le syndicat remplit dans d’autres institutions. Il s’agit d’un véritable processus d’institutionnalisation. Il est possible de définir ce phénomène comme l’incorporation du syndicat dans une autre institution par l’exercice des fonctions de l’institution dans laquelle il est incorporé. Depuis sa reconnaissance légale par la loi du 21 mars 1884, le syndicat a connu une formidable évolution. Il bénéficie d’une présence généralisée dans bon nombre d’institutions de la vie économique et sociale. Toutefois, c’est au sein de l’entreprise et de l’Etat que le syndicat connaît une réelle intégration.
A- L’institutionnalisation dans l’entreprise
Si on reprend la thèse de Paul DURAND, l’entreprise est une véritable institution. Elle constitue une communauté de travail. Les dirigeants et les salariés, ayant des intérêts communs, participent ensemble à la réalisation de cette communauté. De plus, le dirigeant qui a la responsabilité du bon fonctionnement de l’entreprise bénéficie d’un pouvoir de direction lui permettant de sanctionner les éventuels manquements des membres du groupe. Nous retrouvons bien ici les différents éléments nécessaires à toute institution et tels que définis par Maurice HAURIOU : une idée directrice, un pouvoir organisé au service de cette idée et des manifestations de communion au sujet de l’idée.
Le syndicat, étant incorporé dans l’entreprise, connaît un processus d’institutionnalisation. Bien que consacré par la loi et par la constitution, le droit syndical, pour ce qui est de son exercice dans l’entreprise, n’a pendant longtemps fait l’objet d’aucune réglementation. Or, l’entreprise est au cœur de la vie syndicale. La loi du 27 décembre 1968102 constitue une étape essentielle dans l’évolution de l’intégration du syndicat dans l’entreprise. Elle appréhende désormais le syndicat dans l’entreprise comme un pouvoir auquel des prérogatives concrètes sont accordées : la section syndicale d’entreprise et les délégués syndicaux.
Les sections syndicales constituent, sous réserve d’un certain effectif103, le prolongement du syndicat dans l’entreprise permettant ainsi aux adhérents de se réunir, de promouvoir le syndicat ou encore de faire circuler les informations syndicales. Les syndicats représentatifs bénéficiant d’une section syndicale désignent un ou plusieurs délégués syndicaux. Le délégué syndical apparaît comme l’organe essentiel de la présence syndicale dans l’entreprise. Grâce à eux, l’incorporation du syndicat dans l’entreprise se renforce.
Les lois Auroux des 28 octobre et 13 novembre 1982 constituent une seconde étape dans le processus d’institutionnalisation du syndicat dans l’entreprise. Elles renforcent ses pouvoirs au sein de cette institution, communauté de travail. La loi du 28 octobre 1982104 étend à toutes les entreprises sans considération d’effectif les droits reconnus aux organisations syndicales de manifester leur présence par la création d’une section syndicale d’entreprise. Ce texte promulgue également une nouvelle rédaction de l’article L 411-1 du Code du travail, étendant ainsi le domaine d’intervention des syndicats. L’objet du syndicat, son idée directrice, est élargi puisqu’il ne se limite plus à la seule défense des intérêts collectifs des salariés.
La loi du 13 novembre 1982105, quant à elle, met en place la négociation collective dans l’entreprise. Désormais, tout chef d’entreprise est tenu d’engager chaque année une négociation avec les syndicats représentatifs dans l’entreprise au sujet des salaires, de la durée de travail et de son organisation. Enfin, ce texte permet aux syndicats de déroger par accord d’entreprise à des règles générales de portée nationale d’origine légale ou conventionnelle. Cette nouvelle conception de l’ordre public social accroît les pouvoirs du syndicat dans l’entreprise.
Ces diverses lois ont poussé plus avant l’incorporation du syndicat dans l’entreprise et ont ainsi favorisé son institutionnalisation. Celle-ci permet au syndicat de poursuivre son objet au plus près des réalités et des individus qu’il entend défendre. Toutefois, l’entreprise n’est pas la seule institution au sein de laquelle le syndicat joue un rôle essentiel. L’institutionnalisation du syndicat se réalise également par son incorporation au sein de l’appareil étatique.
B- L’institutionnalisation dans l’Etat
L’incorporation du syndicat dans l’Etat se fait par divers moyens. En premier lieu, les syndicats participent à des commissions consultatives mises en place par les pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau régional ou départemental, en vue de l’élaboration de la politique sociale du pays. Cette participation des syndicats se fait en dehors de toute finalité politique puisque, rappelons le, l’activité politique est interdite aux syndicats106. Au titre de ces commissions consultatives, on peut citer le Conseil économique et social, la Commission nationale de la négociation collective ou encore les Commissions départementales du travail.
L’institutionnalisation des syndicats dans l’appareil étatique se réalise également du fait de la possibilité pour eux d’élaborer au niveau national des conventions et accords collectifs. Cette prérogative leur confère un véritable pouvoir normatif, délégué par l’Etat.
De plus, il convient de noter que le syndicat s’incorpore également par le biais judiciaire. Les différends résultant de la relation individuelle de travail sont de la compétence du Conseil des prud’hommes. Les juges de cette juridiction ne sont pas des magistrats professionnels mais des conseillers élus de façon paritaire par le collège des employeurs et par le collège des salariés. L’incorporation des syndicats à l’appareil étatique intervient ici, en ce sens que les candidats au poste de conseiller prud’homal sont le fait d’une désignation par les organisations syndicales et patronales. Les conseillers élus sont, ainsi, très souvent syndiqués mais doivent accomplir leur fonction en toute impartialité. Il ne s’agit pas de juger au nom de son propre collège mais au nom de la société tout entière.
Toutefois, on ne peut évoquer l’institutionnalisation du syndicat dans l’Etat sans s’intéresser à la question du paritarisme de gestion. Le paritarisme se dit d’un système impliquant des mécanismes paritaires fonctionnant sous l’entière responsabilité des partenaires sociaux. Un système est dit paritaire lorsque diverses catégories de personnes ayant des intérêts distincts ont un nombre égal de représentants. De la sorte, les organismes paritaires sont composés à égalité de représentants des employeurs et de représentants des salariés107. On rencontre le paritarisme en matière d’assurance chômage, en ce qui concerne la gestion des caisses de Sécurité sociale où l’Etat exerce une réelle tutelle. Le paritarisme est un élément déterminant dans le processus d’institutionnalisation des syndicats. Il réalise une véritable incorporation des organisations professionnelles dans l’appareil étatique et lui confie à des degrés divers la prise de décisions dans des domaines essentiels.
Le syndicat est de plus en plus incorporé à l’Etat. Pour Maurice HAURIOU, l’institutionnalisation marquait un réel progrès. Cependant, cet aspect de l’activité syndicale a été beaucoup critiqué. Ces critiques étaient le fait, notamment, des syndicats de métier ou de ceux formés au niveau d’une seule entreprise. Pour eux, il s’agit d’une véritable « politisation » du syn
dicat. On peut, en effet, reprocher à l’institutionnalisation du syndicat dans l’Etat de marquer la fin d’une certaine conception du syndicalisme et de son rôle de défense des intérêts professionnels. De la défense des intérêts collectifs des travailleurs, les syndicats ont glissé à la défense de l’intérêt de tous, l’intérêt général. Il nous semble tout aussi légitime de voir dans l’institutionnalisation le moyen pour les syndicats d’assurer la défense des travailleurs en dehors de la stricte relation de travail.
Le syndicat, qu’il soit abordé de façon abstraite ou concrète, présente tous les critères d’une véritable institution. En lui-même, il correspond en tout point avec la théorie de l’institution de Maurice HAURIOU. Dans ses rapports avec les autres acteurs, et notamment l’entreprise et l’Etat, il fonctionne comme une institution et s’incorpore à d’autres. Cette nature institutionnelle représente-t-elle un atout pour les syndicats ou est-ce au contraire un obstacle à la pleine réalisation de son objet ? Le syndicat-institution ne porterait-il pas en lui- même du fait de sa nature un véritable paradoxe ?
107 Il est à noter que le système du paritarisme ne concerne que les cinq grandes confédérations syndicales salariées (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC) et les trois organisations patronales (MEDEF, UPA, CGPME).
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Syndicalisme et Mutualité
Mémoire de DEA de Droit Social – Université Lille 2-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
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102 Loi du 27 décembre 1968 relative à l’exercice du droit syndical dans les entreprises, JO du 31 décembre 1968, D.1969, p.28.
103 La possibilité de constituer une section syndicale dans l’entreprise n’était reconnue que pour les entreprises occupant au moins cinquante salariés.
104 Loi du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, JO n°253 du 29 octobre 1982, p.3255.
105 Loi n°82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation et au règlement des conflits du travail, JO n°265 du 14 novembre 1982, p.3414.
106 Cass.ch.mixte.10 avril 1998, Syndicat Front National de la police c/ Syndicat national des policiers en tenue et autres, RJS 1998, n°754, p.481.

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