Syndicat-institution, organisation et constitution du syndicat

La confrontation de l’institutionnel et du contractuel – Titre 2
Syndicalisme et mutualité, s’ils œuvrent tous deux pour la protection de l’homme, n’en demeurent pas moins des mouvements distincts. N’intervenant pas véritablement sur le même terrain, ils s’inscrivent dans des logiques différentes.
Les syndicats s’inscrivent dans une perspective institutionnelle. Que ce soit dans l’organisation ou dans les rapports avec les autres composantes de la société, le syndicat présentent les caractères de l’institution comme définie par Maurice HAURIOU91. Le syndicat répond donc à la définition suivante : « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autres part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglée par des procédures92 ». Mais s’il ne fait nul doute que le syndicalisme répond à une tendance institutionnelle, celle-ci est en elle-même source de paradoxe.
La mutualité présente, quant à elle, un caractère contractuel. S’inscrivant dans le domaine de la complémentarité santé et offrant à ce titre diverses prestations, elle s’apparente à un prestataire de service. Un contrat s’établit entre l’organisme mutualiste et ses sociétaires dans la mesure où ceux-ci adhèrent à l’idéologie de la mutualité qui s’engage en retour à lui fournir les prestations qui seront nécessaires. Toutefois, cette nature contractuelle n’est pas sans présenter une certaine ambiguïté.
Chapitre 1 : le caractère institutionnel du syndicalisme, source de paradoxe
A la lecture des différentes législations de la fin du XIXe siècle, il apparaît que toutes ont comme fondement le contrat. La loi du 21 mars 1884 sur l’organisation des syndicats professionnels fait, à ce titre, figure d’exception. En effet, ce texte ne comporte aucune référence au contrat alors que le syndicat est composé d’individus dont il faut régler les rapports. Ces rapports devraient, en toute logique, être régis par le Code civil au moyen de la théorie des contrats. Or, ce n’est pas le cas.
Le syndicat, bien que composé d’individus, est avant tout un groupement ne pouvant avoir comme fondement essentiel l’individu. Ce fondement, c’est la conscience collective. Par conséquent, le syndicat ne peut être de nature contractuelle : il est de nature institutionnelle. De manière abstraite comme de manière concrète, le syndicat fonctionne en tant que tel ce qui n’est pas sans lui apporter certains avantages. Toutefois, il ne faut pas occulter le fait que ce caractère institutionnel présente certains effets pervers révélant ainsi tout le paradoxe du syndicat-institution.
Section 1-le syndicat en tant qu’institution
Lors de sa consécration légale, le syndicat s’est vu octroyer une nature institutionnelle. Pour apprécier ce que cette nature emporte comme conséquences, il convient d’envisager le syndicat de deux manières distinctes et successives. Tout d’abord, il faut envisager le syndicat de manière abstraite c’est à dire qu’il convient d’appréhender le syndicat en lui-même comme étant un « syndicat-institution ». Ensuite, le syndicat doit être analysé de manière concrète c’est à dire au sein du milieu social dans lequel il évolue et voir en quoi, dans ses rapports avec les autres acteurs le syndicat se situe dans un processus d’institutionnalisation.
§1-Le syndicat-institution
Il est ici question d’envisager le syndicat de manière abstraite. Cette démarche consiste à rechercher dans le syndicat les éléments constitutifs de l’institution permettant ainsi de conclure à sa nature institutionnelle. Dans toute institution, on dénombre trois éléments : une idée directrice à savoir l’idée de l’œuvre à réaliser, un pouvoir organisé et des manifestations de communion. Certains de ces éléments sont présents au stade de la constitution du syndicat. Le syndicat est nécessairement une institution par sa constitution. Cette nature institutionnelle emporte des conséquences sur l’organisation même du syndicat. Il se révèle ainsi comme un corps hiérarchisé où règne une réelle discipline.
A-La constitution du syndicat
La nature institutionnelle du syndicat s’exprime dès sa constitution. A ce stade, divers éléments permettent de conclure à cette nature institutionnelle.
Il convient tout d’abord de s’attacher au fait d’adhésion. Selon Maurice HAURIOU, l’adhésion à une institution procède d’un phénomène spécial de consentement. Cette adhésion est accompagnée d’une véritable procédure. L’institution est un fait accompli, une procédure commencée. Dès lors, l’adhésion d’un membre est une adhésion à un fait accompli, donnée par la volonté de continuer la procédure commencée sans que cela implique pour autant acceptation du contenu de l’acte. A titre d’illustration, la décision votée par l’Assemblée s’impose à la minorité du syndicat sans que cela implique nécessairement que tous soient en accord avec le contenu de la décision. La loi du 21 mars 1884 exige que le syndicat ne soit composé que de « personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou connexes93 » : on peut parler d’adhésions spontanées à un fait posé. Les volontés individuelles, dans un tel schéma, tendent vers l’objet de l’institution permettant ainsi une individualité objective du groupement. Ce type d’adhésion est caractéristique de la forme institutionnelle.
Un autre élément tendant à confirmer la nature institutionnelle du syndicat est à rechercher dans l’objet du syndicat. Selon Maurice HAURIOU, l’idée directrice présente dans toute institution est similaire à la notion d’objet. L’objet du syndicat est légalement défini par l’article 3 de la loi du 21 mars 1884 qui dispose que « les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles ». L’objet du syndicat est donc prédéterminé par la loi de 1884. L’idée directrice du syndicat-institution est la défense des intérêts de la profession et est exclusivement professionnel. A ce titre, il lui est interdit d’exercer toute autre activité. Cette interdiction vise les activités politiques, commerciales et religieuses. Cette interdiction permet cependant au syndicat d’effectuer des actes de commerce en vue de son fonctionnement. Ainsi, il a la possibilité d’agir de manière limitée et encadrée dans d’autres types d’activité et ce, par le biais de son objet. Maurice Hauriou avait d’ailleurs précisé qu’il existe toujours une part d’indéterminé dans l’objet des institutions corporatives. Aux fins d’illustration, la loi du 28 octobre 198294 est venue élargir l’objet du syndicat. Il s’agit désormais de « l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par les statuts »95. Cette extension s’inscrit bel et bien dans une logique institutionnelle.
La nature institutionnelle nécessite enfin, au stade de la constitution du syndicat, la présence de manifestations de communion. L’article 2 de la loi du 21 mars 1884 fait référence aux personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou professions connexes. La profession, en tant que communauté de travail, constitue un lien naturel entre les membres du syndicat. Ceux-ci se reconnaissent plus facilement dans l’adhésion syndicale, en raison même de ce lien professionnel. Ce lien est l’expression de manifestations de communion spontanée.
Outre un fait d’adhésion particulier aux institutions, le syndicat présente
dès sa constitution deux des trois éléments que l’on dénombre nécessairement dans une institution : une idée directrice et des manifestations de communion. Pour ce qui est du troisième élément de la théorie de l’institution, à savoir un pouvoir organisé procurant des organes pour la réalisation de l’objet, il se retrouve également dans l’organisation du syndicat.
B- L’organisation du syndicat
L’institution est nécessairement hiérarchisée. Cela se traduit dans les faits par une séparation des pouvoirs c’est à dire une séparation des compétences entre les organes96.
Les organes d’administration et leurs pouvoirs, tout comme les droits et obligations des membres du syndicat sont librement déterminés par les statuts. Ceux-ci constituent la loi du groupement et posent les principes d’organisation et de fonctionnement du syndicat. Pour Maurice HAURIOU, l’institution a besoin d’une autonomie interne. Cette autonomie lui permet de réaliser son objet mais aussi de remplir ses fonctions97. L’institution, quelle qu’elle soit, doit donc se doter de divers organes, dépositaires de la souveraineté du pouvoir. Ainsi, va s’instaurer une organisation hiérarchique en vue de la réalisation d’un objet commun, l’idée directrice.
Cette organisation hiérarchiquement organisée se retrouve au sein du syndicat. Elle comprend deux organes essentiels qui assurent l’administration du groupement. Il s’agit, en premier lieu de l’Assemblée générale ou Congrès, assemblée délibérante qui prend les décisions importantes et assure le fonctionnement du groupement au quotidien. Qu’elle soit ordinaire ou extraordinaire, le vote des décisions adopte le mode majoritaire. Dans la conception institutionnelle, « le pouvoir de prendre des décisions est accordé à la majorité qui est l’expression organique de la volonté de l’institution98 ». Il faut toutefois noter que ce pouvoir de la majorité ne peut s’exercer de manière absolue. Deux limites garantissent le groupement contre le risque d’abus de majorité. Tout d’abord, l’organisation doit respecter l’objet de l’institution, pour la modification duquel l’unanimité est requise99. Ensuite, la majorité ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux des membres du syndicat. La majorité ne peut donc affecter ni le droit de vote des adhérents, ni leur droit de retrait.
Le second organe de l’organisation hiérarchique du syndicat est le Conseil syndical. Il est composé d’administrateurs élus par l’Assemblée générale parmi les membres du syndicat100. Le Conseil élit en son sein un bureau composé d’un président, d’un vice-président, d’un secrétaire et d’un trésorier, respectant ainsi l’impératif de hiérarchie présent dans la notion d’institution. Il représente le groupement auprès des pouvoirs publics et des autres organisations professionnelles et exécute les décisions de l’Assemblée.
L’organisation hiérarchique du syndicat lui confère le troisième élément nécessaire à toute institution. Cependant il est nécessaire que cette institution présente une autonomie suffisante. Pour cela, elle a besoin de discipline.
Le pouvoir disciplinaire syndical, s’il est reconnu par la jurisprudence, ne fait l’objet d’aucune disposition légale. L’autorité que le syndicat peut avoir sur ses membres trouve sa justification dans le fait qu’il est nécessaire à l’efficacité de l’action syndicale. Maurice HAURIOU avait envisagé une certaine indétermination du pouvoir disciplinaire de l’institution. Comme la sanction n’a pas à être acceptée par le sujet, elle n’a pas à être précisée. En raison de sa nature institutionnelle, le syndicat est habilité à donner des ordres à ses membres et à les soumettre à diverses obligations. Ce pouvoir de direction a pour corollaire un pouvoir disciplinaire. Le syndicat est dépositaire d’une autorité destinée à assurer la prédominance de l’intérêt collectif de la profession sur les intérêts individuels de ses adhérents. Selon Maurice HAURIOU, il procède de l’autorité nécessaire à tout groupement et il en est le complément indispensable.
Un tel pouvoir nécessite certaines limites101. En premier lieu, le groupement ne peut user de son pouvoir qu’en vue d’atteindre son objet. Ensuite, le principe de subordination des membres du syndicat ne peut entraîner une atteinte à leurs droits individuels. En dernier lieu, seuls les membres sont soumis à la discipline syndicale.
On retrouve au sein du syndicat tous les éléments nécessaires à la reconnaissance d’une nature institutionnelle. Dès sa constitution, il ne fait nul doute que le syndicat présente un caractère institutionnel. Cette certitude est renforcée par l’organisation de celui-ci, organisation caractéristique des institutions. Une approche abstraite n’est cependant pas suffisante pour appréhender le syndicat-institution dans son intégralité. Il convient maintenant d’examiner le syndicat de manière concrète. Pratiquement, dans ses relations avec les autres acteurs, le syndicat se comporte comme une institution. Il s’inscrit ainsi dans un véritable processus d’institutionnalisation.
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Syndicalisme et Mutualité
Mémoire de DEA de Droit Social – Université Lille 2-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
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93 Art.2 de la loi du 21 mars 1884.
94 Loi 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, JO n°253 du 29 octobre 1982, p.3255.
95 Art L 411-1 C.trav.
96 HAURIOU (M.), Principes de droit public à l’usage des étudiants en licence et en doctorat és sciences politiques, p.117.
97 Id., p.113.
98 Id., pp.137-152.
99 Cass.soc.9 mai 1968, D. 1968, p.602, note Brèthe de la Gressaye.
100 Art.L 411-6 C.trav.
101 COUTURIER (G.), Droit du travail / 2. Les relations collectives de travail, pp.314-320.

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