L’évaluation économique et financière des investissements

L’évaluation économique et financière des investissements

Chapitre 2 – L’évaluation économique et financière des investissements

Cette partie n’a pas vocation à entrer dans le détail de la technicité des outils de l’analyse économique. La littérature qui aborde les instruments économétriques d’analyse de l’investissement est suffisamment abondante. Nous cherchons ici à savoir dans quelle mesure l’analyse économique peut participer à la stratégie de l’investissement, et contribuer ainsi à la performance de l’investissement.

L’évaluation économique de l’investissement est peu développée dans le secteur public local par rapport aux entreprises. Non pas parce que les agents territoriaux n’ont pas les compétences nécessaires, mais parce que le cadre budgétaire basé sur le principe de l’annualité n’incite pas les collectivités à projeter dans l’avenir les impacts des investissements.

Les collectivités ont parfois du mal à prendre en compte l’intégralité des dépenses futures générées par un projet. De plus, si la gestion pluriannuelle de l’investissement tend à se développer, celle-ci omet souvent la prise en compte des futures charges de fonctionnement.

Dans l’entreprise, les méthodes d’analyse ont pour finalité de déceler les investissements qui permettront de maximiser la rentabilité de l’organisation, de plus en plus souvent à court terme. Si le souci de rentabilité n’apparaît pas comme une préoccupation essentielle du secteur public, le calcul économique d’un investissement public est primordial.

« Le calcul économique est une alternative au calcul politique et au calcul strictement financier [parce qu’il] réside d’abord dans le souci du long terme.

Il constitue un critère fondamental du choix de l’investissement. En évaluant les impacts économiques, l’évaluation économique des projets contribue à assurer la maîtrise des dépenses futures, et se présente alors comme une aide à la hiérarchisation des projets.

L’évaluation économique se heurte à d’immenses difficultés dans la mesure où tous les effets d’un projet ne semblent pouvoir être monétarisés. La rentabilité financière ou fiscale est rarement la finalité primordiale d’un investissement public local.

Celui-ci répond à d’autres critères d’évaluation : renforcement de la cohésion sociale, augmentation du bien être de la population, préservation de l’environnement… Comment quantifier alors des éléments qui revêtent une dimension purement qualitative ? Des études sur la valeur du temps, du coût des nuisances et de la pollution, et même sur la valeur de la vie humaine existent ; elles peuvent être prises en considération. Elles se proposent de mesurer «l’utilité sociale » des investissements publics.

Les analyses économiques et financières viseront à évaluer le coût réel de chaque investissement ainsi que les charges nettes de fonctionnement induites. Elles permettent de mesurer les impacts financiers des projets sur l’ensemble de la collectivité. Ces analyses s’appuient sur l’estimation de la durée de vie des biens. Les résultats seront interprétés par des outils de comparaison. Enfin, l’évaluation de la rentabilité économique des projets contribue également à la prise de décision politique.

I. Des outils pour chiffrer le coût réel d’un investissement

Deux types de coûts doivent être analysés : ceux propres à l’investissement et à son futur fonctionnement, et ceux générés par les conséquences de l’investissement sur son environnement. Michel Klopfer appelle les premiers « éléments non récurrents », et les autres « éléments récurrents».

1) L’analyse des coûts propres à l’investissement

La diversité des coûts d’un investissement nécessite de se prémunir d’une méthodologie pour n’en omettre aucun. Nombreuses sont les collectivités qui voient le montant d’un projet déraper parce qu’un des éléments n’avait pas été anticipé. Il s’agit de s’attarder sur :

  1. 1. Les coûts préalables à la réalisation de l’investissement. Ceux-ci sont essentiellement des investissements incorporels tels les coûts d’études ou les frais d’actes.
  2. 2. Les coûts de réalisation à proprement parler, qui sont des investissements corporels, comme les coûts d’acquisitions immobilières (bâties ou non), de démolition, de dépollution, de travaux et de mobilier.
  3. 3. Les coûts de lancement d’un équipement peuvent se partager entre le fonctionnement et l’investissement. C’est le cas du « premier équipement » appelé aussi « besoin en fond de roulement » (BFR) qui prend en compte les stocks (ex : le linge d’une crèche, la vaisselle d’un équipement scolaire, le fond documentaire d’une médiathèque…) et parfois des comptes clients (notamment pour les équipements de nature industrielle et commerciale).
  4. 4. Les coûts de fonctionnement induits : frais de personnel (l’ouverture d’un équipement suppose souvent des frais d’embauche et de formation), coût des fluides (énergies), coûts d’assurance…mais également les futurs coûts d’entretien et de maintenance (évaluable selon la qualité des matériaux et leur utilisation).

De trop nombreux projets ne prennent pas en considération l’intégralité des coûts d’investissement d’un projet. Pire, très fréquemment, des projets sont décidés sans même anticiper les coûts de fonctionnement induits. Les élus raisonnent souvent sur le court terme pour des raisons électoralistes, ne privilégiant ainsi que l’étude des coûts d’investissement. Tous ne sont pas soucieux de ce qui adviendra à l’issu de leur mandat. Dès lors, les impacts sur le fonctionnement ne les intéressent pas toujours.

Comme le soulignent certains cadres territoriaux, les exigences des élus deviennent parfois paradoxales : ceux-ci réclament à la fois des compressions des dépenses courantes de fonctionnement (notamment de la masse salariale), et des augmentations des dépenses d’investissement (pour accroître ou améliorer les équipements). Or, comment faire vivre un nouvel équipement sans lui donner les moyens de fonctionner ? Un investissement engendre forcément des dépenses de fonctionnement.

L’analyse approfondie des coûts doit permettre d’améliorer les anticipations des dépenses futures. Elle est un moyen d’évaluer les besoins futurs de la collectivité en ressources financières, humaines et techniques.

En soustrayant les coûts aux ressources propres au projet, la collectivité peut dégager les charges nettes du bien, tant pour son investissement que pour son fonctionnement.

Cette démarche est loin d’être généralisée. Elle se pratique néanmoins via certains outils d’urbanisme comme les conventions d’aménagement ou contrats de partenariats, qui en associant plusieurs acteurs au financement d’investissements, font apparaître les charges nettes des investissements pour la collectivité.

Les collectivités reçoivent pour leurs investissements des financements de l’Etat notamment via l’Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain (ANRU) ou l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), des offices publics de l’habitat (OPH), d’autres collectivités, de leur EPCI … sous la forme de subventions ou de fonds de concours.

Les ressources de fonctionnement intrinsèques aux équipements sont essentiellement constituées des droits d’entrées et de participation des usagers.

L’anticipation des charges nettes d’investissement et de fonctionnement est un moyen de sélectionner les projets. Un autre critère financier aidant à la prise de décision peut être l’analyse des incidences financières dans l’environnement de la collectivité.

2) L’analyse des incidences financières dans l’environnement de la collectivité

Un investissement est rarement sans conséquences sur l’environnement finan

cier de la collectivité. Un investissement peut paraître de prime abord très intéressant (parce qu’une opportunité de subvention se présente, parce que le prix de l’immobilier est avantageux…) et annoncer par la suite des dépenses faramineuses (parce qu’il nécessite d’autres investissements, des formations de personnel, …), voir des pertes de ressources (s’il a conduit par exemple à la fermeture d’un équipement qui s’avérait en finalité socialement plus rentable).

Il s’agit alors de mesurer l’ensemble des conséquences générées par le nouvel investissement, ou a contrario évaluer les effets induits par l’absence de cet investissement. Le tableau suivant propose une structure permettant de mesurer les incidences financières internes et externes d’un investissement65. Il s’apparente à une analyse des risques du projet.

Investissement X
Nouvelles dépensesFrais de personnel, énergie, assurances, frais généraux, transports …
Dépense économiséesFrais que la collectivité engageait annuellement jusque-là et qui seront

économisés. Ces économies sont dégagées par des investissements

de productivité (ex : outils informatiques) ou de renouvellement (ex :

investissement d’économie d’énergie).

Nouvelles recettesUn équipement génère de nouvelles recettes : subventions, redevances perçues sur les usagers, FCTVA…
Manque à gagnerPertes de recettes occasionnées par l’éventuelle suppression d’un ancien équipement du fait du nouvel investissement.
Total des Incidences

Cette analyse se présente comme un filtre au choix de l’investissement. Il est un des moyens de peser les avantages et les inconvénients, du point de vue financier. Les choix de l’investissement doivent aussi être pris en étant capables de situer le montant de l’investissement par rapport à d’autres investissements de même nature.

3) Des outils de comparaison nécessaires

Evaluer la pertinence financière d’un investissement suppose que les coûts de celui-ci puissent être comparés avec les coûts d’investissements similaires.L’importance ou la faiblesse des charges d’un investissement ne s’apprécie pas qu’à l’aune de la part qu’il représente dans le budget global ou dans celui de la politique publique dont il relève.

Juger le montant d’un investissement suppose d’avoir au préalable une idée du coût « type » d’un tel investissement. Il s’agit alors de « benchmarquer », de comparer les coûts du projet aux coûts d’un projet similaire déjà effectué par la collectivité ou par une autre collectivité.

Pour cela, des collectivités ont entrepris des démarches d’élaboration de référentiels de coûts d’équipements. Les documents réalisés permettent de connaître le coût d’un investissement par mètre carré (ou par nombre d’usagers ou autre unité d’œuvre), et le coût de fonctionnement induit, pour chaque type d’équipement.

La détection de coût standards par type d’opérations constitue un réel outil de références permettant d’améliorer le prévisionnel, de mieux connaître et maîtriser la structure des coûts d’investissements et de se comparer sur les grandes masses aux autres collectivités.

Les villes de Paris et de Lyon ont entrepris ce genre de démarche. La ville de Paris a développé un logiciel informatique adapté, et la ville de Lyon s’est basée sur des méthodologies initiées notamment par le secteur bancaire66. La difficulté de ce genre de démarche est de ne pas tomber dans des comparaisons grotesques. Car il faut savoir tenir compte de la spécificité, de la singularité de chaque investissement (les contextes spatiaux, temporels, les natures des interventions n’étant jamais les mêmes).

Les comparaisons nécessitent également d’être vigilant quant aux évolutions de l’inflation et des indices d’actualisation (les coûts du bâtiment pouvant augmenter de plus de 6% d’une année à l’autre), et quant à la nature des unités d’œuvre choisies.

Par ailleurs, ce genre de démarche suppose une rigueur méthodologique et une conception partagée en interne sur l’intérêt de l’analyse. En effet, les données émanent souvent des directions techniques et opérationnelles. L’enregistrement des données de manière régulière et en suivant des méthodes identiques est nécessaire pour disposer de données fiables. C’est souvent sur ce point qu’échouent certaines collectivités.

4) Evaluer la durée de vie et la valeur résiduelle d’un investissement

Analyser le coût futur d’un investissement suppose de définir le cadre temporel dans lequel s’exerce l’analyse. Ce cadre correspond à la durée de vie de l’investissement. Il est difficile d’anticiper la mort d’un investissement. Quand celui-ci ne sera plus utilisé, il en restera toujours quelque chose. Cela signifie qu’en fin de vie, il aura toujours une certaine valeur. C’est ce qu’un gestionnaire appelle la « valeur résiduelle ».

Le cadre temporel de l’analyse d’un investissement peut s’appuyer sur :

  1. 1. La durée de l’amortissement comptable (déterminée par les nomenclatures budgétaires et comptables),
  2. 2. La durée de l’amortissement réelle, c’est-à-dire liée à l’obsolescence ou à l’usure effective du bien,
  3. 3. Une durée politique qui peut correspondre au temps admissible de réussite du projet ou de la politique menée (ce délai étant fixé par les décideurs lors de l’analyse stratégique),
  4. 4. Une durée infinie peut être choisie pour certains investissements. Le risque est alors de surestimer le rendement de l’investissement.

Le laps de temps choisi doit être raisonnable. Une entreprise, peu opter pour un de ces temps, mais le plus souvent, elle privilégie la durée commerciale (qui correspond au temps dont l’entreprise dispose avant que son produit ne soit dépassé par la concurrence, le temps est alors décidé par le marché).

La valeur résiduelle retenue est en principe celle des immobilisations qui peuvent être réutilisées dans un autre cadre, comme le terrain et les bâtiments nus. Il s’agit de la valeur vénale des biens qui ne sont pas liés trop fortement au projet, de sorte à pouvoir être employés à nouveau dans un autre contexte67.

La durée de vie de l’investissement permet de calculer leur rentabilité économique, laquelle peut constituer un autre critère de sélection des projets.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Investissement et performance. De la conception stratégique à la gestion opérationnelle
Université 🏫: Université Lumière Lyon 16
Auteur·trice·s 🎓:
Emeric Gregoire

Emeric Gregoire
Année de soutenance 📅: Mémoire pour le Master professionnel Management du secteur public : collectivités et partenaires - 2007
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