Qu’est-ce que la monnaie ? Les échanges avec argent 

Qu’est-ce que la monnaie ? Les échanges avec argent
II. SEL vs. Système dominant

« (…) La où existent les propriétés privées, là où tout le monde mesure toute chose par rapport à l’argent, il est à peine possible d’établir dans les affaires publiques un régime qui soit à la fois juste et prospère ».

1. les échanges avec argent et sans argent

Smaïn Laacher inscrit les SEL dans un « mouvement de critique du statut et de la vocation de l’argent comme mode dominant de régulation de l’économie ». La mise en cause de l’argent capitaliste, générateur présumé des grands problèmes sociaux, serait le nerf du combat SEL. La position de Laacher – également tenue par Terris dans son SEL mode d’emploi – n’est pas tenue par toutes les p.i. Rares sont finalement les répondants qui se sont rangés derrière la critique de ce maître exigeant et injuste qu’est l’argent :

« Parce que l’argent c’est pas sale, l’argent c’est une énergie comme autre chose. L’argent… Mais malheureusement, dans nos éducations, on a souvent mis l’argent au membre de « sale »; ce qui n’est pas la réalité. L’argent pour moi c’est une énergie comme autre chose » [2.775].

A BruSEL, on ne diabolise pas l’argent, loin s’en faut. L’argent n’est pas sale, pas pervers, c’est une façon de circuler positivement, un symbole qui nous permet de nous acquitter de toutes les dettes [5.588, 6.611, 7.143]. Et à ce titre – bien qu’il puisse nous corrompre, nous pourrir les relations, nous faire rentrer dans des rapports de domination ou dans des rapports inhumains [5.596, 5.517, 7.433] – il faut nous compromettre avec lui. Il est aujourd’hui impossible de vivre sans [5.353, 5.361, 8.257, 6.579, 6.586, 6.587, 6.594, 9.192].

Quand à la monnaie de SEL, elle n’est donc pas une alternative à l’échange avec argent, ni même au capitalisme [3.402, 4.599]. Elle n’efface ni les soucis financiers ni l’intérêt de chacun pour l’argent [1.777, 1.1302, 2.597, 3.114, 3.391, 3.428, 5.379, 9.194], mais facilite la vie [3.166, 3.202, 13.51], améliore la qualité de vie, permet d’avoir prise sur elle, rend les relations plus vraies, plus justes, plus équilibrées et plus humaines.

Aux vues de ces témoignages, il n’est pas tenable de présenter BruSEL comme étant essentiellement un mouvement de critique de l’argent. Le SEL est – dirions nous – moins une critique de l’argent capitaliste qu’une critique de l’« existence capitaliste ».

C’est-à-dire que la critique n’est pas destinée à une troisième personne : « ça, l’argent sale», « eux, les capitalistes cyniques». C’est plutôt d’une forme d’autocritique qu’il s’agit : c’est nous, en tant que nous participons du capitalisme, qui passons au crible. Selon la formule consacrée, c’est nous-même qui – en échangeant – sommes appelés à changer. Le changement social auquel ouvrent les SEL se fait ainsi par le truchement d’un réveil de nos consciences [12.92, 12.409]. Le changement politique s’opère ici essentiellement dans les mentalités, les manières de faire, de sentir et s’agir.

Le fait de changer un élément de structure (en l’occurrence, l’argent) dans de si disparates petits groupes n’a pas pour but premier de déstabiliser un ‘système’ aussi polymorphe et aussi puissant que le capitalisme, mais de transformer les mentalités, d’effacer l’esprit de lucre [6.442, 6.453, 6.435], bref, d’agir sur nous-mêmes, nous à qui l’existence capitaliste a pu faire oublier ce que « être libre » et « vivre ensemble » voulaient dire.

La critique de l’argent et des structures capitalistes n’est bien entendu pas absente des discours des répondants (les ‘multinationales’ et les ‘holding financiers’ sont pointés du doigt [cf. p.i. 6 et 12]); mais elle a une importance secondaire. Ainsi, nous révoquons la formule de Laacher : « mouvement de critique du statut et de la vocation de l’argent comme mode dominant de régulation de l’économie ». Et en référence à la formule de Christian Arnsperger, nous privilégions la formule suivante : « mouvement d’action sur l’existence capitaliste ».

1.1. Les échanges avec argent : Qu’est-ce que la monnaie ?

Une analyse des fonctions et des significations liées à l’argent est ici nécessaire. Michel Bruguière utilise l’analogie du ticket de consigne pour qualifier la monnaie : son coût de production est négligeable mais on lui attribue néanmoins une « valeur » du simple fait qu’elle donne accès à ce qui a été déposé dans la consigne. De même, la monnaie est une « non-valeur » à laquelle on a accordé une utilité.

« Les théories dépassées ne disparaissent pas d’un seul coup ; elles s’étiolent progressivement. C’est la raison pour laquelle on enseigne encore dans certains cours professés dans les universités du monde entier que la monnaie a une valeur, comparable à la valeur des biens réels. C’est complètement erroné.

La science économique aurait progressé plus rapidement si elle avait pleinement pris en compte la nature de la monnaie bancaire. Comment les unités de monnaie de banque, simples écritures de nombres dans des livres comptables (monnaie secondaire) ou sur du papier « volant » (monnaie centrale), auraient-elles la moindre valeur ? Et, puisque la monnaie est privée de valeur, comment concevoir que les biens qu’elle permet d’acheter sont, quant à eux, des valeurs positives ? ».

Afin d’asseoir la légitimité du système d’échange, on a instrumentalisé une proposition fausse qui consiste à dire que l’argent a une valeur économique. Bruguière, James et Schmitt rappellent que la valeur économique d’un bien ne réside ni dans le bien même ni dans la valeur qu’il a aux yeux de son détenteur mais dans la relation qui l’unit à un ou plusieurs autres biens : c’est à partir du moment où deux objets sont mis à équivalence qu’on peut légitimement dire de chacun qu’il est/a la valeur de l’autre.

Or on ne peut établir la valeur d’un bien relativement à un autre que si ces deux biens sont similaires, donc la valeur monétaire n’est pas relative mais absolue : en toute rigueur de termes, elle n’a donc pas de valeur économique. L’argent est une non-valeur érigée en valeur absolue.

Depuis Aristote, on définit comme suit les trois fonctions de la monnaie : unité de compte, instrument de paiement et réserve de valeur. Mais la monnaie moderne a ceci de différent de la monnaie antique qu’elle est – non plus indifférenciée et plurifonctionnelle – mais composée de trois unités de monnaie distinctes correspondant à chacune des trois fonctions susmentionnées.

i. la monnaie en tant qu’unité de compte

Avant son émission, la monnaie n’est qu’un pur nombre n’admettant aucune association avec les biens réels. « [La monnaie en tant qu’unité de compte] est bien une grandeur nominale, mais une grandeur qui, justement parce qu’elle est nominale, n’appartient pas (encore), ni en elle-même ni par représentation, à la classe des biens économiques ». C’est un nombre qui n’a de la monnaie que le nom (franc, dollar, etc.).

ii. la monnaie en tant qu’instrument de paiement

C’est le moment de la monétisation de la production. Si la forme du payement des facteurs de production est nominale ou numérique, le paiement des facteurs est lui bel et bien réel et non nominal. « Les deux monnaies, unité de compte et unité de paiement, sont donc l’une et l’autre ce qu’une forme vide est à une forme emplie d’un produit. Les unités de compte ne peuvent pas figurer dans les paiements ; et les unités de paiement dérivent toute leur force libératoire non de la confiance du public, comme on le dit encore souvent, mais du produit qu’elles contiennent objectivement ». L’unité de payement absorbe ou libère un bien produit. En tant qu’elle absorbe un bien produit, elle participe

du marché des facteurs de production. En tant qu’elle libère un bien produit, elle participe du marché des produits. Reste à définir l’unité de réserve.

iii. La monnaie en tant qu’unité de réserve

Elle consiste en le maintien dans un intervalle de temps d’un produit dans sa forme monétaire. C’est un pouvoir d’achat actuel changé en un pouvoir d’achat futur (on parle de réserve de valeur monétaire).

« Les agents qui se constituent des réserves monétaires de valeur déposent donc dans leur patrimoine des produits futurs et non un « bien monétaire », qui serait doté en permanence de quelque mystérieuse valeur propre.

Dans ces conditions, l’épargnant trouvera finalement un autre produit, c’est-à-dire le produit d’une autre période, postérieure. Et la somme de monnaie prétendument conservée par l’épargnant disparaît, elle aussi, dans la période où l’épargne est formée, si bien que la valeur apparemment réservée est en fait une valeur qui ne se formera, autour d’un nouveau produit, que dans la période où ce capital se dénouera, l’épargnant devenant alors consommateur ou investisseur ».

Th. More, L’utopie, Paris, Flammarion, 1516, (1987) p. 128

S. Laacher, op cit., p. 14

La formule est tirée de l’introduction du « SEL, mode d’emploi » (cf. « SEL, mode d’emploi », op cit., p. 3), rédigée par Terris.

S. Laacher, op cit., p. 14

Ch. Arnsperger, Critique de l’existence capitaliste, Paris, Cerf, 2004.

M. Bruguières, E. James & B. Schmitt, « La monnaie » in E. Universalis 9.

Id.

Ibid.

En conclusion, l’unité de compte est la monnaie proprement dite, l’unité de payement est le revenu monétaire et l’unité de réserve est le capital monétaire.

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