Le régime social-démocrate et le régime libéral

Le régime social-démocrate et le régime libéral

1.2 Le régime social-démocrate

Le régime social-démocrate présente des droits de démarchandisation très développés et universels qui sont construits sur la base de la citoyenneté. L’ensemble des citoyens, y compris ceux qui n’ont aucun ou de très faibles liens avec le marché du travail, voient leurs droits de démarchandisation être consolidés :

«Scandinavian welfare states are ‘decommodifying’ in Esping-Andersen’s terms, that is, citizenship rather than market participation and market positions forms the basis for entitlement to income or publicly provided goods and services, and individuals suffer relatively small losses of income from exiting paid work temporarily or permanently.»

L’État offre de généreux soutiens à ceux qui doivent se retirer momentanément du marché du travail, sans toutefois encourager leur dépendance financière vis-à-vis les prestations étatiques. L’architecture de la protection sociale repose sur des objectifs de plein-emploi qui commandent la mise en activité d’un maximum d’individus et des efforts soutenus pour limiter le chômage. Dans les pays nordiques, l’approche active de l’État à l’égard du chômage témoigne entre autre de l’apport des mécanismes de protection sociale à l’atteinte du plein-emploi:

«It is a trademark of contemporary welfare policy in Scandinavia to advocate a so-called active approach to dealing with unemployment. The idea is to change the balance from passive income support to active job and skill creation through mandatory and voluntary training, education, sheltered employment and job subsidies. »

L’universalité de la protection sociale dans le régime social-démocrate se traduit par un large éventail de prestations et de services financés par l’État. Les programmes de transferts, comme l’assurance-chômage et les régimes de pensions, présentent des conditions d’éligibilité accessibles à une grande majorité des individus et des taux de remplacement généreux.

Cet important appareil de transferts se double d’un imposant système de services qui confère à l’État une dimension active dans l’articulation du bien-être de ses citoyens: la santé, l’éducation (du niveau pré-scolaire au niveau universitaire), la formation professionnelle, les services aux personnes dépendantes (enfants et aînés), services aux personnes handicapées, etc.

L’approche universaliste et égalitaire au fondement de la protection sociale dans le régime social-démocrate contribue à construire des relations de solidarité entre classes sociales : «All citizens are endowed with similar rights, irrespective of class or market position. In this sense, the system is meant to cultivate cross-class solidarity, a solidarity of the nation.» L’État engage donc un effort soutenu pour amenuiser les inégalités sociales.

Le régime social-démocrate est celui qui présente l’éventail le plus développé de politiques sociales défamilialisantes. L’État offre une vaste gamme de prestations qui sont à même de collectiviser le poids des responsabilités familiales et de faciliter la conciliation travail/famille À cet effet, les allocations familiales et les congés parentaux constituent des mesures importantes pour améliorer les ressources financières des familles et compenser les sorties temporaires du marché du travail des parents avec de jeunes enfants.

Les congés parentaux peuvent être pris par la femme ou l’homme et présentent des taux de remplacement assez élevés : en Suède par exemple, ils représentent 90% du salaire et sont octroyés pendant une période de 94 semaines.

Il faut aussi souligner que l’instauration de congés parentaux réservés exclusivement aux hommes constitue une mesure défamilialisante avant-gardiste, dans la mesure où elle cherche à rompre avec un modèle traditionnel de division sexuelle du travail au sein de la sphère domestique : «En réservant une partie des congés aux pères, on fait un effort réel pour influencer le partage du travail à domicile et pour modifier l’équilibre entre les sexes dans le partage des responsabilités de la prise en charge familiale.»†

L’État finance aussi un vaste réseau de services à la famille dont les services à la petite enfance (garderies) constituent la pierre angulaire. Les services de garderie sont reconnus pour leur qualité et leur rôle formateur dans le développement des jeunes enfants : « (…) child-care institutions are not just car parks for children during parents’ work hours, but also have strong elements of socialization.» Au-delà du bien-être des jeunes enfants, ces services facilitent la conciliation travail/famille pour les parents, et particulièrement pour les mères. À cet effet, la création d’un système de garderies publiques cherchait en partie à consolider l’intégration sur le marché du travail des femmes ayant des enfants « (…) on peut également avancer que la nécessité d’une prise en charge publique de la petite enfance découlait de la présence des mères sur le marché du travail.»†

1.3 Le régime libéral

Dans le régime libéral, la primauté du marché dans l’articulation des mécanismes de protection sociale est à la base de la faible étendue des droits de démarchandisation. L’État intervient dans une optique de résidualité en ciblant les acteurs et les groupes sociaux dont les liens avec le marché sont les plus effrités ou dissous.

L’État consent à octroyer une assistance minimale à ceux qui sont en périphérie du marché du travail et qui sont le plus dans le besoin, exigeant dans bien des cas une démonstration des besoins et des ressources des prestataires.

La protection sociale s’inscrit à cet effet dans une tradition de means-testing selon laquelle les prestations octroyées sont ajustées proportionnellement aux besoins des prestataires: «Means-testing implies that the claimant of a benefit may be disqualified for the benefit if her or his property or wealth exceeds a certain limit, or receive the benefit at a reduced rate if the property or wealth is small.» L’architecture de la protection sociale est plutôt minimaliste : les taux de remplacement des transferts publics (assurance-chômage, pensions, etc.) sont très faibles et assurent un minimum de sécurité aux prestataires qui y ont accès.

L’État encourage le recours à des mesures de protection sociale privées et a une présence relativement effacée. La confiance dans le marché propre à ce régime s’inscrit dans la pensée libérale qui conforte l’individualisme, comme le souligne Esping-Andersen :

« The general assumption in liberalism is that the market is emancipatory, the best possible shell for self-reliance and industriousness. If not interfered with, its self-regulatory mechanisms will ensure that all who want to work will be employed, and thus be able to secure their own welfare. Private life may be wrought with insecurity, danger, and poverty and helplessness is in principle not unlikely to occur. Yet, this is not a fault of the system, but solely a consequence of an individual’s lack of foresight and thrift.»

L’importance des mesures privées de protection sociale dans le régime libéral tend à renforcer les inégalités sociales et donne forme à une stratification sociale qui est à la mesure de la stratification dans le marché:

« Bargained or contracted private welfare will logically replicate market inequalities, but is also guaranteed to prevail mainly among the more privileged strata in the labour force; it will certainly not address the welfare needs of the most precariously-placed workers.»

En somme, le régime libéral est associé à une stratification fondée essentiellement sur les inégalités du marché.

Dans les pays libéraux, les politiques sociales relatives à la famille sont plutôt passives. Dans une optique de résidualité, l’État accorde de maigres prestations aux familles les plus nécessiteuses et met très peu (ou pas du tout) de services à la disposition des familles et des aînés. La plupart des familles sont appelées à se tourner vers le marché, notamment pour les services de garde et les centres d’hébergement pour personnes âgées.

Le peu de mesures destinées à la famille pèse lourd sur les inégalités sociales : les familles monoparentales et celles dont les revenus se situent tout juste au dessus des seuils requis pour l’octroi de prestations doivent composer avec très peu de ressources pour assurer leur bien-être. La primauté et la centralité du marché dans les pays libéraux font de l’intégration au marché du travail le vecteur de l’intégration sociale.

Ceci peut expliquer que malgré le peu de mesures offertes aux familles, les femmes sont largement présentes sur le marché du travail, au même titre que dans les pays sociaux-démocrates. Sans pour autant renforcer le modèle de l’homme gagne-pain et de la femme-ménagère, la résidualité et la passivité des politiques familiales ne tendent pas à collectiviser le poids des responsabilités domestiques des familles, notamment celles des femmes.

J. Stephens (1996) «The Scandinavian Welfare States: Achievements, Crisis, and Prospects», dans G. Esping-Andersen (ed.) Welfare States in Transition: national adaptations in global economies, London, Sage Publications, p.36

P. Abrahamson (1999) «The Scandinavian Model of Welfare: Comparing Social Welfare Systems in Nordic Europe and France», dans Rencontres et recherches, vol. 4, p.45

G. Esping-Andersen (1991), op. cit., p.23

A. Leira (1999). «†Cash-for-childcare and daddy leave†», dans P. Moss et F. Deven (éd.) Parental Leave†: Progress or Pitfall†? Research and Policy Issues in Europe. Bruxelles, NIDI CBGS Publications, p.275

J. Kvist (1999) «Welfare Reform in the Nordic Countries in the 1990s: Using Fuzzy-Set Theory to Assess Conformity to Ideal Types», dans Journal of European Social Policy, vol. 9, no.3, p.240

G.B. Eydal (2003) «Politiques de la petite enfance dans les pays nordiques», dans RIAC – Lien social et politiques, 50, p.167

W. Korpi et J. Palme (1998) «The Paradox of Redistributing and Strategie of Equality : Welfare State, Institutions, Inequality, and Poverty in the Western Countries», dans American Sociological Review, vol.63, no.5, p.662

G. Esping-Andersen (1991), op. cit., p.42

Ibid., p.64

En ce sens, l’articulation travail/famille se fait plus difficilement que dans les pays sociaux-démocrates, du moins pour les familles qui ne disposent pas de revenus suffisants.

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