Motivation, jeux vidéo et apprentissage

3. 1. 2. Motivation, jeu et apprentissage Les approches traditionnelles de la motivation en éducation se réduisent souvent à deux choses: la motivation, dans un premier temps, de participer à une tâche et, dans un second temps, de persister dans la tâche (Lepper, 1988). La motivation est également souvent expliquée en termes de raisons extrinsèques ou intrinsèques de choisir de participer. Facteau, Dobbins, Russel, Ladd et Kuddish (1995) en ajoutent une troisième: la conformité/l’accord/le penchant pour les environnements d’apprentissage. Il faut, en effet, également distinguer entre la motivation que l’on a envers l’utilisation de l’outil: l’ordinateur (dans le cas qui nous intéresse) et la motivation envers l’objet d’apprentissage, le contenu. Mais on ne peut pas dissocier complètement ces deux facteurs qui interagissent dans les situations d’applications concrètes. En matière de motivation, plusieurs paramètres sont donc à prendre en considération : «pourquoi apprendre?», «quoi apprendre?» et «comment apprendre?», et il s’agit là de trois aspects d’un même sujet, chacun étant nécessaire pour définir l’autre, et que l’on pourrait regrouper ainsi : « Pourquoi et comment apprendre quoi ? ». Il en va de même pour la dichotomie entre motivation intrinsèque et extrinsèque – deux notions que l’on a tendance à opposer – mais qui se brouillent souvent dans les situations de la vie de tous les jours. Les motivateurs extrinsèques sont extérieurs à la personne (obtenir de l’argent, des compliments, éviter des conséquences négatives) alors que les motivateurs intrinsèques viennent au contraire de l’intérieur de la personne (intérêt personnel, curiosité, satisfaction). Les théories béhavioristes avaient plutôt tendance à se concentrer sur la motivation extrinsèque et à faire des récompenses le «motivateur» le plus important. Les théories cognitives s’attachent plutôt à rechercher la manière de provoquer chez l’apprenant une motivation intrinsèque. La motivation sert donc ici à créer des intentions et à inciter l’apprenant à agir en se tournant vers un but auquel il pourra attribuer une signification. Thomas Malone et Mark Lepper (1987), qui se sont tout particulièrement penchés sur la motivation et le jeu dans un contexte d’apprentissage, affirment que la motivation est ici intrinsèque par nature, ce qui veut dire qu’on s’engage dans un jeu pour le jeu et non pas pour recevoir une récompense externe. Ils citent un certain nombre de caractéristiques que l’on retrouve dans les environnements intrinsèquement motivants (sans réduire ces environnements aux jeux) : le défi (challenge), la curiosité, l’imagination/imaginaire (fantasy), et le contrôle. Et, d’après eux, c’est le jeu qui parvient le mieux à réunir toutes ces caractéristiques. D’autres chercheurs ont ajouté des précisions à ces propriétés de base, il est possible de les résumer comme suit: -*– L’imagination/imaginaire (fantasy) (le scénario dans lequel l’activité est inclue) est utilisé pour encourager les apprenants à imaginer qu’ils réalisent leur activité dans un contexte dans lequel ils ne sont pas présents, et l’idée est que s’ils sont attirés par le contexte, ils seront également attirés par le contenu. Dans cette perspective, les jeux vidéo sont, plus que tout autre média, aptes à permettre la mise en oeuvre de cette projection dans l’imaginaire car ils ne sont pas restreints par des limitations d’espace, de temps ou de gravité. Les « fantasies » représentent en outre des métaphores pour des choses avec lesquelles le joueur est déjà familiarisé. D’après Johanna McGrenere (1996), le son peut être considéré comme un élément de « fantasy » et représente un facteur de motivation important. Il a en effet été démontré que les joueurs réalisaient des scores moindres dans les salles d’arcades quand on rendait les jeux muets (Hereford et Winn, 1994). En effet, le sentiment d’immersion que suscitent bon nombre de jeux est partiellement dû aux stimuli que la coordination entre son et image et le rapport entre action du joueur et réponse sonore du programme sont capables de provoquer. (A noter que le terme «fantasy» est souvent traduit par «fantaisie» dans les textes en français sur le sujet, ce qui n’est pas vraiment approprié.) -*– Le challenge (niveau de difficulté) et la curiosité (introduction de nouvelles informations et de résultats non-déterminants) fonctionnent de pair et correspondent au processus d’équilibre de Piaget: confronté à un problème sans solution immédiate, l’apprenant va chercher une solution si elle apparaît à sa portée puisque le contexte sera intéressant en soi puisqu’il aiguisera la curiosité de l’apprenant. Il est pour cela nécessaire de concevoir des tâches qui ne soient ni trop faciles, ni trop difficiles afin d‘éviter l’ennui ou le découragement. Ce challenge, requis pour maintenir l’engagement du sujet correspond donc à la zone de difficulté dans laquelle l’apprentissage a lieu. Ajoutons que la curiosité est, elle, considérée comme une conséquence d’un «conflit conceptuel» et peut être créée par le doute, la perplexité, la contradiction, l’incongruité et la non pertinence. Et pour être en mesure de générer, maintenir et entretenir le challenge et la curiosité, un certain nombre de facteurs sont à prendre en considération : -*– La présence de buts (qu’il s’agisse d’un but auquel on adjoint des sous-buts ou d’un but unique) semble être un des facteurs les plus déterminants dans la popularité des jeux. A l’école, les enfants et adolescents ne voient pas toujours l’intérêt d’étudier. Quand ils jouent, ils travaillent vers un but clair – sauver quelqu’un, amasser de nouveaux pouvoirs, découvrir des secrets…). L’attrait de ces buts donne au joueur la motivation nécessaire à son désir de poursuivre sa quête ou sa progression dans l’univers créé par le jeu. -*– Mais la présence du seul but ne suffit pas: il faut y adjoindre une certaine incertitude concernant l’enjeu, un élément aléatoire, de «randomness». En réalité, le challenge se trouve renforcé quand le joueur n’est pas certain d’atteindre son but. L’imprévisibilité du résultat est ici un élément clé car le fait de ne pas connaître le résultat à l’avance active le désir de poursuivre et de tendre vers le but. L’ensemble des stratégies cherchant à augmenter la curiosité de l’apprenant se basent le plus souvent sur l’effet de surprise. Il peut s’agir d’une surprise sensorielle, comme un son inattendu, ou d’une surprise cognitive, telle que présenter un résultat paradoxal qui va intriguer l’apprenant, ce qui va le pousser à aller chercher une explication sensée pour un fait aussi étrange et donc le conduire à explorer de nouvelles zones du domaine étudié. On peut également provoquer la curiosité du sujet en faisant des analogies entre des points connus et des points non connus du domaine d’apprentissage et ainsi, comme le dit Keller (1983) : «to make the strange familiar and the familiar strange». Concevoir des programmes aptes à aiguiser la curiosité de l’apprenant présente deux avantages : d’une part, le sujet aura envie de recommencer l’expérience, et, d’autre part, cela peut amener des sujets n’ayant aucune expérience préalable ni disposition particulière envers le contenu du programme à s’y intéresser. Skirrow (1990) suggère que la véritable récompense du succès dans les jeux d’aventures (trouver l’objet de la quête) est décevant. Il n’y a pas de rétribution extrinsèque. D’ailleurs, on paye pour jouer dans les salles de jeux. La récompense doit donc, selon lui, faire partie intégrante du processus du jeu. Il ajoute que ce qui est motivant dans les jeux serait la surprise plutôt que le suspense, puisqu’il n’y a pas vraiment de narration. A tout cela, Daniel Chandler (1994) ajoute que l’élément de hasard peut également aider les joueurs qui ont moins confiance en eux car ils peuvent alors en partie attribuer leur échec au hasard et ainsi recommencer avec plus d’enthousiasme car ils ne seront pas découragés. -*– Un feed-back bien adapté et clair, concernant le fait que le but ait ou non été atteint, ou que l’apprentissage est en bonne voie, devient alors un bon moyen de maintenir le challenge. Le feed-back peut également aller dans le sens d’une reformulation du but, pour maintenir la détermination de l’apprenant/joueur, et peut prendre plusieurs formes: il peut être textuel, visuel, oral et doit fournir une évaluation claire des performances de l’utilisateur. Des études ont montré que les sujets produisent plus d’efforts pour atteindre leurs objectifs lorsque le feed-back est immédiat (Janz D. Brian & Wetherbe C. James, 1999). Les environnements d’apprentissage informatisés se prêtent bien a la création de feed-back immédiats et adaptés à la situation. L’interaction peut être riche d’enseignements pour l’apprenant, qui va alors pouvoir corriger ses erreurs et développer de nouveaux plans et stratégies pour poursuivre sa progression. Dans le cas d’un jeu, le feed-back peut faire partie intégrante du scénario, et il est donc particulièrement important de s’interroger sur ce point lorsque l’on conçoit un scénario de ce type. Le feed-back est également apte à renforcer la confiance en lui de l’apprenant et son désir de persister dans la tâche. L’anxiété est en effet reconnue pour réduire la motivation d’apprendre: c’est un facteur inhibiteur qui peut faire obstacle à la performance d’une grande variété de fonctions cognitives dont l’attention, la mémoire, la formation de concept et la résolution de problèmes. -*– En ce sens, l’estime de soi peut être considérée comme un sous-concept du challenge puisque la perception qu’ont les apprenants de leur efficacité affecte le choix des activités qu’ils vont effectuer et leur persistance dans l’effort. D’après, Bandura (1977), les apprenants capables de se percevoir comme efficaces (« self-efficacy » ) auront ainsi plutôt tendance à travailler dur et à persister plus longuement. Il est donc important de trouver le moyen d’augmenter la perception qu’aura l’apprenant de sa propre efficacité, ce qui ne dépend pas d’une simple information sur sa progression ou de seuls encouragements. Le programme doit en effet être apte à s’adapter et éventuellement rediriger l’étudiant sur des tâches plus faciles lui permettant de reprendre confiance. Ou encore, on pourrait imaginer de renforcer cette confiance en proposant à l’apprenant des tâches similaires à celles qu’il sait bien effectuer. Il n’en reste pas moins que le simple fait d’offrir au sujet la possibilité de prendre des décisions est déjà apte à renforcer cette précieuse confiance en soi. Les jeux vidéo permettent de recommencer une partie autant de fois qu’on le souhaite. Cette répétition, qu’il s’agisse de dextérité ou de choix stratégiques, permet au joueur d’améliorer ses performances à son rythme : quel que soient ses capacités au départ, celui-ci sera amené à progresser et aura donc une perception positive de son efficacité. Ce sentiment ainsi que le fait qu’il s’accompagne également de découvertes (changement de niveau, surprises, gains…) lui évitera la lassitude qu’engendre en général la répétition d’une tâche dans un autre contexte. -*– Le contrôle: Il ne s’agit pas pour l’apprenant de contrôler son apprentissage (voir section [3.2.2]) – car peu d’apprenants sont capables de véritablement planifier leur instruction – mais de lui donner le sentiment de «diriger» sa progression vers le but d’apprentissage. On remarque que, même quand les joueurs se battent pour apprendre un jeu vidéo complexe, ils se sentent en contrôle. Quand le pire se produit, ils peuvent toujours éteindre la machine ou recommencer. Ce sentiment est en effet encouragé par la facilité avec laquelle ils peuvent répéter une activité jusqu’à ce qu’elle soit maîtrisée. Bien sûr, tout est ici une question de dosage car trop donner trop de choix au joueur peut aboutir à un effet frustrant. Keller (1983), lui, fait référence à la motivation en elle-même comme une question de choix (de tâches et de buts à accomplir ou à éviter et de degré d’effort que l’on investit pour poursuivre le but choisi). Pour lui, le contrôle personnel sur le processus d’apprentissage doit être perçu par les apprenants comme un contrôle sur leur propre succès à accomplir les buts choisis. En ce sens, les niveaux multiples permettent de rendre les progrès visibles et de donner au joueur ce sentiment de contrôle. Les jeux mettent le pouvoir dans les mains du joueur, qui maîtrise le jeu de manière croissante en fonction de ses compétences propres et du nombre de fois où il a dû recommencer le même parcours, la même activité sans avoir à craindre de jugements négatifs. Car les jeux donnent en effet l’impression qu’échouer n‘est pas un problème et encouragent les utilisateurs à prendre des risques qu’ils n’auraient pas osé prendre dans un autre contexte, ce qui ajoute à ce sentiment de contrôle. De plus, les joueurs ont tendance à considérer l’ordinateur ou la console comme des partenaires d’apprentissage, appréciant la relation non hiérarchique dans laquelle les rôles d’enseignant et d’apprenant sont brouillés ou altérés, ce qui permet de s’échapper des situations d’apprentissage en classe qui ne conviennent pas à tous les apprenants ou de débloquer certains d’entre eux…. C’est donc l’équilibre entre tous ces motivateurs, primaires ou secondaires, qui va rendre l’environnement d’apprentissage intrinsèquement motivant. Le problème de la plupart des environnements d’apprentissage est qu’ils traitent la motivation comme une caractéristique ou une préoccupation en plus. Le concepteur aura plutôt tendance, dans un premier temps, à concevoir le projet d’apprentissage du point de vue du sujet traité pour ensuite se demander comment faire en sorte de le rendre motivant pour l’apprenant. Par conséquent, les éléments ludiques sont inclus dans l’environnement comme une récompense à obtenir une fois que l’apprentissage a eu lieu, ce qui évoque plutôt les conceptions béhavioristes. Les chercheurs s’accordent maintenant sur ce point : motivation et apprentissage doivent être considérés ensemble dès le départ et traités en parallèle tout au long de la conception de l’environnement. En ce qui concerne la conception d’un jeu éducatif, il faudrait donc qu’il soit impossible de dire où le jeu s’arrête et où le contenu commence. Le challenge pour le concepteur de jeux éducatifs sera donc de rendre le contexte endogène (il est impossible de dissocier le contenu du jeu) plutôt qu’exogène (il est possible de superposer n’importe quel contenu au jeu). Dans ce cas, si l’on parvient à créer un contexte imaginaire (fantasy) attrayant et un challenge bien conçu, on suppose que l’apprenant sera intéressé – ou du moins qu‘il ne sera pas rebuté – par le contenu d’enseignement puisqu’il le sera par le «fantasy». Car jouer signifie en réalité tendre à se retrouver dans un état de jeu. En ce sens, le «fantasy» est un facteur primordial pour parvenir à créer un univers suffisamment prenant et cohérent pour permette au joueur de s’abstraire de la réalité et ainsi avoir la possibilité d’entrer dans un autre système pour interagir efficacement et de manière constructive avec les éléments qui lui sont présentés. On peut donc postuler que ce «fantasy» – conçu de manière à stimuler la curiosité du joueur – accompagné d’un challenge adaptable au niveau de l’apprenant, le tout alimenté par une interaction et un feed-back bien pensés, sur un rythme adapté aux demandes cognitives du jeu, sont des facteurs sans lesquels il paraît difficile de concevoir un jeu éducatif de qualité. Lire le mémoire complet ==> (Le potentiel du jeu vidéo pour l’éducation) Mémoire en vue de l’obtention du DESS Sciences et Technologies de l’Apprentissage et de la Formation Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education – Université de Genève

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