La coopération comme solution pour l’industrie pétrolière

III. La coopération comme solution pour l’industrie pétrolière Si la coopération a un succès si vif, c’est certes par ce que cela engage moins qu’une fusion, mais c’est probablement surtout parce qu’elle apparaît comme une solution idéale pour se faire concurrence de manière saine et peu destructrice. Les acteurs de l’industrie pétrolière l’ont véritablement compris depuis longtemps car cette ressource ne peut pas être gaspillée. Les avantages de la coopération tiennent bien dans un certain pouvoir de marché mais ils tiennent surtout dans les effets de synergies, dans la répartition du risque et dans la flexibilisation des organisations productives. Autant qu’une course aux parts de marché, c’est aussi une course à l’efficience que recherche les acteurs et que permet la coopération.

*** Le rôle de la coopération

Inciter à explorer et exploiter de nouvelles ressources passe par divers mécanismes. Toutefois les solutions classiques d’octroi de licence et de réglementation ne sont pas suffisante. Dans le premier cas il y a bien protection du droit sur le fruit de la recherche mais cette protection se limite par la taille du block concédé : l’externalité est trop forte. L’incitation réglementaire se heurte à la volonté actuelle de déréglementation. La coopération apparaît ainsi comme la solution.

** Une prise de conscience

L’émergence d’opportunité de rente différentielle au fur et à mesure de l’accumulation d’information est une activité économique d’appropriation et non d’acquisition marchande. Cette activité échappe par nature aux interprétations ordinaires des choix économiques et aux mécanismes d’échange, qui supposent l’existence de droits de propriété bien définis. La dynamique d’appropriation des positions de rentes nouvelles, c’est à dire inconnues jusqu’à un certain niveau d’accumulation d’information implique l’appropriation, la conquête d’un droit de propriété. Il en résulte en particulier, que l’attribution des positions de rentes n’est pas le produit d’un mécanisme de confrontation des offres et des demandes; elle dépend d’aptitude inégalement distribuées à s’approprier les positions. De manière plus générale, l’aptitude à occuper des positions de rente correspond elle-même à une forme de capital informationnel, et de savoir et de savoir-faire, de pouvoirs institutionnels et juridiques, qui sont accumulés à cette fin ou pour tout autre motif. L’accumulation de ce type particulier de capital dont la valeur tient aux positions de rentes qu’il permet de découvrir, est au centre des processus dynamiques de découverte de la rareté. Plus généralement, l’existence de rendements d’échelle croissants dans l’industrie pétrolière dans son ensemble n’apparaît plus comme une propriété technologique donnée mais comme le produit de la lutte contre la raréfaction. On peut aller plus loin et interpréter la suraccumulation apparente sur le sol des Etats-Unis : chaque décision était inspirée par la volonté de lutte contre la rareté en un sens statique mais elle redéfinissait globalement de telle manière que compte tenu des informations disponibles, des compétences accumulées, des effets de la différenciation aux Etats-Unis, il restait plus avantageux de continuer à investir aux Etats-Unis même plutôt que d’aller explorer des endroits moins épuisés mais beaucoup moins bien connus. Conçues en terme d’information, les externalités semblent acquérir un contenu plus riche que sous leur seule forme technologique : c’est en effet une vieille querelle que de définir le poids accordé aux externalités entre ceux qui y voient la limite infranchissable des économies décentralisées et ceux qui ne les considèrent que comme des cas d’exception à traiter comme tels. L’information semble bien appartenir à la catégorie des externalités physiques, s’apparenter à un bien de capital qu’on peut accumuler avec l’assurance d’un droit d’usage exclusif. Pourtant cette conception de l’information comme un ensemble de données que l’on connaît ou que l’on ignore, cette conception qui consiste encore à penser que l’on peut acquérir l’information au prix d’un investissement et passer de l’ignorance au savoir en élargissant son information est insuffisant. Les économistes institutionnalistes depuis Coase ont mis en avant l’existence d’obstacles à la coordination par les prix et de mode de coordination, donc en particulier de mode de transmission de l’information qui ne passent pas seulement par un système anonyme de prix mais notamment par des relations contractuelles. De ce fait l’importance des relations de contrôle plus ou moins directs qui participent à la définition des opportunités de rente et à la coordination des choix économiques est grande. Il s’agit de l’opposition entre 2 modes de coordination, celui de la main invisible et celui de la main visible. Cette difficulté tient à la coexistence des 2 modes de coordination que l’on a évoqués précédemment. Cette difficulté tient aussi à l’articulation verticale entre ces 2 modes de coordination : n’est-ce pas la concurrence qui régule globalement les contrats ? Inversement le marché spot ne joue-t-il pas précisément là où les grandes organisations et notamment les Majors ont jugé plus efficace de le laisser jouer, se réservant par ailleurs d’autres moyens bien plus puissants pour organiser les marchés ?

** La coopération comme solution idéale

A ce stade de l’analyse il est intéressant de se poser la question du rôle de la coopération dans ces stades de l’extraction. En effet, il apparaît clairement 3 choses : – tout d’abord les risques et la hauteur des investissements impliquent un besoin de diversification, – ensuite, l’extraction est problématique car elle nécessite une régulation de l’exploration et de la production, dans le sens où l’intérêt stratégique de la ressource intéresse tout le monde, – et enfin, les contraintes techniques fortes (rythme de production et son impossible régulation) obligent à développer la concertation entre les acteurs. Par conséquent il faut une structure d’organisation qui permette de résoudre ces 3 problèmes. Le recourt au marché est impensable dans la mesure où il y régnerait la loi de la jungle alors qu’il faut au contraire des acteurs responsables. L’établissement de firme au contrôle total est source de problèmes encore plus importante. La structure organisationnelle capable de répondre à ces contraintes est la coopération. En ayant de nombreuses participations dans de plusieurs projets les firmes disséminent les risques et partagent les coûts afférents; c’est la diversification du risque. En permettant aux firmes de nouer des liens on empêche des monopoles de prendre place et le pouvoir de chacun se voit disséminé entre tous; les Etat n’ont pas de meilleures assurances contre les abus de position. Et enfin, en nouant des liens les acteurs créent un intérêt commun; si chaque firme possède des participations dans plusieurs puits d’un même réservoir où va se trouver son intérêt à faire en sorte de surexploiter la poche ? Il n’y en pas; au contraire elle va vouloir exploiter de la manière la plus efficiente possible tous les puits puisque les intérêts sont là. Il n’est pas nécessaire qu’elle possède une participation dans tous les puits qui existent car le nombre d’acteur et le jeu de participations croisées rendent l’interdépendance complète. La coopération apparaît comme la seule solution, il s’agit même de la solution idéale, pour peu que les firmes soient incitées à l’adopter si elles ne savent pas en prendre conscience par elles-mêmes.

*** L’avantage intrinsèque de la coopération

Tout comme la minimisation des coûts de transaction est essentielle, la minimisation des coûts de production est l’objectif premier. Cela va passer par les économies d’échelle, la diversification du risque, et la flexibilité de l’organisation.

** La sous-additivité des coûts

Selon une étude récente réalisée par KPMG (1998), les économies d’échelle sont citées comme motifs de coopération dans 40% des cas. Il s’agit ainsi de la 4ième raison, après l’expansion géographique (70%, voir le chapitre préliminaire), la sécurité de distribution (55%) et l’acquisition de technologie (46%). Dans cette industrie où les investissements sont lourds, les économies d’échelle étaient importantes. Cependant lorsque la taille du marché à servir est trop petite ou lorsque la taille des investissements est trop importante, la firme peut décider de s’associer avec un partenaire. Dans le cas du raffinage, cela va lui permettre de construire une usine de taille économique pour traiter le pétrole à un coût compétitif. Cela a concerné les pays africains nouvellement indépendants qui recherchaient un symbole de modernité mais aussi une sécurité d’approvisionnement [Ayoub, 1996]. Cela concerne aussi les grandes compagnies. Ainsi, en 1992, la capacité de raffinage s’élevait à 3,6 milliards de tonnes ce qui est au-dessus de ce qui est nécessaire (pour 3.1 milliards de tonne extrait). Il y a une surcapacité de production particulièrement en Europe. La coopération peut permettre de réduire la capacité. Ainsi, de nombreux accords ont été annoncés en 1998, comme le regroupement des activités de raffinages et de distributions de Exxon et Shell en Australie (juin 1998). Cela peut aussi être expliqué par le phénomène intéressant de délocalisation vers les lieux d’extraction comme le Moyen Orient où les coûts sont plus faibles. L’investissement fixe reste similaire mais l’énergie nécessaire au raffinage est obtenue pour rien avec le gaz « fatal » des champs pétroliers. De plus la complexité des usines varie. On a une nette tendance à la complexification des processus avec de nouveaux besoins comme l’essence sans plomb ces dernières années par exemple. Les préoccupations environnementales sont également très présentes. Le plus important est sans doute le fait que les marges dans cette industrie sont assez aléatoires. Le problème des compagnies pétrolières est qu’il s’agit d’une activité essentielle pour elles, mais d’un autre coté elles souffrent de la concurrence des pays de l’OPEP qui développent des activités de raffinage à leur tour. Elles sont donc en surcapacité et doivent réduire les quantités qu’elles produisent; cependant le raffinage est une activité où les économies d’échelle sont très importantes. Si elles réduisent trop leur production en raffinerie elles seront face à un problème de rentabilité de leur appareil de production. La seule solution est pour elle de se regrouper sous forme de joint-venture. C’est ce que ELF et Mobil ont fait en Grande-Bretagne par exemple. Même si une raffinerie communautaire fait face à d’autres problèmes avec une gestion plus complexe, un manque de flexibilité, des lenteurs, et une moindre motivation du personnel, les économies qui peuvent être réalisées compensent largement ces quelques désagréments. On retrouve bien sur cet argument dans la production. On retrouve aussi cet argument dans le transport maritime où le mode utilisé est particulièrement intéressant. En effet, dans le cas des transports, la taille des investissements est importante. Les économies d’échelle sont potentiellement tout aussi importantes. Dans le raffinage, en 1996, Mobil et BP ont regroupé leurs activités de lubrifiant et de fuel en Europe pour économiser 740 millions de US $ chaque année. Aux Etats Unis c’est Shell et Texaco qui se sont regroupés sous la marque Equilon, et qui propose de faire de même en Europe.

** La diversification du risque

Une firme était amenée à diversifier ses lieux de production et ses activités dans l’industrie pour réduire les risques politiques, techniques, et financiers. Toutefois, compte tenu de la taille des investissements, une firme peut vouloir partager ses risques avec un partenaire. En effet, cette combinaison risque/capitaux élevés conduit les compagnies à s’associer. Il s’agit d’une diversification des participations. Même si de nombreux progrès sont réalisés, il existe toujours un risque. L’espérance de gain y est forte mais le risque de tout perdre aussi. Compte tenu de ces facteurs, la solution choisie par les firmes du secteur est de répartir les risques entre plusieurs participations de joint-venture. En effet, il existe des projets parfois très risqués car très innovateurs, par exemple. Une firme peut ne pas vouloir supporter l’ensemble du risque financier. Il va ainsi y avoir un partenariat de 2, voire plusieurs firmes pour réaliser un projet particulier. Ainsi, Total vient de s’associer avec ELF en Argentine pour forer le plus long puits horizontal jamais réalisé entre la côte et un champ de pétrole plus au large. Il existe en effet un risque car il s’agit de loin le plus long forage dans ces conditions et de nombreux problèmes existent comme les tuyaux qui ont tendance à se boucher. Il s’agit de mettre en œuvre une expérience technique et scientifique coûteuse à acquérir. La réduction du risque va résulter de la diversité des participations qui constituent un facteur de sécurité financière. Les exemples de coopération de ce type sont très nombreux et de plus en plus fréquents. Avant la 2nde Guerre Mondiale, il y a eu la création de l’Iraq Petroleum Cy par Shell, BP, Exxon, Mobil, CFP/Total, et C.S. Golbenhiam, mais aussi de l’Aramco par Chevron, Texaco, Exxon et Mobil.

** La pression de la flexibilité

L’un des éléments important dans la coopération tient dans la flexibilité que cela apporte à la firme qui y a recourt. Un investissement est un acte irréversible, qui a besoin de temps pour être rentabilisé. Il existe divers moyen de flexibiliser une organisation ainsi dans le transport par navire il faut une gestion très fine des outils pour utiliser ces moyens de transport à leur capacité optimale. En effet, Les compagnies vont posséder en propre seulement une partie de la flotte dont ils vont avoir besoin. Ils possèdent ainsi les 2/3 de la flotte mondiale de pétrolier. Cela leur permet d’utiliser à pleine capacité ce qu’ils possèdent et de louer ce dont ils ont besoin à des compagnies indépendantes. Il s’agit d’une intégration modulée, où les compagnies possèdent en propre et ont recourt à des contrats de long terme pour mieux coller au besoin en terme de niveau d’activité et en terme de type de navire requis.. Cela apporte une très grande flexibilité dans cet outil et permet à la fois d’internaliser sans subir les inconvénients de la fluctuation de l’activité et de l’immobilisation d’investissements si importants. Ainsi, cela permet de mieux maîtriser les coûts fixes; de plus, la fluctuation de l’activité sera supportée par le fournisseur complémentaire. Et enfin, cela limite les risques d’opportunisme car la firme principale est capable de faire face à un éventuel marchandage contractuel du fournisseur [Baudry, 1995]. Il ne s’agit toutefois pas de coopération et cet outil ne peut servir que dans des cas bien précis comme celui-ci. Pour contourner les lourdeurs, le partage des risques de ces investissements est une solution. Un investissement a aujourd’hui de plus en plus besoin de répondre à des besoins précis. On retrouve cette idée chez Richardson pour qui un investissement doit présenter un degré de spécialisation. Toutefois spécialisation et flexibilité sont loin d’être des synonymes; par conséquent plus l’investissement est spécifique plus la liberté d’action, plus la flexibilité de la firme est entravée. Dulbecco [1993, 1994] parle d’un dilemme spécialisation/adaptabilité; c’est en effet bien de cela dont il s’agit. Comment dans un environnement incertain concilier spécialisation et s’adapter en même temps aux conditions du marché ? La coopération peut apporter une solution à ce dilemme. Elle va permettre à la firme d’investir dans le futur, mais au lieu d’en supporter seule l’ensemble des coûts elle le fait avec des partenaires qui ont autant qu’elles ont besoins de cet investissement. La coopération ne résout pas ce problème de flexibilité mais elle permet de réduire le coût de l’investissement et offre par la même de la marge de manœuvre à la firme en lui permettant d’investir dans plus de projets différents. Ainsi, les acteurs recherche la coopération pour des raisons de coûts de production, de diversification du risque, et de flexibilité. La coopération a ainsi 2 motifs à l’origine : un motif d’avantages de coûts, en limitant les coûts de transaction et les coûts de production; toutefois la coopération a aussi un motif d’avantages compétitifs en recherchant des complémentarités, un pouvoir de marché, une acquisition de connaissances. Industrie du pétrole : Alliances dans l’Industrie Pétrolière Mémoire réalisé dans le cadre du DEA D’Economie Industrielle Université de Rennes 1 ___________________________________ Les raisons exactes de cette déréglementation dépassent le cadre de ce mémoire. Voir Annexe C pour des graphiques détaillés des résultats de cette enquête. Cette étude porte sur toute l’industrie et non le secteur pétrolier en particulier ; il n’y a toutefois pas de raisons de penser que les différences soient très grandes. Financial Times 21.12.1996. Web de Total

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les alliances dans l'industrie pétrolière
Université 🏫: Université de Rennes 1 - Mémoire de DEA
Auteur·trice·s 🎓:
Tapio POTEAU

Tapio POTEAU
Année de soutenance 📅: Mémoire réalisé dans le cadre du DEA D’Economie Industrielle - 1997-2010
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