Adolescent et ses pairs : L’apparence (La mode, jalousie…)

Adolescent et ses pairs : L’apparence (La mode, jalousie…)

III. L’adolescent et ses pairs : le rôle de l’apparence dans les liens sociaux

Les vêtements sont des médias de communication induisant des logiques d’identité, d’inclusion et d’exclusion, notamment au sein du groupe de pairs et du cercle des amis intimes, qui constituent les deux groupes de référence des adolescents. Ce mélange de sympathie et d’hostilité caractérise les relations humaines, notamment parmi les adolescents.

Au sein de nos sociétés, le souci de l’apparence oblige à composer avec la mode, autrement dit avec les choix collectifs opérés en faveur de certaines tendances. À l’intérieur de ces différentes propositions, l’individu fait son choix en intégrant les normes des pairs et les normes parentales, et non de façon purement rationnelle comme aime à le penser G.Erner (2004).

Pour les adolescents, la mode contribue à l’identité générationnelle, mais aussi à l’identité personnelle, elle apparaît pour G. Lipovetski comme l’agent par excellence de la spirale individualiste, son mimétisme favorise l’individualisme. « Le propre de la mode a été d’imposer une norme d’ensemble et, simultanément, de laisser place à la manifestation du goût personnel».

En même temps, elle permet l’expression de l’émotionnel au quotidien, et la théorie de M.Maffesoli sur le néo-tribalisme y trouve un champ d’application chez les adolescents.

De manière délibérée, l’individu cherche à conjuguer distinction et imitation pour devenir celui qu’il souhaite être. Pour les adolescents, le besoin de mode s’inscrit entre la volonté de devenir soi et le désir d’entrer en relation avec l’autre en respectant les normes vestimentaires. Sur la vaste scène qu’est le collège ou le lycée, chacun est à la fois acteur et spectateur.

L’importance de la sociabilité amicale est soulignée par l’étude TNS Sofrès de 2003. Interrogés sur leurs loisirs préférés, les jeunes de 15 à 20 ans mettent en tête les amis (54%), plus encore les filles.

L’importance de cette société amicale trouve ses fondements dans l’expérience commune plus que dans celui d’un idéal ou d’idées communes. Pour O.Galland, le rôle des pairs et des amis est clé, « la société des jeunes semble se détacher de son histoire culturelle et de ses valeurs au nom d’une autonomie générationnelle revendiquée des goûts et des choix culturels et au nom des valeurs qui mettent en avant l’authenticité, l’expression de soi et la communication interpersonnelle » .

Les pairs sont essentiels pour les adolescents : ils leur fournissent d’autres valeurs, d’autres repères et leur permettent d’endosser un autre statut que celui d’enfant au sein de la famille. Les identités adolescentes se construisent sous la pression du groupe des pairs. Nous verrons au fil de cette partie la construction du lien social avec le cercle des intimes et les pairs au travers des vêtements et l’importance du groupe de pairs comme prescripteur.

A. La mode et les pairs

La mode comme la télévision, le sport ou la musique est une forme culturelle commune qui permet à chacun d’exprimer son individualité, suscite des discussions et trace les contours des réseaux amicaux et sociaux.

Pour Peggy Giordano (1995), si le premier cercle des « amis proches » enveloppe la personne d’une sphère « chaude », cohésive, affective et relativement consensuelle, privilégiant le confort d’une confirmation et d’une confiance mutuelle, le cercle plus large des pairs joue un rôle important d’interaction avec le monde social. Les jugements des pairs sont plus sévères et plus puissants. Il s’y joue davantage de positionnements identitaires que dans le cercle des amis, dont l’action privilégie un renforcement « adouci » par l’intimité et l’affectivité.

1. La mode, ciment, sujet de discussion et de jalousie

L’affirmation de soi au travers de son look nourrit et enrichit le travail de sociabilité des adolescents. La mode génère des engouements, des passions et des rejets. Les pratiques vestimentaires ont en point de mire les échanges et les interactions qu’elles permettent d’avoir avec l’entourage. Au sein des groupes de jeunes adolescents, la mode sert de ciment, elle resserre les liens sociaux.

C’est un sujet de discussion mixte au cours duquel les adolescents pratiquent l’échange des adresses des boutiques, permettant l’élargissement du cercle des initiés. Il se pratique partout dans les cours de récréation, à la cantine et même pendant les cours.

« On discute de fringues avec tout le monde, garçon et fille, on s’échange des adresses, je demande à la personne où elle l’a acheté. On en discute même pendant les cours, c’est Saint James ! ». (Valentine, 2nde, 15 ans, Neuilly)

La mode fournit l’occasion de parler avec l’autre sexe que ce soit au lycée où Mathilde souligne que certains garçons s’intéressent à la mode, mais surtout à la façon de se mettre en valeur, ou au collège. On retrouve dans les propos de Edouard une certaine misogynie, le discrédit porté sur les pratiques de culture associées au pôle féminin en phase avec ce que Dominique Pasquier a décrit dans Cultures Lycéennes.

« On parle rarement de fringues entre copains, avec les filles très souvent. « C’est bien ou faut que tu changes, ou s’il y a le même pour filles… ». Elles donnent leur avis. Ça évite les discussions féminines pénibles sur le nouveau disque qui est sorti, sur amies/pas amies, sur le nouveau blog, un message reçu pas gentil. (Edouard, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Les vêtements et les marques jouent un rôle important dans la médiatisation des rapports interpersonnels. Le vêtement renvoie alors au concept de « reliance » d’Edgar Morin, à savoir « ce qui englobe tout ce qui fait communiquer, associe, solidarise, fraternalise» . La consommation vestimentaire permet à l’adolescent de nouer le contact ou de l’intensifier avec les autres. Ainsi, lorsqu’elle a arboré pour la première fois ses ballerines, Maîmouna s’est faite remarquer et a reçu de nombreux compliments.

« Voilà Maimouna qu’est en mode féminine, elle est devenue une vraie fille. » J’ai reçu beaucoup de compliments, c’était sympa, mais quelquefois, c’est chiant, on te dit tout le temps la même chose, à la fin, t’en as marre. (Maimouna, 3ème, 14 ans, 93 Epinay-sur-seine)

La conversation sur les vêtements permet aux adolescents de valider leur monde, les autrui significatifs qui sont les amis proches ou les leaders de goût jouent alors un rôle important et sont régulièrement sollicités. Les compliments sont d’autant plus appréciés qu’ils sont émis par des pairs dont l’adolescent reconnaît la sûreté, la qualité du goût.

« On discute de fringues avec mes copines : on parle de ce que l’on a vu, de ce qu’on voudrait acheter ou de ce qu’on a acheté. On en parle vachement à l’école, à la cour de récré. » (Laurence, 1ère, 17 ans, Perpignan)

Pour G.Simmel (1906), toute l’organisation intérieure du commerce humain repose sur une gradation variée des sympathies, d’indifférences et d’aversions, les plus passagères comme les plus durables. Les vêtements sont ainsi des médiateurs, ils sont à la fois source de compliments, de discussions neutres ou de critiques, notamment quand ils diffèrent de la norme des pairs.

« Quand tout le monde veut suivre la mode, parfois on ne veut pas suivre le mouvement, c’est pas bien aux yeux des autres et parfois c’est critiqué. » (Vincent, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Désirés par autrui, les vêtements peuvent être également source de jalousie et de rivalité. La thèse fondamentale de René Girard élaborée dès Mensonge romantique et Vérité romanesque (1961) est fondée sur le fait qu’on désire moins un objet (quelque chose ou quelqu’un) pour ce qu’il est que par imitation du désir d’un modèle qui possède ce même objet. On parle alors de la figure triangulaire du désir. La rivalité se profile, et derrière le risque de conflit.

Le vêtement de marque signe d’une certaine manière une domination sociale. Et, qui dit domination d’un groupe, dit aussi frustration et convoitise de ceux qui n’en font pas partie.

René Konig, dans Sociologie de la mode (1968), insiste sur la concurrence et la rivalité qui s’expriment en termes de vêtements au sein des classes supérieures des sociétés occidentales, cette « consommation ostentatoire » décrite par Veblen et sur la distanciation par rapport aux autres qui s’ensuit immanquablement et s’accompagne de considération. Le collégien consomme l’objet de mode en fonction de sa « valeur d’échange signe », c’est-à-dire en raison du prestige, du statut qu’il confère.

Galland O., Individualisation des mœurs et choix culturels, Presse de sciences Po , 2003

Morin E. et Naïr S., Une politique de civili

« Je veux qu’ils voient, que mon tee-shirt, il est beau. Ils peuvent acheter le même, ça peut susciter de la jalousie. « Où l’as-tu acheté ? » Ils veulent l’avoir, ils l’ont pas. Non, je les sens normaux, pas agressifs. » (Salomé,3ème, 15 ans, Neuilly)

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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