Politique de rémunération et d’incitation – Intranet France Télécom

4.3. La politique d’incitation et de rémunération : créer un cercle vertueux ?

F.W. Taylor dresse un bilan négatif du système de management qu’il est nécessaire de réformer car il empêche de mobiliser de façon optimale les employés. Ces derniers ont des compétences mais le système ne permet pas de les utiliser au mieux, faute d’une politique d’incitation et de rémunération adéquate. L’idée avancée est que les employés ne travaillent pas au maximum de leurs capacités par crainte de se voir licencier.

Il faut donc proposer une méthode où la flânerie sera supprimée tout en conservant le même nombre de salariés. La rationalisation qu’il présente doit permettre de dépasser le jeu à somme nulle qui empêchait le cercle vertueux où les profits des uns ne se font plus aux dépends des autres. Au final, la nouvelle méthode doit à la fois permettre d’augmenter le profit mais aussi les salaires et l’emploi.

Sur ce point, il faut commencer par préciser le rôle des différentes parties au sein de France Télécom. Au niveau de Net@too, il n’y a pas vraiment de vision globale de profonde réforme du système de management car là n’est sa fonction première. En fait, Net@too est plutôt un relais de la Direction Générale qui a-elle, par contre, la volonté de changer fondamentalement le management. Nous retrouvons comme chez F.W. Taylor un objectif de rupture, avec une dichotomie très nette entre l’ancien management, très décentralisé et Net Compagnie (chez F.W. Taylor on avait le « management initiative et incitation ») et les nouvelles politiques, très centralisées et TOP (« Management scientifique » chez F.W. Taylor).

Il faut par ailleurs noter une différence très marquée entre les propositions de F.W. Taylor et celles de la direction de France Télécom. Si nous avons souligné ci-dessus que l’objectif global du taylorisme était d’améliorer la productivité au travail, à France Télécom, l’objectif est le même mais l’une des solutions envisagées pour permettre cette hausse est de limiter la masse salariale : rigueur sur les salaires et réduction du nombre de salariés. La formule journalistique à la une du Figaro économique daté du jeudi 28 décembre 2002 résume les intentions de la Direction Générale :

« France Télécom : comment Breton veut s’attaquer aux sureffectifs ».

Dans le cas des fonctions supports, domaine qui intéresse notre cas, l’objectif est une réduction par deux des effectifs d’après un responsable RH. Cette politique rencontre de nombreuses difficultés en raison du statut des salariés. Avec environ 108 000 fonctionnaires, le programme mis en œuvre pour inciter les départs vers la fonction publique vise à contourner ce problème de « l’emploi à vie » d’une partie des salariés.

La situation financière de l’entreprise est en fait tellement difficile qu’elle doit allouer tous les gains de productivité au remboursement de sa dette. Sur ce point, le mail envoyé par Thierry Breton à l’ensemble des salariés du Groupe le lundi 7 octobre 2002 est des plus explicites :

« Il nous faut tout d’abord desserrer l’étau financier dans lequel se trouve France Télécom. Nous avons le triste privilège d’être, aujourd’hui, l’une des entreprises les plus endettées ».

Cet écart entre la théorie de F.W. Taylor et le contexte étudié est central car il s’agit de l’élément, assez fondamental chez F.W. Taylor, qui fait référence au type de relation entretenue entre le management et les employés. Selon ce principe, les managers doivent « coopérer en toute amitié » (F.W. Taylor, 1929, p. 35) avec les employés pour s’assurer que le travail s’effectue en accord avec les fondements du management scientifique.

Or, comme nous l’avons vu dans la partie 2, les relations avec Net@too sont de moins en moins importantes car la communication passe par l’intermédiaire des managers locaux qui retransmettent ensuite l’information aux webmestres. Dans les cas, relativement fréquents, où le management ne s’investit pas dans l’intranet, la coopération est très faible.

Cette coopération est dans la conception de F.W. Taylor directement liée au partage équitable des profits. Concrètement, la paye doit être élevée en cas de succès dans l’accomplissement de la tâche journalière et faible dans le cas inverse. F.W. Taylor envisage également une amélioration globale des conditions de travail.

Très clairement, cette politique de rémunération n’est absolument pas envisagée dans notre cas en raison notamment des spécificités de la technologie. La complexité et l’objectif fonctionnel plus qu’opérationnel de l’intranet empêchent ou tout au moins limitent la mise en œuvre de ce principe. La mesure de l’apport de l’utilisation de l’intranet à la performance globale de l’entreprise est en l’état impossible à calculer et de fait un partage équitable des profits est assez peu envisageable.

En plus des particularités de l’outil, l’aspect bureaucratique de l’organisation ne favorise pas la mise en place de ce mode de rémunération. Il n’est pas prévu d’élaborer pour les webmestres un système de rémunération individualisée et fonction de la performance. L’objectif est au contraire de pouvoir élaborer des grilles de rémunération relativement simples et rigides pour que la gestion des ressources humaines soit la plus fonctionnelle possible.

De façon plus précise, F.W. Taylor donne des recommandations sur ce que l’on qualifierait aujourd’hui de politique des ressources humaines. Il indique ainsi qu’il est nécessaire de sélectionner et de former les employés de façon scientifique. La rémunération est de ce fait fonction du poste et non pas de l’individu (ibid., p. 35). Par ailleurs, sélection et formation se font de façon individualisée pour permettre une mobilisation optimale de chacun.

La mise en place de l’Ecole des Webmestres devait permettre cette sélection et cette formation rigoureuse. Cette école est aujourd’hui remise en cause en raison de la situation budgétaire difficile de France Télécom, mais le chantier sur les métiers intranet/NTIC a clairement identifié un ensemble de formations qui pourraient être proposées. L’objectif semble de codifier les postes avec pour chaque type une formation et un mode de sélection spécifiques. Les webmestres en place devront nous semble-t-il se positionner par rapport à ce nouveau découpage et montrer qu’ils ont les capacités pour occuper le futur poste.

De plus, une fois l’employé retenu, il est important de le gérer individuellement car il sera plus efficient que si le management ne considère que des équipes. « Quand les ouvriers sont réunis en équipe, chaque membre du groupe devient beaucoup moins efficient que quand son ambition personnelle est stimulée. » (ibid., p. 69).

Certes, France Télécom prône la coopération au niveau du Groupe mais pour ce qui concerne la population des webmestres, les dernières actions entreprises visaient à supprimer toute idée de communauté de webmestres. Nous ne représenterons pas les résultats de notre enquête de terrain concernant les relations entretenues au sein de la population des webmestres. Comme nous l’avions déjà précisé nous identifions deux périodes.

Dans la première, les relations sont relativement structurées : club de webmestres, réunions Net@too, annuaire de compétences sur Creanoo… Aujourd’hui, ces relations sont en très large majorité informelles. Il s’agit de relations techniques mais aussi amicales qui se font par téléphone ou mails. Dans tous les cas, ces relations sont ponctuelles et assez limitées. Ces évolutions tendent à une individualisation des relations, au dépend des rapports entre pairs.

Toutes ces solutions vont nécessiter pour leur mise en œuvre une certaine évolution de la culture organisationnelle. « La décomposition des activités avec un comptage des temps n’est pas obtenue par une seule modification technique.  Il est également important de faire évoluer les mentalités et les habitudes » (ibid., p. 101). Pour cela, il est nécessaire pour la direction de convaincre les employés de la supériorité du management scientifique.

Cette persuasion prend un certain temps, cela ne peut être fait rapidement. Il est même conseiller de « travailler avec l’exemple, en mettant en place la nouvelle méthode avec un seul employé convaincu, puis il est progressivement possible de l’étendre à la totalité des employés » (ibid., 1929, p. 131).

Cette persuasion par l’exemple, nous la retrouvons à France Télécom où des sites pilotes furent choisis pour la mise en œuvre de l’inStranet. C’est le cas du groupe 2 qui a eu des relations plus privilégiées avec Net@too et avec l’ensemble des acteurs de l’intranet de la DR de Lyon.

Ce déploiement ciblé doit permettre de limiter les risques et de montrer l’intérêt d’une telle évolution dans un contexte où les managers sont préoccupés par d’autres sujets que l’intranet et où les webmestres sont fortement opposés ou très méfiants à l’égard de l’outil.

Certes, certains webmestres acceptent la nécessité d’une rationalisation (« je ne refuse pas l’évolution si l’outil permet une mise en ligne automatisée, on ne peut pas y échapper »), mais globalement les remarques des webmestres recueillies lors des entretiens sont assez explicites quant à leur scepticisme à l’égard de l’inStranet. Nous retrouvons ici, dans une moindre mesure, l’opposition assez marquée des employés des ateliers du début du 20ème siècle à la mise en place d’une taylorisation :

  •  « Aujourd’hui je suis beaucoup plus inquiète avec ce qu’il se passe avec l’inStranet. J’ai vraiment des craintes quant à l’avenir. »
  •  « Je n’irai pas contre le projet, j’exécuterai les ordres, mais à mon avis c’est se saborder que de faire cela. »
  •  « Je suis assez inquiet par rapport à ce projet car je me demande quel est l’avenir d’un webmaster. C’est comme si tu lui imputais un bras ».
  •  « On est à peine au courant des nouveaux outils, il y a la coquille ou je sais pas quoi, enfin ça veut tout dire ce mot de coquille ! »
  •  « A la DR de Lyon, les autres webmestres n’ont pas voulu mettre en place la V1 de la coquille. »
  •  « Plus de 50 % des webmestres de la DR n’ont pas voulu aller à la formation de la coquille inStranet. »

La volonté de réduire le nombre de webmestres, la difficulté pour présenter une rémunération ou une carrière attractive risque de remettre en cause la motivation voire l’implication de cette population dans son travail. Dans ces conditions, le cercle vertueux voulu par F.W. Taylor risque de ne pas se mettre en place.

Comme nous l’avions indiqué au tout début de ce document, trois webmestres du groupe 1 font ou ont fait partie d’une DR pilote pour l’inStranet. De plus, tous les webmestres ont « entendu parlé » de la coquille inStranet. Enfin, le groupe 2 commence à peine à l’utiliser.

Les contremaîtres sont les exemples les plus célèbres de ces contrôleurs qui vérifient que les employés

Si ce « deuxième pilier » du système de management de F.W. Taylor semble faire défaut à la rationalisation de l’intranet de France Télécom, qu’en est-il des modalités de contrôle ?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Emergence – Rationalisation d’un métier, professionnaliser ou tayloriser
Université 🏫: Université Paris-Est Créteil UPEC – Paris 20
Auteur·trice·s 🎓:
Sylvain BUREAU

Sylvain BUREAU
Année de soutenance 📅: DEA Sciences de Gestion « Management & Stratégie » de l’Université Paris Val de Marne et de l’Ecole Centrale Paris - septembre 2003
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