Le système de licence légale et ses fonctions

Section 2 – Le système de licence légale

Nous venons de voir que le système de licence légale applicable en droit français est celui prévu aux articles L. 214-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle. Si son instauration répond aux mêmes préoccupations que celles qui présidèrent à l’élaboration de la licence légale prévue dans les textes international et communautaire, son champ d’application diffère puisque, selon les juges, le législateur a entendu mettre en place un système moins étendu et donc plus protecteur des intérêts des auxiliaires de la création.

Toutefois, l’économie de la licence légale du Code de la propriété intellectuelle, ses fonctions et son fonctionnement sont les mêmes que ceux du texte conventionnel dont il s’inspire.

1 Dir. 92/100/CEE, vingtième considérant. « Considérant que les Etats membres peuvent prévoir, pour les titulaires de droits voisins, des dispositions plus protectrices que celles qui sont prévues à l’article 8 de la présente directive ; »

§ 1. Fonctions de la licence légale

Nous aurons l’occasion de le rappeler par la suite, la mise en place d’une licence légale répond à « un souci de pragmatisme et d’allégement des pesanteurs inhérentes au formalisme »1 afin d’éviter aux plus gros consommateurs de musique du commerce de solliciter l’autorisation de chaque intervenant pour chaque phonogramme qu’ils utilisent2. Ces gros consommateurs, qui sont-ils ? Il s’agit des mêmes personnes que celles qui concluent avec la SACEM des contrats généraux de représentation, à savoir d’une part les médias audiovisuels et d’autre part les lieux sonorisés.

Toutes présentent la particularité de ne pas utiliser les phonogrammes pour un usage personnel ou restreint (à la différence de l’utilisateur dans le cadre du cercle de famille ou du copiste) mais au contraire de diffuser plus ou moins largement, à titre principal ou accessoire, de la musique du commerce3. Ces utilisations sont néanmoins encadrées : elles ne relèvent pas toutes de la licence légale.

Autrement dit, dès lors que l’on sort des utilisations (A) et des destinations (B) autorisées au titre de la licence légale, le droit exclusif renaît : une autorisation spécifique et une rémunération proportionnelle librement négociées sont requises.

A. Les utilisations autorisées

L’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose « lorsqu’un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent s’opposer :

1° A sa communication directe dans un lieu public, dès lors qu’il n’est pas utilisé dans un spectacle ;

2° A sa radiodiffusion, non plus qu’à la distribution par câble simultanée et intégrale de cette radiodiffusion. »

1 GAUTIER (P.-Y.), op. cit., p. 624.

2 Pour reprendre l’exemple d’un auteur, imagine t-on chaque hôtelier de France téléphoner aux producteurs d’Eddy Mitchell, de Lara Fabian, etc… pour obtenir l’autorisation de créer une ambiance musicale dans le hall d’accueil ou dans les ascenseurs ! (ALLEAUME (Ch.), « Le champ d’application de la licence légale », Légipresse, janvier-février 2000, n° 168, III, p. 15). La licence légale est ‘‘l’alter ego’’ des contrats généraux de représentation en droit d’auteur : une gestion précise étant matériellement impossible, le texte a recours à une fiction légale : les lieux sonorisés paient, quelle que soit leur consommation réelle, une redevance les libérant de toutes démarches ou déclarations à effectuer.

3 Ainsi, la diffusion de musique du commerce est un aspect essentiel de l’activité des radios musicales ou des discothèques mais un aspect accessoire de l’activité de la plupart des lieux sonorisés (hôtels, centres commerciaux, salons de coiffure, etc…) voire de l’activité audiovisuelle (lorsque la musique n’occupe qu’une place secondaire dans l’œuvre audiovisuelle, que celle-ci n’a valeur que d’illustration sonore). La césure passe en fait, entre la sonorisation (utilisation accessoire) et la diffusion (utilisation principale). Cette distinction technique n’entraîne pas de distinction juridique entre les utilisateurs, qui tous peuvent bénéficier de la licence légale. Peu importe également si le prix payé par le client des différents utilisateurs est la contrepartie de la musique qu’il consomme (e.g. : prix d’entrée en discothèques) ou celle du service offert par l’utilisateur (e.g. : tarifs d’un salon de coiffure).

Nous distinguerons plus tard les utilisations et les procédés techniques qu’elles impliquent (cf. infra – p. 79 et s.) ; intéressons-nous pour le moment aux deux types d’utilisation envisagés par le Code.

1/ La communication directe du phonogramme dans un lieu public

Cette modalité d’utilisation du phonogramme n’intéresse pas directement la sonorisation d’œuvres audiovisuelles, encore que cet article puisse être invoqué lors d’une prestation live lors d’une émission de variétés.

Communication directe / communication indirecte

La communication au public est l’acte matériel caractérisant la représentation 1. Le procédé de communication importe peu, dès lors que cette communication est revêt un caractère public2. Cependant, concernant la licence légale, l’article L. 214-1 vise la seule communication directe. Cette précision appelle deux remarques.

Tout d’abord le texte vise la communication du phonogramme et non pas d’une œuvre. Dans le cas d’une œuvre musicale, l’acte de communication directe ou immédiate consiste obligatoirement en une exécution (par un interprète ou l’auteur lui-même) devant le public, tandis que la communication indirecte ou médiate implique le truchement d’un support matériel, selon la formule de H. Desbois.

Dans le cas d’un phonogramme, la communication de celui-ci pourra être immédiate, la représentation de l’œuvre qu’il contient sera toujours indirecte, le public n’est pas immédiatement au contact de celle-ci.

Ensuite, il y aura communication directe d’un phonogramme lorsque l’œuvre reproduite sur un support sonore sera proposée à l’écoute du public3 par un appareil lecteur sans étape technique intermédiaire supplémentaire : tel est le cas lors d’une audition publique d’un phonogramme (e.g. : le DJ diffuse le nouveau disque de Benny Benassi dans une discothèque), tel n’est pas le cas d’une radiodiffusion (e.g. : le même disque est diffusé par une radio musicale)1, les deux cas pouvant être simultanés (e.g. : une soirée dans un discothèque parrainée par une radio qui retransmet le mix du DJ2).

1 Art. L. 122-2 CPI. « La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque […] ».

2 Sur le caractère public de la communication : Cass. civ. 1ère, 6 avril 1994, JCP, 1994, II, 22273 et renvoi devant Paris, 20 septembre 1995, RIDA, avril 1996, p. 227 (chambres d’hôtel), Cass. civ. 1ère, 11 octobre 1983, RIDA, janvier 1984, p. 198 (juke-box), Cass. civ. 1ère, 23 juin 1987, Dalloz, 1987, IR, 169 ; Cass. civ. 1ère, 1er mars 1988, JCP, 1988, II, 21120 (audition publique d’un disque).

3 Que le public écoute ou entende le phonogramme communiqué, autrement dit le degré d’attention des auditeurs importe peu, dès lors que la communication est faite à destination d’un public. En revanche, si la volonté du public (écouter ou non) n’est pas retenue, celle du diffuseur (faire écouter ou non) semble être prise en compte ; c’est ainsi que sera qualifiée de communication au public la diffusion de musiques aux passants d’une rue (Rennes, 25 juillet 1939, Gaz. Pal., 1939, 2, 335) mais pas la diffusion, à titre d’essai du matériel, de disques dans un magasin d’appareils de radio (Cass. 6 octobre 1955, JCP, 1956, II, 9418 ; V. également l’art. 5, §2.l de la Dir. 2001/29/CE).

L’utilisation pour un spectacle

La communication du phonogramme – fusse directement – dans le cadre d’un spectacle demeure soumise au droit exclusif. Les rédacteurs du texte de loi ont estimé qu’une telle utilisation « serait en quelque sorte un élément du spectacle organisé par un tiers »3.

Conséquence en matière de télévision : si une émission de variétés a lieu en direct et que les artistes se produisent en play-back ou que leur prestation est ‘‘ampexée’’4, la diffusion de l’émission semble entrer dans le champ de la licence légale mais l’utilisation du phonogramme n’échappe pas au monopole.

Le lieu public

Les lieux publics envisagés par le législateur sont d’abord les discothèques mais aussi tous les lieux sonorisés (bars, cafés, brasseries, ascenseurs, parkings, salons de coiffure, grandes surfaces, hôtels, magasins, parc de loisirs, restaurants, cinémas, casinos, cabarets, stations de ski, etc…5) ou les manifestations musicales diverses (bals, kermesses, défilés, fêtes votives…).

Cette condition de diffusion dans un lieu public semble qu’une représentation publique dans un lieu privé puisse échapper au droit exclusif d’autoriser ou d’interdire 1.

1 Ce qui explique que le cas de la radiodiffusion fasse l’objet d’un alinéa distinct.

2 Mix : exécution musicale d’une playlist (sélection de disques) par un(e) DJ (disc-jocket) consistant à enchaîner les disques sans rupture de tempo.

3 Rapport Richard, déjà cité, p. 47.

4 L’ampex est une technique consistant à enregistrer la prestation (play-back ou live) d’un artiste, en présence ou non d’un public et à diffuser cette séquence au cours d’une émission. La prestation présentée à l’image est également projetée sur des écrans en plateau, des plans sur les applaudissements et les réactions du public découvrant la prestation sont ajoutés. Les séquences sont la plupart de temps tournées sur le plateau de l’émission afin de donner ainsi l’impression aux téléspectateurs que l’artiste est physiquement présent pendant le déroulement de l’émission. L’ampex permet la participation d’un artiste indisponible le jour du tournage de l’émission ou encore de livrer une prestation sans fausse note ! Cette technique est fréquemment utilisée aussi bien pour des émissions enregistrées (e.g. : Hit Machine) que des émissions en direct (e.g. : NRJ Music Awards) même si le public présent venu pour écouter une vedette est parfois mécontent (mécontent d’avoir payé leur place pour finalement assister à des séquences ampexées, le public des Elections Miss France 2002 apostrophe J.P. Foucault).

5 Les chambres d’hôtel pourvues d’un poste de réception individuel que le client à la liberté d’utiliser ou non, même si elles constituent, le temps de leur occupation par le client, un lieu privé mais « accessible au public ». Il a ainsi été jugé que les clients d’un hôtel constituent un public et que l’utilisation d’un poste de réception constitue une représentation (faisant une application de l’article L. 132-20 : Cass. civ. 1ère, 6 avril 1994, Dalloz, 1994, 179 ; JCP, II, 22273, confirmé en renvoi par Paris, 20 septembre 1995, Dalloz aff., 1995, n° 5, p. 116) , ouvrant sans doute droit pour les intervenants au paiement d’une rémunération équitable

2/ La radiodiffusion du phonogramme

L’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle envisage une deuxième utilisation des phonogrammes ouvrant droit à une rémunération forfaitaire : la radiodiffusion. Cette radiodiffusion peut avoir lieu à titre principal (sans autre finalité que l’écoute du phonogramme) ou bien à titre accessoire (le phonogramme est utilisé à des fins d’illustration sonore).

Radiodiffusion et télédiffusion

La télédiffusion est définie par le Code comme étant « la diffusion par tout procédé de communication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature »2. Cette définition très large englobe une multitude de procédés tels que la diffusion par voie hertzienne, par satellite ou par câble 3. La radiodiffusion est revanche n’est pas définie par le texte. Il semble qu’il faille comprendre ce terme à la lumière de la définition de la Convention de Rome qui précise qu’on entend par

« émission de radiodiffusion, la diffusion de sons ou d’images et de sons par le moyen des ondes radioélectriques, aux fins de réception par le public »4. La radiodiffusion ne se limite pas à la seule radiophonie mais peut également inclure des signaux vidéos, la transmission de ces informations s’effectuant par ondes radioélectriques 5.

En visant la radiodiffusion et non pas la télédiffusion, le législateur a ainsi écarté tout d’abord, l’application de la licence légale aux diffusions filaires (qui auraient inclus la communication par câble mais aussi les télécommunications).

1 Concernant le caractère public de représentations gratuites dans un domicile privé : Trib. corr. Paris, 24 janvier 1984, Gaz. Pal., 1984, 1, 240. Comp. également avec la jurisprudence en matière de domicile virtuel privé (pages web privées) : affaire Brel et Sardou, TGI Paris, 14 août 1996, 2 espèces, JCP E, 1996, II, 881 ; Trib. corr. Saint-Etienne, 6 décembre 1999, Communication Commerce Electronique, juillet-août 2000, comm. 57 ; Trib. corr. Epinal, 24 octobre 2000, Communication Commerce Electronique, 2000, comm. 125.

2 Art. L. 122-2 CPI.

3 Le fait que l’art. L. 132-20 CPI précise que l’autorisation d’une représentation d’une œuvre par sa télédiffusion par voie hertzienne n’inclut pas sa distribution par câble (« à moins qu’elle soit faite en simultané et intégralement ») ni son émission vers un satellite, indique qu’à défaut de ces dispositions contraires, ces trois procédés équivalent.

4 Art. 3, f. de la Convention de Rome, également l’art. 8 de la Dir. 92/100/CEE, V. cependant l’amalgame entre radiodiffusion , par satellite et par câble dans le 3ème considérant de la Dir. 93/83/CEE qui instaure une différence de régime pour la retransmission par satellite et celle par câble en dehors de la zone de diffusion initiale.

5 En France, la radiodiffusion médiatique occupe 26,3 % du spectre hertzien et s’effectue par ondes kilométriques, hectométriques, décamétriques, métriques, décimétriques, centimétriques, et millimétriques (de 30 kHz à 300 GHz) selon le type de communication. DEBBASCH (Ch.) (sous la direction de), Droit des médias, coll. Référence, Dalloz, Paris, 2002, p. 94.

Radiodiffusion et câblodistribution

La communication par câble ou autre réseau filaire n’est pas comprise dans la notion de radiodiffusion. Ce faisant, le législateur n’a pas souhaiter inclure les services interactifs dans le champ d’application de la licence légale.

Il ne fallait pas que des banques de phonogrammes accessibles à la demande des usagers puissent être constituées au détriment des droits des producteurs. Saluons au passage, la clairvoyance des rédacteurs (et des lobbies des producteurs de phonogrammes !) qui, bien avant l’avènement d’internet, avaient saisi le ‘‘danger’’ que pouvait constituer une exploitation interactive de la musique.

Lorsque la diffusion par câble ne présente pas de caractère interactif, et qu’elle ne consiste qu’en la distribution intégrale et simultanée d’un programme radiodiffusé 1, le bénéfice de la licence légale peut toutefois être invoqué par les diffuseurs pour sonoriser leurs émissions 2.

Radiodiffusion et télévision

L’emploi de la notion de radiodiffusion fait que la licence légale s’applique aux chaînes de télévisions. Le mode de distribution de cette chaîne est sans importance et la télévision numérique de terre entrera également dans le champ d’application de l’article L. 214-1.

Une question se pose quant aux services de télévision interactifs. Nous l’avons vu, le législateur a très clairement entendu exclure des procédés de communication autorisés, les modes de diffusion interactive qui permettraient une utilisation privée du phonogramme. Jusqu’alors, l’interactivité audiovisuelle ne permettait pas ce type d’utilisation 3.

1 L’art. L. 214-1 n’envisageant que l’utilisation d’un phonogramme par un programme distribué par câble que si ce programme fait concomitamment l’objet d’une radiodiffusion, on peut s’interroger quant à savoir si la licence légale s’applique à des services de radio ou de télévision non interactifs distribués uniquement par câble. V. cependant TGI Paris, 26 octobre 1993, Multiradio, RIDA 3/1994, p. 395 appliquant la licence légale à une radio numérique sur câble.

2 Art. L. 214-1, 2° in fine.

3 Jusqu’à présent les services interactifs proposés en matière de télévision concernent les seules chaînes câble et satellite. L’interactivité est somme toute relative, elle ne permet pas une diffusion à la demande, tout au plus de participer à des jeux (Club Nelly sur Télétoon), d’obtenir des informations sur les émissions diffusées (MCM2, Eurosport…) ou d’accéder à un portail de jeu indépendant (Equidia, Tfou, Boomerang…). « Interactivité et télévision », note interne, CSA, septembre 2003.

Cependant de telles applications devraient être très prochainement proposées en radio comme en télévision, notamment avec l’émergence de la diffusion numérique hertzienne. Un programme incluant un phonogramme et pouvant être diffusé à la demande bénéficierait-il du système de licence légale ?

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