Le cadre théorique de la déscolarisation révèle des déterminants surprenants de l’abandon scolaire au Bénin. Alors que l’on pourrait penser que l’âge et la situation matrimoniale influencent fortement ce phénomène, les résultats montrent que la pauvreté et l’éducation parentale jouent un rôle bien plus critique.
Revue théorique
Il existe une large et riche littérature sur les facteurs explicatifs de la déscolarisation des élèves. Nous passons ici en revue les fondements théoriques des déterminants de la déscolarisation.
L’éducation
Staline (1935) met l’accent sur le rôle de l’éducation. Il dit en ses termes : pour mettre la technique en mouvement et d’utiliser, il faut des hommes maitres de la technique, des cadres pourvus de l’expérience capable de s’assimiler et d’utiliser cette technique, selon toute les règles de l’art. La technique sans les hommes qui ont acquis la maitrise est une chose morte.
De plus, le concept du capital humain s’est imposé dans les analyses et les débats portant sur l’économie de l’éducation, le marché du travail, d’emploi, la détermination des salaires et donc du revenus, la croissance économique et les dépenses publiques dans les domaines sociaux comme la santé, la sécurité etc. L’instruction est donc prise comme un investissement, car elle permet aux individus d’augmenter leurs productivités futures et leurs revenus ; ainsi, les individus qui ont un niveau d’éducation élevé ont souvent un revenu élevé, ils connaissent moins le chômage et ont plus de chance d’occuper des postes prestigieuses par rapport au moins diplômé, l’investissement dans l’éducation en de ce fait sa raison d’être (Denison, 1964).
Selon E. Durkheim (1922), « l’école est primordiale pour une bonne formation politique, sociale et morale des enfants ». Dans ce cadre, l’école est perçue comme le lieu par excellence où l’enfant acquiert l’ensemble des composantes qui lui permettent de mener une bonne vie en communauté. L’éducation scolaire apparaît alors comme une priorité qui permettra à l’enfant de s’épanouir au sein du groupe. Suivant cette analyse, les garçons et les filles ont tous le même besoin d’intégrer l’école car ils sont les uns comme les autres des agents au sein de la société avec les mêmes besoins d’interagir, de communiquer et d’évoluer au sein du groupe.
Seulement, il faut noter que Durkheim (1922) n’accorde pas trop d’importance à la dimension culturelle. En effet, dans sa conception, il ne prend pas en compte une possible incompatibilité entre l’école en tant qu’institution et les réalités qui existent dans certaines sociétés. Son analyse est plus orientée vers la dimension économique du rapport école-société.
Cette inadaptation de l’école à certaines sociétés est soulignée par P. Erny (1972). Il y explique la forte influence que le milieu exerce sur l’enfant du fait de sa dépendance vis-à-vis de son environnement. Pour lui, la société africaine façonne l’enfant en fonction de ses normes, ses préoccupations culturelles et ses réalités. De ce fait, si les réalités de sociétés ne sont pas en adéquation avec les normes de l’institution scolaire, l’enfant aura du mal à trouver sa place dans le milieu scolaire. Selon cette analyse, faite par P. Erny (1972), on peut voir comment l’école s’adapte difficilement au milieu socioculturel africain.
C’est d’ailleurs dans le même sens qu’abonde J. Ki-Zerbo (2010) quand il souligne qu’il y a « d’incompatibilité entre le système scolaire occidental et les valeurs culturelles africaines ». Pour ce dernier, « l’appareil éducatif est une bombe à retardement qui épuise les ressources sans contrepartie, désintègre les structures sociales et stérilise la culture ». Ici, on note qu’au-delà de la perception de P. Erny, Ki-Zerbo (1998) qualifie quelque part l’école d’un instrument qui « tue » la culture et enfonce l’Afrique dans le sous-développement. On voit ainsi que ces deux auteurs, bien qu’ayant des approches différentes (le premier est psychologique, la deuxième est plutôt économique), défendent l’un comme l’autre la thèse selon laquelle l’école occidentale ne rime pas avec réalités socioculturelles africaines.
Mais, cette perception commune à P. Erny et J. Ki-Zerbo (1998) est quelque part hermétique en ce qu’elle n’encourage pas l’échange entre cultures. En effet, dès lors qu’il y a l’idée d’incompatibilité entre l’école occidentale et la société africaine, tout rapprochement entre les deux cultures devient difficile. Aussi, ces auteurs ne mentionnent pas l’utilité que l’école peut avoir au sein de la société.
C’est sans doute ce que P. Jaccard (1962) a voulu faire ressortir en établissant le rapport entre l’éducation scolaire et le développement économique. Dans son ouvrage intitulé Sociologie de l’éducation, il soutient l’idée selon laquelle « la préparation scolaire et professionnelle de la jeunesse dans tous les pays est la condition première non seulement du progrès mais déjà de la survivance de notre civilisation ».
Donc, comme Durkheim (2010), il rattache le développement économique, social, et politique à l’éducation scolaire. Certes, l’éducation de base universelle et efficace demeure encore une priorité pour plusieurs États africains eu égard du faible taux de scolarisation et de l’alphabétisation dans lequel végètent les adultes, mais ce n’est pas pour autant que l’éducation culturelle et sociale inculquée à l’individu dans son environnement immédiat doit être reléguée au second plan.
L’assertion de P. Jaccard (1962) nous donne l’impression que l’évolution de la société dans sa globalité dépend exclusivement de la scolarisation des enfants. Or, chaque société a son identité culturelle et risque de disparaître si cette dernière n’est pas sauvegardée. Ainsi, comme le disait J. Ki-Zerbo (2010), « l’éducation inclut la scolarisation d’inspiration occidentale, mais aussi l’éducation traditionnelle qui a produit tant d’intellectuels et de savants ».
Il faut noter que d’une part, Durkheim et Jaccard (1956) ont axé leur analyse sur le plan économique, politique et social et se placent dans un contexte occidental. D’autre part, des auteurs comme Ki-Zerbo et Erny fondent leurs analyses sur la base d’une dualité entre la culture africaine et l’école occidentale.
Dans un autre registre et de façon plus approfondie, P. Bourdieu (1996) émet sa thèse sur l’école et le type de société. Pour lui, on intègre bien ou pas l’école selon le milieu social d’origine c’est-à-dire que la position sociale de l’enfant définit sa capacité d’adaptation et d’assimilation à l’école. Ainsi, il affirme que « les élèves appartenant à un milieu social aisé ont plus de chance de réussir à l’école que ceux des classes populaires ». Dans ce cadre, Bourdieu (1996) met en évidence le caractère économique et culturel de l’éducation.
Cette thèse s’adapte d’ailleurs le mieux à notre sujet du moment où nous nous intéressons aux facteurs dus à l’abandon de l’école par les élèves. Aussi faut-il souligner que la thèse de Bourdieu (1996) ne prend pas en compte le problème du genre face à l’inégalité des chances à l’école. Cet aspect ne peut être omis en ce qui nous concerne dans notre étude. Il existe déjà dans certaines sociétés africaines une certaine marginalisation des enfants dont les parents appartiennent à la basse classe au profit des enfants dont les parents sont aisés et qui peuvent envoyer leurs enfants dans des écoles prestigieuses et digne de nom. Ces inégalités peuvent se reproduire dans différents domaines comme celui de l’éducation scolaire. Dans ce sens, l’école devient « un instrument de reproduction sociale ».
Selon le Dictionnaire de sociologie, l’éducation prise dans son sens le plus général, recouvre toute activité sociale visant à transmettre à des individus l’héritage collectif où ils s’insèrent. Comme le soutient P. Jaccard (1962), « en effet, l’éducation est en elle-même un fait social, et des plus importants, puisqu’elle est une communication d’idées, d’arts et de techniques, bref de manières d’être, de penser, d’agir ».
On voit ainsi que le champ de l’éducation est si complexe qu’aucune action menée en vue une quelconque transmission de la culture, des valeurs ou du savoir ne peut en être exclue.
Cependant, c’est dans un cadre plus restreint et qui colle le plus avec notre sujet que le sociologue de l’éducation E. Durkheim (1922), définit l’éducation. Ce dernier nous dit que « l’éducation a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné ».
De plus, selon Migisha (2006), l’éducation est : « une initiation à un domaine particulier de connaissances, un ensemble des acquisitions morales, intellectuelles et culturelles, une connaissance de bons usages de la société.». D’après (Macaire, 1993), l’éducation est l’art d’élever les enfants. Elle les prépare à devenir des hommes complets, instruits, consciencieux, utiles à la société. Elle vise à développer la personnalité de l’enfant, tel est le premier objectif.
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les principaux facteurs explicatifs de la déscolarisation au Bénin?
L’étude identifie le niveau de pauvreté des parents et les facteurs géographiques comme principaux éléments explicatifs de la déscolarisation.
Quel est le rôle de l’éducation dans la déscolarisation selon l’article?
Selon l’article, l’éducation est primordiale pour la formation politique, sociale et morale des enfants, et elle est perçue comme un investissement qui permet d’augmenter les productivités futures et les revenus.
Pourquoi l’âge et la situation matrimoniale n’ont-ils pas d’impact significatif sur la déscolarisation?
L’article mentionne que, contrairement aux attentes, l’âge et la situation matrimoniale ne montrent pas d’impact significatif sur la déscolarisation.