Le déploiement diplomatique du Cameroun à l’OUA/UA rencontre plusieurs limites, tant humaines que stratégiques. Des scandales, comme celui de la Lonrho, et des tensions entre diplomates ont fragilisé son influence. De plus, la faible représentativité camerounaise au sein de l’UA et l’absence d’une politique étrangère compétitive réduisent son impact. Ces obstacles montrent la nécessité d’une approche plus structurée pour renforcer la présence et l’efficacité du Cameroun sur la scène diplomatique africaine.
II. Les limites du déploiement diplomatique du Cameroun à l’OUA/UA
Le déploiement de la diplomatie camerounaise sur la scène régionale africaine de 1963-2003 a laissé paraître deux principales limites qui eurent à la fois un coup sur la dynamique fonctionnelle de l’OUA/UA et sur sa projection au sein desdites instances. Il s’agit à cet effet des limites d’ordre humain et stratégique.
1. Les limites d’ordre humain
Cette section nous emmène à évoquer ici deux choses : le scandale de la Lonrho et le bras de fer Ferdinand Léopold Oyono-Salim Ahmed Salim.
‘’Le scandale de la Lonrho’’ et la révocation du diplomate camerounais Joseph Nzo-Ekangaki
Au moment où le pays s’apprête à mettre sur pied un dispositif conséquent à son ambition de tonifier sa diplomatie en lui insufflant une nouvelle âme, il subit un sanglant revers qui a dû lui couter à la fois sa place et sa notoriété au sein de l’organisation panafricaine.
En effet, en 1973, l’Egypte aidé par la Syrie et la Jordanie entrent en guerre contre Israël, dans l’optique de récupérer les territoires occupés en 1967 par Tsahal et de rétablir le peuple palestinien dans ses droits. L’Afrique se montre solidaire de cette cause ; elle qui s’est battue d’arrache pieds contre l’occupation coloniale en Afrique et la ségrégation raciale en Afrique du Sud.
L’OUA, qui s’est fixé pour but de libérer la Rhodésie, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau, la Namibie et le Sahara occidental, a mis sur pied un comité de coordination pour la libération totale de l’Afrique. Le comité étant chargé de mobiliser des ressources pour soutenir la lutte armée. Suite à l’élection de Joseph Nzo-Ekangaki, les espoirs sont placés en le Cameroun qui a connu une des décolonisations les plus violentes en Afrique Noire.
Le Pays alors dirigé par Ahmadou Ahidjo est un des Etats les plus influents de la scène africaine. Raison pour laquelle en guise de reconnaissance Yaoundé a abrité plusieurs fois les assises du comité ad-hoc de l’OUA.
Le conflit israélo-arabe étant à ses débuts, l’Etat hébreux subit une série de revers militaires qui poussent son allié américain à intervenir pour le soutenir. Les pays arabes décident alors d’utiliser le pétrole comme levier de pression diplomatique contre l’Occident. Ils en réduisent leur production de près de 25% et décrètent un embargo sur les exportations vers les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, le Portugal et les Pays-Bas. Les pays africains subissent, comme victimes collatérales, les affres de l’inflation du prix du baril de pétrole et tentent de convaincre les pays arabes producteurs de revoir leur politique qui engendre des effets néfastes.
C’est dans cette perspective que l’OUA prend certaines mesures en vue d’atténuer les effets de cette crise pétrolière. Sous le sceau de la confidence, Nzo Ekangaki alors secrétaire général de l’OUA charge la London Rhodesian Mining Land Compagny (Lonrho) ‘’d’établir des contacts avec les Etats membres touchés par l’embargo sur le pétrole, de conseiller, d’assister et d’entreprendre pour ses membres toutes les taches nécessaires pour redresser la situation causée par l’embargo pétrolier’’.
En janvier 1974, l’affaire est révélée au grand jour par Paul Bernetel, journaliste de l’hebdomadaire ‘’Jeune-Afrique’’. Dans une série d’articles relayés par la presse internationale, celui-ci et son collègue Denis Krylen rendent publiques toutes les confidences de l’OUA en rapport avec la crise pétrolière.
C’est ainsi que l’on a appris, par exemple que cette compagnie est l’un des principaux bailleurs de fonds des régimes coloniaux de Rhodésie et d’Afrique du Sud. Elle a investi des fortunes dans les mines, des grandes plantations et le commerce en Afrique Australe. Le scandale débouche sur des révélations fracassantes amplifiées par la presse.
L’on aura ainsi appris que Nzo Ekangaki a succombé à l’appât du gain. Ambroise Béhalal, qui s’étant occupé du dossier révélait que le camerounais a reçu des ‘’pots de vin’’ de la firme anglo-rhodésienne Lonrho. Il dévoilait, par ailleurs, un autre scandale également causé par son compatriote : ‘’affirme-t-il de manière formelle, a également pris un prêt à la Commercial Bank of Ethiopia, mais a fait dire que c’est au nom du président Ahmadou Ahidjo’’.
Les travaux de la 22ème session du conseil des ministres, programmés le 22 février 1974 sont annulés en raison de la situation politique en Ethiopie. Nzo Ekangaki ne peut s’expliquer devant les chefs d’Etats africains au moment même où l’affaire commence à paralyser l’institution panafricaine. Une véritable crise de confiance s’instaure au sein de l’OUA. Celui-ci a tenté en vain de s’expliquer à la session du conseil des ministres du 1er avril 1974 à Kampala.
Les chefs d’Etat africains et le président en exercice de l’OUA, le général Yakoubou Gowon du Nigéria, n’ont pas caché leur amertume, tout en dénonçant sans ambages l’initiative du secrétaire général et les dérives managériales de ce dernier.
Au terme de la session de l’OUA, celui-ci est révoqué de son poste de secrétaire général de l’OUA. La révocation du diplomate camerounais est durement ressenti par le président Ahmadou Ahidjo qui n’a pas caché son désarroi. Le renvoi de ce dernier laisse, par ailleurs, au Cameroun une image sérieusement entachée au sein de l’organisation panafricaine. Bien que son compatriote Eteki Mboumoua lui succède à la tête du secrétariat général, ce dernier s’est contenté à son tour lors de l’exercice de son mandat de quatre (4) ans, à ne être qu’un personnage effacé.
Quoique l’on puisse dire, le Cameroun qui a toujours cherché à préserver son image de marque, le scandale de la Lonrho contribue dûment à la ternir. En plus de cette déconvenue d’ordre humain de la diplomatie camerounaise à l’OUA/UA, on peut aussi ajouter à cela le bras de fer Ferdinand Léopold Oyono-Salim Ahmed Salim.
‘’Le bras de fer’’ Ferdinand Léopold Oyono-Salim Ahmed Salim
Ferdinand Léopold Oyono, ministre des relations extérieures du Cameroun de 1992-1997, a joué un très grand rôle dans la tenue et les préparatifs du 32ème sommet de l’OUA à Yaoundé en 1996. Mais il n’en demeure pas moins que celui-ci ait parfois outrepassé son domaine de compétence. C’est le cas du contentieux qui s’est posé au sujet d’une structure de l’OUA basée à l’université de Dschang, le Centre africain de recherche et de formation phytosanitaire (CARFOP).
Le CARFOP était une institution de formation de cadres africains de conception dans le domaine de la protection des végétaux et des récoltes. Les membres directeurs du CARFOP étaient nommés par le secrétaire général de l’OUA. En mars 1994, le directeur général du CARFOP, Jacob Foko, s’est trouvé en démêlé avec Ferdinand Léopold Oyono, MINREX, pour ‘’refus d’exécution’’.
Le ministre camerounais des relations extérieures entre en discorde avec le secrétaire général de l’OUA pour avoir voulu imposer un directeur autre que celui nommé par Salim Ahmed Salim alors que les textes de l’OUA ne lui donnaient aucun droit de poser un tel acte.
La présidence de la République du Cameroun informée par les protestations du secrétaire général de l’OUA va réagir par la voix de son secrétaire général Titus Edzoa demandant à Oyono de surseoir au limogeage de Jacob Foko ou de le rétablir dans ses fonctions. Mais Ferdinand Léopold Oyono n’avait pas cru devoir obéir aux instructions de sa hiérarchie. Ce bras de fer entre Oyono et Salim Ahmed Salim mit près d’un mois jusqu’à ce que ordre soit donné au recteur de l’Université de Dschang de procéder, avec au besoin de secours de la police, à la réinstallation de Jacob Foko.
Abus de pouvoir ? Rancune ou malentendu entre les parties concernées. Il est difficile de donner un jugement sur la question. Toutefois, on sait qu’avant le déclenchement de ce différend en 1994, le Cameroun fait partie des Etats africains considérés comme des mauvais payeurs à l’OUA accusant plus deux milliards d’arriérés de cotisation.
Ce bras de fer entre le MINREX et le secrétaire général de l’OUA, avait à cette époque laissé une très mauvaise impression du Cameroun sur la scène régionale africaine, en plus du fait que celle-ci était jusqu’ici encore entachée par l’affaire de la Lonrho et les absentéismes répétées de son chef de l’Etat aux différents sommets de l’institution. Excepté les limites d’ordre humain de la diplomatie camerounaise à l’OUA/UA, celles d’ordre stratégique ont aussi participé à émailler son déploiement.
Les limites d’ordre stratégique
Au rang des limites d’ordre stratégique, elles se déclinent de deux principales manières : il s’agit de la faible représentativité des camerounais à l’UA et un dysfonctionnement d’ordre logistique.
La faible représentativité des camerounais à l’UA
Cette faible représentativité à l’UA est due à la difficile maîtrise des comportements humains et l’inexistence d’une politique de placement de ses ressortissants au sein de ladite instance.
La difficile maîtrise des comportements humains
Si l’ambition personnelle a souvent joué contre le recrutement de certains camerounais, l’absence d’une stratégie permanente, objective et coordonnée de placement concourt largement à cette réalité.
Pour comprendre la réalité d’une organisation, il ne suffit pas d’en connaître des règles. Cette affirmation appliquée à la fonction publique camerounaise en général et au MINREX en particulier pourrait permettre de comprendre la gestion subjective des appels à candidature. Dans le schéma formel, le récepteur de correspondance faisant état de l’appel à candidature ou de vacance de poste en informe les potentiels candidats. Mais, l’analyse sociologique d’une organisation va toujours au-delà de la règle juridique qui correspond rarement au comportement quotidien de l’acteur.
Ainsi, l’ambition personnelle et les antipathies s’immiscent très souvent dans la gestion de l’information concernant des postes à pouvoir au sein de l’organisation panafricaine. La fonction publique internationale, hormis le fait qu’elle recouvre de prestige ses membres, est généralement une source importante de revenus. Par conséquent, elle attise l’ambition de tous et de chacun. Or, l’augmentation des chances de réussite d’un acteur passe nécessairement par l’élimination systématique de ses adversaires. Et c’est ainsi que la rétention de l’information pénalise certains potentiels candidats au profit du détenteur de l’information concernant un appel à candidature.
Ainsi, ce ne sont plus nécessairement les candidats les plus compétents qui postulent à des postes de l’Union africaine. Et quand on sait que le couple expérience-compétence est un critère majeur dans le recrutement du personnel dans cette organisation, l’absence de camerounais y est quelque peu expliquée.
Toutefois, la difficile maîtrise des comportements humains qui est une épine au placement des ressortissants camerounais à l’UA, est tout aussi la résultante de l’insuffisance d’une politique étrangère camerounaise compétitive de placement de ses ressortissants au sein de l’UA.
L’insuffisance d’une politique étrangère camerounaise compétitive au sein de l’Union africaine
L’analyse de la politique étrangère d’un Etat ne s’effectue que sur la longue durée. C’est celle qui détermine les constances et les ruptures dans le façonnement de l’environnement international d’un Etat. Vingt-cinq années se sont écoulées entre la fin du mandat de William Aurélien Eteki Mboumoua à la tête de l’OUA, en 1978, et l’élection d’Elisabeth Tankeu comme commissaire chargé du commerce et de l’industrie à l’Union Africaine. Pendant cette période, aucun ressortissant camerounais n’a été présent dans les hautes instances africaines.
C’est donc une véritable rupture et une traversée de désert qui se traduit par une absence manifeste de volonté politique dans le sens d’une grande intégration des camerounais dans les sphères multilatérales africaines. Et ce d’autant plus que dans l’organigramme du MINREX de 1996, il ne lui a été confié aucune mission relative au placement des camerounais au sein des organisations internationales.
La présence des Camerounais dans l’Union Africaine ne peut être fonction que de l’engagement du Cameroun dans la recherche des positions stratégiques et prestigieuses au sein de cette organisation. Et malgré un idéal de présence, de participation et de rayonnement, la diplomatie camerounaise ne peut s’affirmer que si elle est sous tendue par une politique étrangère dynamique. Au sein de l’UA depuis le début du XXIème siècle, nous sommes loin de cette réalité car, de nombreux dysfonctionnements d’ordre logistique empiètent également son déploiement.