B – Le mouvement zapatiste
Le mouvement zapatiste est un élément clé de l’histoire du Mexique qui a participé àla redéfinition des rôles au sein de la communauté mexicaine, notamment le rôle et les droits des populations autochtones.
1- Les prémices du mouvement
Ce mouvement est lancé dans un objectif de redéfinition et d’affirmation des droits des populations autochtones au Mexique, à la suite de la volonté de l’État mexicain de rentrer dans l’accord de libre-échange avec les États-Unis, le NAFTA. Plus largement, dans un contexte de libéralisation des économies mondiales, le Mexique va lancer un projet national accès sur le néolibéralisme : la privatisation des services publics, libéralisation et ouverture des frontières aux capitaux étrangers, et privatisation des terres agricoles afin de favoriser les investissements étrangers (voir II-A). Le zapatisme s’organise bien avant l’entrée du Mexique dans l’accord de libre-échange, mais cette date va marquer un tournant dans la prise en considération du mouvement.
170 « Armée zapatiste de libération nationale », in Larousse, .
La plupart des zapatistes étaient des paysans pauvres, producteurs de maïs, de café ou de bétail, cultivant sur des ejidos. Les politiques souhaitées et mises en place par le gouvernement mexicain axées sur la privatisation et sur l’ouvertureéconomique allaient donc à l’encore des intérêts des ejidatarios. Cette période néolibérale va débuter avec la présidence de Miguel de La Madrid (1982-1988), à la tête du Parti néolibéralisme économique, comme une résistance au capitalisme. L’organisation productive et la division des terres est un des axes majeurs des revendications de l’EZLN.
Comme vu dans auparavant, les lois concernant la répartition des terres, notamment avec le changement législatif de 1992, vont faciliter la spoliation des terres ejidales au profit de la production agricole à grande échelle. De nombreux paysans, en grande partie autochtones, vont donc se retrouver sans terre à cultiver et sans accès à des moyens de subsistance. Les revendications des zapatistes peuvent être résumées en 3 parties (bien que cette liste ne soit pas exhaustive), selon la chercheuse Gemma van der Haar171: la lutte pour les terres, la lutte pour la reconnaissance des populations autochtones, et la lutte pour la mise en place d’institutions démocratiques et autonomes au sein du gouvernement. C’est donc à la fois une lutte ethnique et anticapitaliste172. Ce mouvement est particulièrement observé par les chercheurs en sciences sociales, et de nombreuses approches sont utilisées afin de définir le mouvement.
Ici, nous souhaitons montrer que ce mouvement s’inscrit, comme Idle no more, dans une prise de position médiatique et organisée des populations autochtones contre le système étatique en place. Ces deux mouvements s’inscrivent dans des contextes différents, et utilisent des modes d’actions différents, mais ils possèdent quelques caractéristiques communes que nous allonsétudier. Quand nous nous référons aux « zapatistes », nous faisons référence aux membres de l’EZLN (la structure militaire) ainsi qu’aux civils qui appuient et soutiennent le mouvement. Il est important de rappeler qu’aux prémices du mouvement, les revendications n’étaient pas accès sur les populations autochtones, mais bien sur les paysans en général.
Des individus non autochtones ont fait partie des luttes zapatistes, particulièrement au début des revendications. Les demandes concernant la prise en considération des populations autochtones et le respect de leurs droits interviendront plus tard dans la lutte.
171 Gemma VAN DER HAAR, « EL MOVIMIENTO ZAPATISTA DE CHIAPAS : DIMENSIONES DE SU LUCHA », in International Institute of Social History, 2005
172 Jérôme BASCHET, « Autonomie, indianité et anticapitalisme : l’expérience zapatiste », in Actuel Marx, vol. 56, no. 2, 2014.
Les zapatistes sont devenus une force politique prédominante dans le centre-sud du Pays, principalement dans l’État du Chiapas, mais aussi dans les États de Puebla, Guerrero et Estado de México173. Ils tirent leur nom du héros de la révolution mexicaine, Emiliano Zapata, qui s’est transforméen symbole de la lutte zapatiste.
« La tierra es para quien la trabaja » (La terre est pour ceux qui la travaillent) avait revendiqué Zapata. A l’origine associé à la révolution madériste, dirigé par le politique Francisco Madero, Zapata a rapidement pris ses distances dans ses revendications.
Une fois élu président en 1911, et après avoir poussé à l’exil le président libéral Porfirio Diaz, Madero a refusé les exigences de Zapata, notamment dans la demande de restitution des terres spoliées aux paysans à qui elles appartiennent : « Terre et liberté ». Zapata a lors déclaré en 1911 sa propre réforme agraire, nommée plus communément le Plan de Ayala qui revendique la collectivisation des terres ejidales afin de stopper l’oppression néolibérale exercée sur les paysans et autochtones174.
2 – Les caractéristiques du mouvement
a- Origine du mouvement
Le mouvement zapatiste, bien que basé sur les revendications de Zapata, s’axe sur de nombreux mouvements révolutionnaires et contestataires, lancés dès les années 1960 (comme le mouvement des forces de libération National, FLN, mais aussi des mouvements contestataires étudiants), notamment dans l’État du Chiapas. Comme l’explique Marco Ambrosi de la Cadena175, le Chiapas a, depuis la colonisation espagnole, été considérécomme l’épicentre de nombreux mouvements contestataires, notamment liés au droit d’accès aux terres agricoles.
173 ÁVILA ESPINOSA, Felipe, Los orígenes del zapatismo, El Colegio de México : Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM), 1999, p.22
174 « Emiliano Zapata, el héroe del pueblo en la revolución mexicana », in Historia – National Geographic, 2022, Consulté le 30 avril 2023.175 Marco AMBROSI DE LA CADENA, « El Zapatismo como ‘resistencia crítica’ al neoliberalismo », in Chakiñan : Revista de Ciencias Sociales y Humanidades, vol. 4, 2018
Mouvement paysan révolutionnaire, de transformation sociale et économique, basésur les revendications de Zapata à savoir le droit à la terre pour les paysans, le zapatisme a donc officiellement fait son apparition en 1994. Le mouvement ne s’est pas lancé du jour au lendemain et a nécessité environ une dizaine d’années afin de se mettre en place, planifier l’organisation et l’entraînement militaire de ses membres et leurs lignes d’actions176.
La fondation du mouvement date du 17 novembre 1983, qualifié par Jérôme Baschet de“classique foyer de guérilla”177. Le zapatisme a souvent été défini comme faisant partie d’une des nombreuses guérillas en Amérique Latine, des groupes militaires non officiels qui tentent de renverser le gouvernement en lançant des attaques soudaines et inattendues contre les forces de l’armée officielle178.
Très rapidement, l’usage des armes a été évoqué comme une forme d’action nécessaire. Non consenties comme une forme justifiée de violence, les armes sont revendiquées par les zapatistes comme le seul moyen de faire entendre leurs voix. Il ne faut cependant pas simplifier le mode d’action des zapatistes à la lutte violente. C’est une forme d’action hybride mélangeant dialogue social, combinaison de mouvements politiques et participation horizontale, avec une forte médiatisation de l’aspect violent.
« La lutte du zapatisme ne s’est pas limitée à l’insurrection armée, puisqu’elle a formulé une combinaison de formes de lutte politiques, culturelles, sociales, éducatives etéconomiques. […] Le débat s’est centré sur le postulat de la prise du pouvoir politique par les armes pour la construction du socialisme comme premier guide idéologique et programmatique. […] l’armée est passée d’une structure militaire urbaine et métisse à une organisation communautaire et fondamentalement autochtone, sans perdre son caractère insurrectionnel et belliqueux »179[Traduction libre].
176 Gemma VAN DER HAAR, ibidem, p.3
177 Jérôme BASCHET, ibidem, p.3
178
179 Marco AMBROSI DE LA CADENA, ibidem, p.30-33
Autres formes d’action utilisée par les zapatistes a été la publication de documents, notamment la Loi Agraire révolutionnaires (Ley agraria Revolucionaria) publiée en 1993 et qui commence par le paragraphe suivant :
« La lutte des paysans pauvres du Mexique se poursuit pour récupérer la terre pour ceux qui la travaillent. Après Emiliano Zapata et contre les réformes de l’article 27 de la Constitution mexicaine, l’EZLN reprend la juste lutte des campagnes mexicaines pour la terre et la liberté. Afin de réglementer la nouvelle distribution agraire que la révolution apporte à la terre mexicaine, la LOI RÉVOLUTIONNAIRE AGRICOLE suivante est promulguée »180. Au-delà de se concentrer sur l’État du Chiapas, ou les zapatistes s’étaient établis, il est intéressant de noter ici que les revendications s’appliquent à l’ensemble du pays.
b- Actions offensives lancées par l´EZLN
La première action offensive lancée par l’EZLN a été la prise de plusieurs villages dans l’État du Chiapas, comme San Cristobal de Las Casas ou Altamirano, le jour de l’entrée en vigueur de la NAFTA, le 1er janvier 1994. Ces insurrections ont lancé le soulèvement zapatiste et sa médiatisation. Le mouvement était, au début, dirigé par le sous-commandant Marcos, devenu un des leaders le plus important du mouvement. Les zapatistes ont occupé de grandes propriétés privées, représentant environ 60 000 hectares, des élevages de bétail ou des plantations de café appartenant à des « ladinos », des prolétaires terriens non autochtones dans les municipalités d’Ocosingo, d’Altamirano et de Las Margaritas.
Ce mouvement zapatiste, comme l’explique Van der Haar, est composé en majorité de rebelles autochtones, plus précisément de communautés mayas : « La grande majorité des membres du mouvement rebelle, tant dans la structure militaire que dans sa base civile, étaient (et sont) des autochtones, issus des différents groupes ethniques mayas présents au Chiapas (Tzotzil, Tzeltal, Tojolab’al, Ch’ol) »181[Traduction libre].
Malgré des actions qualifiées de violentes, notamment dû à l’utilisation des armes, le dialogue avec le gouvernement mexicain a toujours été la forme privilégiée d’action, selon De la Cadena, notamment lors de la première phase du mouvement, à partir de 1994. Ils ont d’ailleurs initié des dialogues avec le gouvernement en 1994 dans la cathédrale de San Cristobal de las Casas. Cette période de discussion, qui va aboutir en 1996 avec la signature des Accords de San Andrés, est marquée par la volonté d’ouverture d’un dialogue multi acteurs afin de faire un pas vers la démocratie, souhaité par les zapatistes.
180 « Ley Agraria Revolucionaria », in Enlace Zapatista, 1993, enlacezapatista.ezln.org.mx/1993/12/31/ley-agraria-revolucionaria .
181 Gemma VAN DER HAAR, ibidem, p.3
Les Accords de San Andrés sur les Droits et la Culture autochtones ont été signés en 1996, et ouvraient donc la voie à un dialogue démocratique et à une augmentation de l’autonomie des populations autochtones. Cependant, refusant, après la signature des accords, de les mettre en place, le président Ernesto Zedillo, chef du PRI, a lancé une répression militaire de grande ampleur contre les dirigeants autochtones, et a donc choisi la voie militaire répressive.
Ce refus va alors créer un changement dans les modes d’actions et les revendications des zapatistes. « Ce choix gouvernemental entraîne des déplacements massifs de population et conduit, en décembre 1997, au massacre d’Acteal, où 45 indiens tseltals, principalement des femmes et des enfants, sont assassinés par un groupe paramilitaire, alors qu’ils priaient dans une chapelle »182.
Baschet souligne l’ouverture au dialogue des dirigeants zapatistes, et la volonté de d’instaurer des voies privilégiées avec les instances gouvernementales et parlementaires mexicaines, volonté qui n’a pas abouti à des mesures concrètes. Les zapatistes ont lancé de nombreuses initiatives de dialogue social, que ce soit au niveau institutionnel, mais surtout au niveau de la société civile comme la réunion de la Convention Nationale Démocratique dans la Selva Lacandona en août 1994, la Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme durant l’été 1996, ou la Consultation nationale sur les droits autochtones en mars 1999.183
A la suite des refus de dialogue des institutions, les zapatistes vont alors établir leur propre autonomie, dans une logique de suivre les Accords de San Andrés. « Bien qu’y coexistent des communes « autonomes » et des communes « officielles », on peut estimer que les premières organisent la vie de plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’indiens mayas (tseltals, tsotsils, chols, tojolabals, mames) et zoques, ainsi que de quelques familles non autochtones qui se placent sous leur autorité »184.
c- Organisation et revendications des Communes Autonomes
Bien que, les zapatistes n’aient, officiellement, jamais rendu les armes, la violence et la lutte armée ont eu très peu de place dans les actions menées. Leurs actions ne se limitent pas à des revendications concernant l’accès à la terre, mais englobe tous les aspects de la vie quotidienne. Ils ont maintenu des formes de gouvernements autonomes, incluant des instances politiques horizontales, qui diminuent fortement le rôle du leader au profit de la communauté, et des centres éducatifs.
182 Jérôme BASCHET, ibidem, p.4.
183 Jérôme BASCHET, ibidem
184 Jérôme BASCHET, ibidem, p.5
Les Communes Autonomes définies par Baschet sont organisées entièrement autour des valeurs zapatistes, et sont reliées par des conseils gouvernementaux intercommunautaires, les Consejos de Buen Gobierno (Conseils de Bon gouvernement), qui font le lien entre les communautés zapatistes mais aussi avec la sociétéextérieure.
Les zapatistes ont également accès leur autonomie sur l’éducation, en créant plusieurs centaines de centres éducatifs dans les communautés autonomes. César Silva Montes définit l’éducation zapatiste comme : « [une éducation qui] aspire à une école avec une pédagogie politique pour la paix, une formation citoyenne afin de construire le pouvoir communautaire, l’autogestion et l’éducation non commerciale »185. En réponse, notamment, aux idéaux éducatifs développées par José Vasconcelos, qui promouvaient une forme d’éducation nationaliste et intégrationnistes au Mexique, excluant la reconnaissance des peuples autochtones, l’éducation zapatiste se veut contraire à ces idéologies : « L’éducation zapatiste est une éducation de participation collective, elle justifie le fait d’être autochtone etétablit des liens de solidarité et de responsabilité partagée entre les peuples »186.
L’éducation est une composante importante du mouvement, qui entre en concordance avec la transmission intergénérationnelle des valeurs et idées propres aux communautés autochtones. Les jeunes sont alors sollicités dans l’apprentissage des normes et valeurs de leur société, et sont appelés à participer à cette transmission en participant au mouvement zapatiste.
Al-Dabi Olvera marque la différence entre les générations zapatistes, signe que la société évolue : « Il y a vingt-cinq ans, l’une de ces camionnettes transportait des jeunes autochtones, cagoulés et armés, pour la rébellion de la Jungle Lacandone qui a secoué la conscience d’un pays qui célébrait le chant du néolibéralisme. Aujourd’hui, les jeunes transportent des instruments de musique : vihuela, basse, guitare. Ils ne portent pas de cagoule, mais ils sont zapatistes, enfants et même petits-enfants de ceux qui se sont soulevés le 1er janvier 1994, lors de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange »187. Les jeunes sont donc toujours mobilisés dans la lutte zapatiste, et les centres éducatifs mis en place au sein des communautés autochtones ont joué un rôle majeur dans cette transmission.
185 César SILVA MONTES, « La escuela zapatista : educar para autonomía y la emancipación », in Alteridad, vol. 14, no1, 2019, p. 112
186 César SILVA MONTES, ibidem, p. 111
187 OLVERA, Al-Dabi, « “Aquí seguiremos” : jóvenes zapatistas », in Pie de Página, 2019,
d- Définition du mouvement zapatiste
De las Cadena a le défini en se basant sur trois critères 188:
– « La recherche de légitimité entre les communautés autochtones et le pays qui, en grande partie, s’opposaient à la lutte armée ». La volonté de mobilisation générale des communautés autochtones, premièrement dans l’État du Chiapas, puis au Mexique dans son ensemble, est une composante essentielle du zapatisme. Cela se traduit notamment par les nombreux dialogues et actions initiées par le mouvement en réponse au silence Étatique. Nous pouvons souligner par exemple la mobilisation qui a été générée lors de la marcha del color de la tierra en 2001, et qui a regroupé des commandants autochtones Tzotzil, Tzeltales, Tojolabales, Choles, Mame et Mestizo. La majorité des communautés étant opposées à l’usage des armes, certaines n’ont pas souhaité se rallier à la cause zapatiste.
– « La formation d’une nouvelle culture politique qui ne vise pas la prise du pouvoir politique ». Les revendications des zapatistes ne sont pas accès sur la prise de pouvoir au niveau Étatique, mais bien sur la reconnaissance de leur autonomie et des droits qui en découlent : droits à la terre, respect du droit à la liberté culturelle, et doit à la participation politique.
– « l’incapacité matérielle – en premier lieu – de faire face à un conflit armé contre l’armée, les forces de sécurité mexicaines et les paramilitaires de plus en plus nombreux » . La lutte armée était, au début, l’instrument utilisé par les zapatistes, au moment des insurrections et de la prise de certains villages dans le Chiapas. Après un conflit contre l’armée mexicaine, qui a causé la mort d’une centaine de rebelles, les armes n’ont plus été utilisées par les zapatistes comme instrument d’attaque : «Depuis, s’est développé au Chiapas ce que les observateurs appellent un conflit de“basse intensité”. La “zone de conflit”, qui comprend les municipalités d’Ocosingo, d’Altamirano et de Las Margaritas, ainsi que les régions adjacentes, a fait l’objet d’une forte occupation militaire qui, selon les estimations d’organisations civiles, a atteint plus de 60 000 soldats à son apogée »189. Il est important de noter que, le mouvement zapatiste dénonçant à l’origine des abus de pouvoirs du gouvernement sur les populations autochtones, a lui-même été victime d’abus physiques de la part de militaires durant le conflit.
188 Marco AMBROSI DE LA CADENA, ibidem, p.32
189 Gemma VAN DER HAAR, ibidem, p.3
Le non-respect des droits humains a été à de nombreuses reprises dénoncé par les zapatistes durant le conflit, provenant des militaires missionnés pour le maintien de l’ordre, ou d’autres groupes paramilitaires opposés au projet zapatiste, comme en 1997 lors du massacre d’Acetal. De nombreuses preuves ont été émises liant directement le gouvernement mexicain et les autorités locales à des groupes paramilitaires dont l’objectif était d’éliminer les zapatistes. Basket parle de «politiques contre-insurrectionnelles que les autorités de l’État du Chiapas et de la Fédération mexicaine développent, d’un côté, par des promesses d’appui matériel et, de l’autre, en incitant d’autres organisations, paramilitaires ou non, à agresser les communautés zapatistes et à les déposséder de leurs terres »190.
Nous pouvons retrouver de nombreuses similitudes avec le mouvement Idle No More. Malgré un contexte, des acteurs et des modes d’actions différents, les deux mouvements s’inscrivent dans la lutte pour les droits des populations autochtones, et plus largement dans la reconnaissance de l’autonomie des communautés autochtones. Même si le mouvement zapatiste a pris plus d’ampleur, notamment grâce à la création de communautés zapatistes autonomes dans le Chiapas, entre autres, les deux mouvements ont rassemblé des communautés autochtones physiquement éloignées avec un dénominateur commun, la lutte pour la reconnaissance de leurs droits. La lutte pour la décolonisation des institutionsÉtatiques est aussi un dénominateur commun aux deux mouvements. Malgré de nombreuses différences qui rendent ces mouvements difficilement comparables, ils entrent dans une mouvance d’organisations autochtones revendicatives, axées sur la reconnaissance de l’existence des populations autochtones et de leur autonomie dans de nombreux pays.
Enfin, ces mouvements s’inscrivent dans une mouvance internationale des revendications des populations autochtones. Dans une dernière sous-partie, nous axerons les recherches sur des mouvements nationaux ou internationaux autochtones dans d’autres pays, ce qui marque la volonté des populations autochtones de revendiquer plus de droits et plus d’autonomie. Idle no more et le Zapatisme ne sont pas des mouvements isolés, mais sont bien intégrés dans de nouvelles logiques postcoloniales de remise en question des rôles et des droits des peuples autochtones.
190 Jérôme BASCHET , ibidem, p. 26
C- Un mouvement global de redéfinition des rôles : l’autochtonie
Des canaux de communications transnationaux entre peuples autochtones, que ce soit en Amérique Latine, ou dans le monde entier, se sont développés et témoignent d’une volontéde partager les situations et problématiques vécues par les communautés autochtones. Les mouvements que nous avons étudiés plus haut, le zapatisme et le mouvement Idle no more, ne sont pas des cas isolés mais font partie d’un réseau mondial d’échanges et de partage des revendications des droits des peuples autochtones.
Nous pouvons distinguer deux types d’actions concernant la mobilisation des peuples autochtones. Premièrement, nous avons vu des formes de mobilisations au sein-même d´un pays, le zapatisme et le mouvement idle no more par exemple, mais il existe également de nombreux autres mouvements. Le Movimento Sem Terra au Brésil, par exemple, lutte pour la restitution des terres aux paysans brésiliens, composés en grande partie par des populations autochtones, mais aussi des mouvements axés sur les droits civiques des autochtones en Australie, par exemple191. Ensuite, depuis les années 70 s’articulent des mouvements internationaux de communication et de revendication de l’autochtonie et des problématiques qui y sont associées.
1- L´autochtonie : définition et concept
L´autochtonie est vue comme une appartenance identitaire à un peuple autochtone. Les définitions de l´Autochtonie, pour la plupart donnée par des juristes non-autochtones, sont vivement critiquées. Martinez Cobo par exemple, diplomate équatorien, a défini trois critères de l´autochtonie nommés par Françoise Morin192:
– « Le critère de l’antériorité caractérisant les descendants actuels de peuples dont le territoire fut envahi par d’autres peuples, venus d’autres régions du monde, et qui les dominèrent. Ce critère pose le problème de la continuité historique des peuples actuels avec les sociétés précédant la conquête et la colonisation des territoires.
191 Barbara GLOWEZWSKI, « Au cœur du soleil ardent : la catastrophe selon les Aborigènes », in Communications, vol. 96, no1, 2015, p. 53‑65.
192 Françoise MORIN, ibidem, p.60
Le critère de spécificité culturelle : ce critère renvoie aux caractéristiques culturelles distinctives des peuples autochtones au sein de la société dominante, comme la langue, la religion, les coutumes, l’organisation sociale, ou le mode de vie.
Le critère d’autoidentification : les peuples autochtones attachent beaucoup d’importance à ce critère car ils ne veulent pas que les États se réservent le pouvoir de déterminer s’ils sont autochtones ou non, comme c’est le cas dans plusieurs pays. Ainsi le Canada où l’Indian Act (1876) définit qui est Indien et quelles sont les terres qui sont réservées aux Indiens. Le rapport Cobo insiste sur l’importance de la conscience de groupe, et de la reconnaissance de l’individu autochtone par son groupe. »
Ce concept n’a pas pour but d’homogénéiser les vécus et les situations des populations, mais bien de partager des problématiques communes, propres aux peuples autochtones. L´union des voix sur la contestation de formes de discrimination, de violence et d´abus communs aux populations autochtone a pour objectif d´institutionaliser le concept d’autochthonie et d´en faire un élément important de la scène internationale.
« Qu’ils soient Inuit, Batwa, Maasai, Mapuche, Touaregs, Aïnou, Youkaguires… tous ont vécu les mêmes formes de colonisation, de déplacements forcés, de spoliations de terres, d’occupations militaires, d’acculturations forcées, et les mêmes formes d’ethnocide »193.
Des dénominateurs communs sont observables au sein des sociétés autochtones, sans forcément parler de similarités totales, notamment les politiques indigénistes d´intégration totale souhaitée des populations autochtones à la population dite dominante.
« Appliqué à l´Amérique Latine, ce principe [l´indigénisme] allait se concrétiser par une politique centraliste, intégrationniste, visant à faire des Indiens non des peuples différenciés qui auraient pu apporter des éléments à une nouvelle idée de nation, mais de simples citoyens appelés à perdre petit à petit leurs caractères distinctifs »194.
193 Françoise MORIN, ibidem, p.61
194 Marie-Chanta BARREL , « INDIGÉNISME, politique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 30 avril 2023.