Les stratégies de mise en œuvre comptable révèlent des lacunes surprenantes dans le jugement professionnel des experts-comptables. Cette recherche met en lumière des études de cas pratiques, offrant des solutions essentielles pour renforcer la prise de décision dans les missions liées aux états financiers.
§2. Illustration
Dans le cadre de l’audit de la société CHIMIE, l’examen des conditions de vente a révélé que la société offre une garantie pendant une année pour les produits vendus à ses clients. Les produits couverts par la garantie sont réparés sans aucune contrepartie de la part des clients. La société n’a pas comptabilisé de provisions pour garanties. La démarche à suivre dans l’audit des provisions pour garanties comporte les étapes suivantes :
– La description du problème posé ;
– La collecte de la documentation ;
– L’identification des solutions possibles;
– L’évaluation des solutions; et,
– La formulation des conclusions.
1) La description du problème posé
Les garanties données par la société CHIMIE pour ses clients couvrent tous les produits fabriqués par la société. Elles s’étalent sur une période d’une année à partir de la date de réalisation de la vente. Les frais de garantie sont supportés par la société sans aucune contrepartie.
Les questions qui se posent sont alors les suivantes :
– Faut-il comptabiliser une provision pour garanties?
– Quelle base doit-on retenir pour estimer la provision pour garanties?
– Quel est le montant de la provision pour garanties?
a) Obtention des données
Les garanties données aux clients couvrent tous les produits fabriqués par la société. Les retours effectués par les clients sont expliqués par le fait que les produits sont, soit périmés, soit qu’ils ne sont pas conformes à la législation environnementale ou aux commandes.
Le responsable commercial de la société a préparé des statistiques commerciales qui indiquent que les retours des produits effectués pendant la période de garantie s’élèvent à 5,3% des ventes de l’année dont 0,3% sont retournés et couverts par la garantie au cours du même exercice.
Ces retours se détaillent comme suit :
Produits périmés | 70% |
Produits non conformes à la législation environnementale | 15% |
Produits non conformes aux commandes | 15% |
Les statistiques fournies par le service technique montrent que les pourcentages des pertes subies, dans le cadre de la garantie des produits vendus, se détaillent comme suit :
Produits périmés | 100% |
Produits non conformes à la législation environnementale | 30% |
Produits non conformes aux commandes | 10% |
b) Investigations complémentaires
Les investigations complémentaires ont consisté à faire des entretiens avec le comptable de la société. Ce dernier a affirmé que, conformément aux dispositions de l’article 12 du code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’impôt sur les sociétés, les provisions pour garanties ne sont pas déductibles. La comptabilisation d’une telle provision n’aura aucun effet sur le résultat fiscal et donc sur la charge de l’impôt sur les sociétés.
c) L’œil critique
La position du comptable de la société, qui consiste à ne pas comptabiliser les provisions pour garanties, est motivée par le fait que la politique comptable de la société CHIMIE en matière des provisions est conforme à la réglementation fiscale en vigueur. D’ailleurs, cette position du comptable est confirmée par le gérant CHIMIE fils.
2) La collecte de la documentation
L’audit des provisions pour garanties se fait dans le cadre des normes internationales d’audit et plus particulièrement la norme ISA 540, relative à l’audit des estimations comptables et de la norme comptable tunisienne NC 14, relative aux éventualités et événements postérieurs à la date de clôture.
3) L’identification des solutions possibles
Lors de l’évaluation d’une estimation de la direction, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses tranchées mais plutôt une fourchette de réponses jugée raisonnable. Conformément aux dispositions de la norme comptable tunisienne NC 14, relative aux éventualités et aux évènements postérieurs à la clôture, lorsque la perte est probable et que son montant peut être estimé de façon fiable, la provision doit être comptabilisée.
L’estimation des provisions pour garanties, sur la base des statistiques commerciales concernant les retours des clients, se présente comme suit :
| Pourcentage | Pourcentage de perte | Montant |
Ventes |
|
| 63 652 |
Pourcentage de retours | 5,0% |
| 3 183 |
Produits périmés | 70% | 100% | 2 228 |
Produits non conformes à la législation environnementale | 15% | 30% | 143 |
Produits non conformes aux commandes | 15% | 10% | 48 |
Total |
| 76,00% | 2 419 |
Le montant de la provision pour garanties s’élève à 2.419 kilos dinars.
Conformément aux dispositions de la norme ISA 540, relative à l’audit des estimations comptables, l’auditeur comparera les estimations comptables effectuées pour les périodes précédentes avec les résultats réels afin de déterminer s’il faut rectifier les données de base et si les ajustements correspondant aux différences dégagées ont été effectués.
Les évènements postérieurs à la date de clôture sont pris en compte jusqu’à la date du 28 février de l’année n+1, date d’arrêté des comptes de la société. L’information disponible concernant les retours effectués par les clients concerne les deux premiers mois de l’année n+1. Ces retours sont relatifs aux ventes effectuées au cours des deux premiers mois de l’année n.
Le pourcentage des retours, pour une période mobile jusqu’au 28 février n+1, relatifs à la période du 1er janvier n au 28 février n, est de 5,9% des ventes des deux premiers mois de l’année n dont 0,3% des ventes ont été retournés et couverts par la garantie au cours du même exercice.
Les pourcentages de pertes subies, suite à ces retours, se détaillent comme suit :
Produits périmés | 98% |
Produits non conformes à la législation environnementale | 33% |
Produits non conformes aux commandes | 11% |
Le chiffre d’affaires des deux premiers mois de l’année n s’élève à 10.608 kilos dinars. Les pertes réellement subies au cours des deux premiers mois de l’année n s’élèvent à 431 kilos dinars. Elles se détaillent comme suit :
| Pourcentage | Pourcentage de perte | Montant |
Ventes |
|
| 53 044 |
Pourcentage de retours | 5,6% |
| 2 970 |
Produits périmés | 67% | 98% | 1 950 |
Produits non conformes à la législation environnementale | 15% | 33% | 147 |
Produits non conformes aux commandes | 18% | 11% | 59 |
Total |
| 72,59% | 2 156 |
Les pertes probables, au cours des deux premiers mois de l’année n, suite aux retours effectués par les clients de la société CHIMIE et calculées sur la base des statistiques commerciales s’élèvent à 403 kilos dinars. Elles se détaillent comme suit :
| Pourcentage | Pourcentage de perte | Montant |
Ventes |
|
| 10 608 |
Pourcentage de retours | 5,0% |
| 530 |
Produits périmés | 70% | 100% | 371 |
Produits non conformes à la législation environnementale | 15% | 30% | 24 |
Produits non conformes aux commandes | 15% | 10% | 8 |
Total |
| 76,00% | 403 |
La variation entre les pertes probables basées sur les statistiques commerciales et les pertes réellement subies est de 6,95% soit 28 kilos dinars. Cette variation est significative.
Selon les statistiques commerciales, les retours concernant les ventes des dix mois restant de l’exercice n et qui ont été réalisés l’année même s’élèvent à 0,3%.
Pour les dix mois de l’année n, l’estimation de la provision pour garanties données aux clients, calculée sur la base des statistiques commerciales, se présente ainsi :
| Pourcentage | Pourcentage de perte | Montant |
Ventes |
|
| 53 044 |
Pourcentage de retours | 5,0% |
| 2 652 |
Produits périmés | 70% | 100% | 1 857 |
Produits non conformes à la législation environnementale | 15% | 30% | 119 |
Produits non conformes aux commandes | 15% | 10% | 40 |
Total |
| 76,00% | 2 016 |
L’estimation de cette provision sur la base des pertes subies au cours de l’année n+1 et relatives aux garanties de l’année n est récapitulée dans le tableau suivant :
| Pourcentage | Pourcentage de perte | Montant |
Ventes |
|
| 53 044 |
Pourcentage de retours | 5,6% |
| 2 970 |
Produits périmés | 67% | 98% | 1 950 |
Produits non conformes à la législation environnementale | 15% | 33% | 147 |
Produits non conformes aux commandes | 18% | 11% | 59 |
Total |
| 72,59% | 2 156 |
L’écart entre la provision pour garanties calculée sur la base des données commerciales actualisées de n+1 et celle calculée sur la base des données commerciales historiques est de 140 kilos dinars soit 6,95%. Cet écart est significatif.
b) Circularisation de tiers
L’estimation de la provision pour garanties données aux clients doit être effectuée en tenant compte du fait que la société a contracté ou non un contrat d’assurance contre les risques de pertes découlant de la garantie. Pour ce faire, l’examen des assurances contractées a révélé que la société n’a pas contracté un contrat de couverture contre les risques de garanties.
4) L’évaluation des solutions
a) Prise en compte de l’attente des utilisateurs financiers
Les utilisateurs des états financiers sont en principe intéressés par le niveau des résultats. Toutefois, puisque les résultats sont instables, ils sont préoccupés par le niveau des capitaux propres. Ils insistent sur le respect de la réglementation comptable et fiscale.
b) Primauté du fond sur la forme
L’objectif principal de l’audit des états financiers est de s’assurer de la régularité, de la sincérité et de la représentation fidèle des états financiers. Cet objectif fait que les dispositions fiscales ne sont pas les seules à prendre en considération.
5) La formulation des conclusions
a) Revue des données et hypothèses prises en compte
Les données utilisées sont les données comptables qui sont conformes avec celles fournies par le service commercial. Quant aux hypothèses retenues, elles ont été fournies par le service technique. Ces hypothèses concernent les pourcentages de retours et les pourcentages de pertes subies par la société. Elles ont été confrontées avec les retours et les pertes subies au cours des deux premiers mois de l’année n+1 afin de dégager les ajustements nécessaires.
L’écart dégagé entre les pertes subies au cours des deux premiers mois de l’année n+1 avec les statistiques commerciales est de l’ordre de 6,94%. Cet écart est significatif. La projection de la provision pour garanties au titre des dix mois restant de l’année n doit tenir compte du niveau des pertes subies au cours de l’année n+1.
b) Résoudre effectivement le problème
Compte tenu du risque que court la société suite aux garanties accordées à ses clients lors de la vente de ses produits, elle doit comptabiliser une provision pour garanties. L’estimation du montant de la provision pour garanties peut être faite sur la base des pertes réellement subies jusqu’au 28 février n+1, concernant les ventes des deux premiers mois de l’année n, et sur la base des statistiques techniques pour les mois restant de l’année n.
Le montant correspondant à cette base s’élève à 2.447 kilos dinars. Par contre, la projection des pertes probables, sur la base de celles subies jusqu’au 28 février n+1, fournit un montant de provision de 2.587 kilos dinars. La variation entre les deux estimations est de 140 kilos dinars soit 5,73% du montant des pertes probables au titre des garanties données aux clients.
Cette variation est significative. Il convient donc de comptabiliser une provision pour garanties à hauteur de 2.587 kilos dinars. Puisqu’on peut estimer que les conditions de prise en compte d’actif fiscal différé sont réunies, et conformément aux dispositions de la norme comptable IAS 12, la provision pour garanties donne lieu à un actif fiscal différé de 905 kilos dinars.
Par ailleurs, le montant des provisions pour garanties au titre des ventes de l’exercice n-1 et qui aurait dû être comptabilisé au cours de l’exercice n est significatif. Il s’élève à 1.521 kilos dinars. Aussi, un actif d’impôt différé doit-il être comptabilisé d’un montant de 532 kilos dinars puisqu’on peut estimer que les conditions de prise en compte d’actif fiscal différé sont réunies.
Il s’agit d’une erreur fondamentale qui doit être traitée comme telle conformément aux dispositions de la norme comptable 11 du système comptable tunisien des entreprises et de la norme 8 de l’IASB. Par conséquent, le montant de la provision doit être présenté en ajustant les soldes d’ouverture des résultats reportés. Par ailleurs, les données comparatives doivent être retraitées.
Les notes aux états financiers doivent indiquer les éléments suivants :
– La nature de l’erreur fondamentale ;
– Le montant de la correction au titre de l’exercice et de l’exercice antérieur présenté ;
– Et, le fait que l’information comparative a été retraitée ou non.
c) Faire valoir son point de vue
Au cours de la réunion avec l’équipe d’audit, le problème de comptabilisation et d’estimation du montant de la provision a été évoqué. La solution proposée a été expliquée par les points suivants :
- La revue des évènements postérieurs a permis de confronter les pertes probables avec celles réellement supportées;
- La société n’a pas contracté de contrat d’assurance pour couvrir les éventuels risques de pertes probables pendant la période de garantie;
- Les données commerciales historiques de la société ont été confrontées avec les données commerciales des deux premiers mois de l’année n+1 afin de dégager l’écart qui en résulte. L’écart dégagé est significatif. Ainsi, la projection des provisions pour garanties de l’année n doit tenir compte de l’ajustement résultant de la variation de l’année n+1.
d) Obtenir un consensus
L’équipe d’audit, chargée du dossier, après analyse de la démarche suivie et des choix effectués, a été convaincue de :
- La nécessité de comptabiliser une provision pour garanties pour couvrir le risque pour frais de garantie pour un montant de 2.587 kilos dinars et d’un actif fiscal différé de 905 kilos dinars ;
- Refus de certifier les états financiers, si la direction n’accepte pas la comptabilisation d’une telle provision et de l’actif fiscal différé, puisque leurs montants sont significatifs.
Sous section 3 : Appréciation du comportement a posteriori
Les études des cas illustrant le processus du jugement professionnel montrent que nous avons respecté les cinq étapes d’un processus de prise de décision à savoir :
– La description du problème posé;
– La collecte de la documentation;
– La détermination des solutions possibles;
– L’évaluation des diverses solutions; et,
– La formulation des conclusions.
Ces étapes ne sont pas nécessairement suivies à la lettre ni documentées en détail, toutefois, elles n’en sont pas moins présentes.
La prise de décision que ce soit en matière de détermination du seuil de signification pour la programmation des tests substantifs ou d’estimations de provisions pour garanties a montré qu’elle comporte des jugements intermédiaires.
Quant aux facteurs déterminants d’un bon jugement, à savoir la détermination d’une solution avec exactitude ou à défaut la recherche d’un consensus, et l’aptitude de l’expert-comptable à démontrer sa logique et sa diligence, les études de cas montrent qu’en matière de :
– Seuil de signification, l’auditeur a obtenu un consensus avec l’équipe d’audit, chargée du dossier, concernant le taux et la base de référence du seuil de signification. Pour ce faire, il a démontré la logique du jugement effectué et documenté les diligences mises en œuvre ;
– Provisions pour garanties, l’auditeur a démontré l’obligation de la constatation de la provision, en application des principes comptables, et déterminé son montant avec exactitude. La provision pour garanties jugée acceptable est égale à 2.587 kilos dinars. Par ailleurs, un actif d’impôt différé doit être comptabilisé à hauteur de 905 kilos dinars puisque l’équipe a jugé que cet actif est recouvrable ;
– Pour ces deux cas, le professionnel a démontré sa logique et prouvé les diligences effectuées. Par ailleurs, une revue indépendante a été mise en œuvre par un associé indépendant, n’ayant pas participé aux travaux d’audit.
Aussi, le respect de la démarche du processus du jugement professionnel donne-t-il le sentiment d’une assurance raisonnable qu’il s’agit d’un bon jugement.
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les étapes de l’audit des provisions pour garanties?
La démarche à suivre dans l’audit des provisions pour garanties comporte les étapes suivantes : la description du problème posé, la collecte de la documentation, l’identification des solutions possibles, l’évaluation des solutions, et la formulation des conclusions.
Pourquoi la société CHIMIE n’a-t-elle pas comptabilisé de provisions pour garanties?
La position du comptable de la société, qui consiste à ne pas comptabiliser les provisions pour garanties, est motivée par le fait que la politique comptable de la société CHIMIE en matière des provisions est conforme à la réglementation fiscale en vigueur.
Comment estimer le montant de la provision pour garanties?
Lors de l’évaluation d’une estimation de la direction, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses tranchées mais plutôt une fourchette de réponses jugée raisonnable. Conformément aux dispositions de la norme comptable tunisienne NC 14, lorsque la perte est probable et que son montant peut être estimé de façon fiable, la provision doit être comptabilisée.