Les meilleures pratiques d’urbanisme sont essentielles pour gérer l’extension spatiale de Louga, une ville en pleine mutation. Cette étude met en lumière les défis de l’urbanisation rapide et propose des solutions innovantes pour une gestion urbaine durable, avec des implications significatives pour le développement local.
La dynamique migratoire
Les migrations internationales
L’étude du processus de l’extension spatiale de la commune de Louga montre que cette ville représentait jusque dans les années 70 « un gros village » qui malgré les quelques infrastructures routières et équipements industriels avait une économie qui reposait essentiellement sur l’agriculture. Pendant cette période, la faiblesse des investissements de l’Etat dans la ville corrélée à la diminution de la pluviométrie avec la sécheresse ayant entrainé le dépérissement du bassin arachidier traditionnel, jadis la principale source de richesse de la région, ont ouvert la voie à des migrations vers l’intérieur du pays (Dakar) et surtout vers le vieux continent européen.
Ainsi, la commune a commencé à enregistrer un apport substantif de devises grâce aux revenus migratoires depuis la fin des années 80, qui correspond à l’essor de l’émigration lougatoise. Cette situation s’est traduite par un accroissement des investissements, aussi bien sur le foncier que sur l’économie du secteur tertiaire. Face à la réussite incontestable des émigrés lougatois dans la redynamisation de la ville, ils sont désormais perçus comme des vecteurs potentiels du développement économique et social dans ce Ndiambour désormais assimilée à « une ville d’émigration ».
Figure 4 : pourcentage des ménages émigrés ou ayant des parents émigrés
70
60
50
40
30
62
20
38
10
0
Oui
Non
Source : Hane M, 2019
L’observation de ce graphique montre que la ville de Louga est un espace de départ ou la majeure partie de la population a choisi l’émigration. Cette migration est principalement motivée par des raisons économiques notamment la recherche de travail (85.43 %) même si certains le font pour d’autres raisons notamment les études mais ne représentent que 9.7 % des émigrés. Cette dynamique migratoire intense a nettement amélioré la situation économique de la ville : ce qui s’aperçoit objectivement dans l’observation du paysage urbain à partir d’une certaine hauteur.
En effet, malgré les effets d’une crise économique persistante à l’échelle du pays entier pendant ces années, la qualité de l’habitat à Louga s’est nettement améliorée. Aussi, la production immobilière affiche-t-elle un certain dynamisme qui a considérablement transformé le paysage urbain. Le dynamisme économique est justifié d’une part par « l’achèvement du processus de durcification » des constructions et la progression des taux de raccordement des logements aux réseaux élémentaires (eau et électricité) dans certains quartiers et d’autre part par la forte pression exercée sur le marché immobilier qui a conduit à un double processus de densification en surface et en volume (verticalisation) du bâti et d’étalement de la ville qui stimulent fortement la production de logements.
Dans ce sens, d’après l’avis de nombreux observateurs, scientifiques et politiques, les émigrés de la ville participent en première ligne au dynamisme du secteur immobilier. Cet impact des investissements des émigrés lougatois sur le foncier urbain est à l’image des autres émigrés africains en général qui selon certains chercheurs préfèrent de loin l’investissement sur l’immobilier pour plusieurs raisons.
Alors pour (Nyam 20038), « l’investissement majeur qui fédère les migrants africains est l’investissement immobilier. Pour des raisons culturelles notamment, chaque migrant africain en Europe est potentiellement acquéreur de deux ou trois maisons dans son pays d’origine sur une période de 10 à 20 ans ». Pour (Tall 2000) « les migrants investisseurs contribuent de par leurs investissements en ville à la redynamisation des processus d’urbanisation souvent ralentis par l’indisponibilité de moyens financiers ». Finalement, dans ce pays, la figure du migrant international « bâtisseur », « promoteur immobilier » est très présente dans les discours publics, médiatiques et politiques, ainsi que dans les milieux scientifiques (Lessault, Beauchemin et Sakho 2010).
Mais il s’impose alors de se questionner sur les motivations de cette « obsession » des émigrés pour l’investissement sur le foncier. C’est dans ce sens que S.M Tall en 2004 avait distingué 48 enjeux fondamentaux. Selon lui, le choix des émigrés pour l’investissement immobilier en milieu urbain est lié à des enjeux divers :
- Le rôle symbolique et pratique d’être propriétaire d’une maison, de se loger, de loger sa famille ;
- La sécurité de l’investissement et les possibilités de rentabilisation locative ;
- La facilité de gestion des investissements immobiliers : le montant du loyer est fixe et connu d’avance
- Les démarches administratives sont limitées pour acheter dans le marché et vendre.
C’est dans cette perspective que dans la ville de Louga, les nombreux investissements destinés principalement au foncier et à l’immobilier ont eu des répercussions remarquables sur l’image de la ville. L’observation du paysage urbain montre que les constructions des émigrés ont une singularité dans leurs aspects, leurs physionomies, leurs architectures et même dans une certaine mesure les matériaux de construction utilisés. Ainsi, cette redynamisation de l’habitat a modifié l’image peu reluisante que certains avaient de la ville car aux maisons traditionnelles se sont substituées des villas.
Photo 1 : Maison d’un émigré à Louga
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Source : Hane M, 2019
L’émigration a donc joué un rôle d’accélérateur de l’extension spatiale de la ville de Louga. Depuis le flux migratoire des années 80, il y a eu une évolution rapide sur le paysage et l’espace de la commune matérialisée par l’extension tous azimuts des limites de la commune. En effet, beaucoup de quartiers ont vu le jour sous l’impulsion de la forte demande des émigrés.
Le périmètre communal a été considérablement élargi suite aux lotissements consécutifs et aux installations massives des populations. De l’arrêté du 2 novembre 1954 qui fixait la superficie du périmètre communal à 1800 hectares, on est maintenant à 3035 hectares (Sarr 2016). En plus, après les années 75, des quartiers avec un fort taux d’émigrés comme Keur Serigne Louga, Djang Bambodj, Voile d’Or ont commencé à se développer et à repousser par conséquent les limites de l’espace communal.
(Ndiaye 2007). Cette création de nouveaux quartiers non planifiés dans la commune de Louga corrobore avec les propos de Serigne Mansour Tall pour qui les « émigrés sont les premiers investisseurs dans l’immobilier dans les quartiers non planifiés. Ils animent par la force des envois de fond un marché foncier vertigineux ».
En raison de la pénurie foncière, l’obsession des émigrés à se doter d’un terrain et la morosité du secteur informel, les terrains dans certaines zones passent en moins trois ans du simple au double.
L’exode rural
Les mouvements migratoires ont depuis longtemps marqué la croissance de Louga et cela depuis le 19e siècle alors qu’elle était sous la domination des « tiedos ». Ensuite ces flux migratoires des populations venues des zones proches et même parfois de l’intérieur du pays se sont augmentés durant la période coloniale.
En effet, au début du 20e siècle, Louga faisait déjà face à un accroissement démographique qui était lié à sa position de carrefour et à la mise en place du chemin de fer qui a entraîné le développement de la culture de l’arachide et fait de ce lieu une zone stratégique. En outre dans les années 30, on note une légère reprise de l’accroissement démographique, qui s’explique par l’apport de la main d’œuvre dont l’huilerie avait besoin, et qui s’est traduit par un afflux de population rurale.
Par ailleurs, la deuxième guerre a entrainé un exode important des ruraux vers Louga qui a vu ainsi sa population augmenter progressivement en passant de 5700 habitants en 1938 à 12 000 en 1945. En effet, après avoir subi les conséquences néfastes de la premiere guerre et la famine qu’elle avait occasionné en milieu rural, les populations rurales ont migré vers la ville, dès le début des opérations militaires.
En outre, « en Afrique, le mouvement des idées lié à l’émancipation politique des populations africaines a eu des conséquences non moins importantes » (Sar 1973) sur l’urbanisation des villes. Ainsi, l’élection de Senghor et de Mamadou Dia en 1946 a eu des répercussions surprenantes sur le plan de l’urbanisation. En effet, dans l’espoir de bénéficier des avantages proposés par les nouvelles élites politiques dans leurs programmes électoraux, les populations rurales anticipent sur la situation et rejoignent les villes qui « présenteront désormais toutes les commodités ». Ainsi, la ville de Louga passe de 12 000 habitants en 1945 à 17 200 en 1950, soit un accroissement de 5 200 personnes en 5 années seulement. Face à cet afflux de migrants, le besoin d’espace se crée d’où le lotissement en 1949 du Sud de Thiokhna et du quartier de Keur Serigne Louga, occupé par les nouveaux arrivants.
A partir des années 70, la croissance de la ville connait une nouvelle ampleur. Face aux séries de sècheresse répétitives dans le monde rural, les populations des campagnes ont migré dans les villes afin de trouver du travail et de subvenir à leur besoin. C’est dans ce sens qu’on peut affirmer que « l’élan démographique est remarquable à la suite de la sécheresse des années 70 avec l’apport de vagues successives de migrants ruraux » (Wade 1995) car il a été déterminant dans le processus d’occupation de l’espace. Ainsi, du fait de sa position et des opportunités qu’elle présente, la ville de Louga a constitué un centre récepteur des flux migratoires des localités environnantes, ce qui entrainé plusieurs opérations de lotissements et la création de nouveaux quartiers accentuant de plus en plus l’extension urbaine. La croissance rapide de la population lougatoise est donc corollaire aux mouvements migratoires intrarégionaux grâce à l’attraction qu’elle exerce sur son hinterland.
C’est ainsi qua la suite de l’installation généralisée des populations à la suite de la sécheresse, le taux d’urbanisation de la ville est passé à 19.69 % en 1976 et s’est accentué en 1988 avec 26.48% (ANSD Louga 2007).
Après tous ces étapes ayant justifié le déplacement des populations vers la ville, on peut en rajouter la dimension sociologique de la ville qui fait que la ville par son mode de vie et ses possibilités apparentes semble répondre aux aspirations des populations en quête d’une vie meilleur. C’est dans cette mouvance que Frédéric Lançon affirme que « les écarts de revenus ainsi que l’attrait pour une modernité urbaine et un mode de vie urbain expliquent la force et la durée de ces mouvements ».
Donc la ville de Louga a toujours créé cette attraction vis-à-vis des espaces ruraux environnants, des autres régions et même certaines personnes de la sous-région (Mali, Guinée) qui après les activités économiques (maïga, vente de fruits et de charbon) ont fini par s’y installer définitivement.
Ainsi, pour avoir une idée de l’ampleur de l’apport extérieur dans l’urbanisation de la ville, on a essayé de voir les chefs de ménages dont les parents sont ou non de Louga.
Figure 5 : pourcentage des personnes ayant des parents dans la ville
[11_meilleures-pratiques-pour-la-gestion-urbaine-a-louga_10]
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100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Oui
Non
Source : Hane M, 2019
L’observation de ce graphique donne un aperçu clair sur la part importante qu’occupe l’apport des populations qui sont venues s’installer dans la ville. En effet, 14 % de la population enquêtée estime que leurs parents ne sont pas de Louga. Cette situation peut être expliqué par les affectations des fonctionnaires, des agents de l’armée etc qui finissent par s’installer définitivement dans la ville, les mariages et principalement par l’exode rural. Ainsi, le taux de 12% des chefs de ménage qui ne sont pas nés à Louga corrobore parfaitement ce fait.
En outre, l’étude de l’ancienneté des ménages montre clairement le rôle joué par l’exode rural et les populations venant d’autres régions dans le processus d’extension spatiale de la ville de Louga.
Tableau 4: Répartition des ménages selon leur ancienneté dans la ville
Répartition des ménages selon leur ancienneté dans la ville | |
---|---|
Paramètre/Critères | Description/Valeur |
Population autochtone | Majorité de la population |
Population installée depuis moins de 50 ans | 14.66 % |
Âge des habitants | Relativement élevé entre 26 et 49 ans |
Source : Hane M, 2019
L’analyse de ce tableau montre que malgré l’importance de l’exode rural, la population autochtone prend largement le dessus. Mais, il faut noter que pour une commune comme Louga, qui ne possède pas d’infrastructures touristiques, industrielles etc ou même de mer, le taux des ménages qui y sont installés en moins de 50 ans qui s’élève à 14.66 % de la population montre d’une certaine manière l’ampleur de ce phénomène. Il importe de souligner que le taux relativement élevé des habitants entre 26 et 49 ans est expliqué par l’exode des années 70 avec les épisodes de sècheresse.
Cependant, il est important de souligner aussi que le croit naturel de la population lougatoise est un facteur non moins important de l’extension de l’espace urbain. La croissance naturelle ou l’accroissement naturel est la conséquence de deux phénomènes conjugués : une forte natalité et une baisse sensible de la mortalité. Cette baisse de la mortalité résulte de l’amélioration de la santé des populations consécutive à de vastes progrès réalisés dans le domaine de la prévention, de la sensibilisation et de la lutte contre les maladies endémiques jadis très mortelles.
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8 Cité par Lessault, Beauchemin et Sakho 2010. ↑
Nbre | % cit. | |
Moins 25 ans | 7 | 4.66 |
26 – 49 | 15 | 10 |
Plus de 50 ans | 128 | 85.33 |
Total | 150 | 100 Questions Fréquemment PoséesComment l’émigration influence-t-elle l’économie de Louga?L’émigration a permis un apport substantiel de devises grâce aux revenus migratoires, ce qui a entraîné un accroissement des investissements dans le foncier et l’économie du secteur tertiaire. Quels sont les principaux motifs de migration des habitants de Louga?La migration est principalement motivée par des raisons économiques, notamment la recherche de travail (85.43 %), tandis que d’autres émigrent pour des études, représentant seulement 9.7 % des émigrés. Quelles sont les conséquences de l’urbanisation rapide à Louga?L’urbanisation rapide a entraîné une amélioration de la qualité de l’habitat, un dynamisme dans la production immobilière, et une forte pression sur le marché immobilier, conduisant à une densification et un étalement de la ville. |