Comment l’exil façonne l’identité des personnages dans Saadi ?

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🏫 Université 8 mai 1945 Guelma - Faculté des Lettres et des Langues - Département des Lettres et de la Langue Française
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2023/2024
🎓 Auteur·trice·s
FERGANI Nesrine BENALI Zahra
FERGANI Nesrine BENALI Zahra

L’exil et identité dans la littérature révèlent des vérités surprenantes sur la construction de soi. En explorant le roman ‘La Nuit des Origines’ de Nourredine Saadi, cette étude met en lumière comment les personnages naviguent entre mémoire et appartenance, offrant des perspectives essentielles sur les défis contemporains de l’immigration.


Chapitre I : L’étude des concepts

L’exil :

« L’histoire de tout exilé commence par une rupture avec le lieu d’origine et l’anonymat auquel il est condamné dès qu’il s’établit ailleurs. Incapable de se détacher de la terre natale et incapable de se soumettre entièrement à la culture de l’autre, il occupe un chrono tope de l’entre-deux, entre ici et ailleurs, entre avant et maintenant, entre le réel et l’imaginaire »1

L’exil, une situation difficile et pénible, se manifeste sous diverses formes et subtilités, qu’elles soient physiques, psychologiques, culturelles, linguistiques ou spirituelles. Ce concept, qui tire son origine du mot latin « exsilium », englobe différentes réalités et dépasse les limites géographiques, englobant à la fois la dimension physique, émotionnelle, culturelle et spirituelle de chaque individu.

L’exil se manifeste sous de nombreuses formes, toutes marquées par une certaine tragédie. Il peut résulter d’une expulsion politique, où un individu est expulsé de son pays en raison de ses opinions ou de son opposition au régime en vigueur. Considérons les dissidents, les opposants politiques, qui sont obligés de s’échapper pour échapper à la répression et à la suprématie.

La clandestinité, la peur et l’incertitude sont souvent les éléments qui caractérisent leur destin. Cependant, l’exil peut aussi être le résultat désagréable de la guerre, de la violence ou de la misère. De nombreuses familles sont obligées de quitter leur domicile, leur communauté, leur pays, afin d’échapper à la mort ou à la pauvreté.

Les réfugiés, ces individus désorientés à la recherche d’un abri, représentent la tragédie humaine de notre époque.

Dans le roman de Nourredine Saadi intitulé « La nuit des origines », l’exil dépasse les limites physiques pour se manifester sous différentes formes et subtilités, touchant profondément chaque aspect de la vie des personnages. Le récit révèle les expériences complexes d’Abla, Alain et d’autres personnages, illustrant les divers aspects de l’exil tant sur le plan géographique, émotionnel, culturel que spirituel.

Abla est au centre de l’histoire, symbolisant la réalité de l’exil en quittant physiquement l’Algérie pour la France, en fuite d’un passé marqué par la violence et les guerres. Son voyage représente un divorce brutal avec sa famille et sa culture natale. À Paris, elle se retrouve seule dans un foyer pour femmes, démontrant ainsi sa distance géographique et son besoin de se réfugier dans un

1 Aurélia Klimkiewicz, Université de Montréal. Le brouillon de l’exilé. ; In « Les nouvelles figures de l’exil : descriptif ».

nouveau contexte. La rupture corporelle met en évidence la souffrance de l’exil, où le déplacement devient à la fois un moyen de survie et une source de déracinement.

Toutefois, l’exil dépasse largement la simple migration. Abla fait aussi des efforts pour renouer avec son héritage culturel, cherchant désespérément à retrouver un sentiment d’appartenance. Les interactions qu’il entretient avec des objets chargés de mémoire témoignent de son fort désir de renouer avec son passé, mettant en évidence la dimension culturelle de son exil. Cette recherche d’identité souligne la lutte universelle pour préserver son identité dans un monde en perpétuelle mutation.

« Cet emprisonnement auxiliaire dans un espace dysphorique peut prendre la forme d’une marginalisation ou d’une exclusion volontaire ou subie, le plus souvent par rapport à un milieu social donné, mais parfois par rapport au pays géographique. Or, la définition de l’exil prend, dans cette perspective, un virage majeur : loin de consister dans le fait de quitter (de gré ou de force) sa patrie, l’exil consiste dans le fait d’y être – ou de s’y sentir – emprisonné »1

D’un point de vue affectif, l’exil est une expérience traumatisante, caractérisée par la solitude, la désorientation et la nostalgie. Au sein de sa nouvelle famille, Abla éprouve une sensation d’étrangeté, cherchant désespérément à donner un sens à sa vie et à guérir les blessures de son passé tourmenté. Cette souffrance émotionnelle met en évidence la profondeur de l’exil, où la quête de réconfort et de compréhension devient une quête constamment en cours.

Abla et Alain sont deux chemins différents de l’exil. Alors qu’Abla fait face à une déracination culturelle après avoir été obligée de quitter son pays, Alain, bien qu’il soit français, éprouve également une déconnexion culturelle et cherche à donner un sens à sa vie. Leur cheminement met en évidence l’universalité de l’expérience de l’exil, qui dépasse les frontières nationales et les identités culturelles.

L’appartenance :

L’appartenance est un concept profondément enraciné dans la nature humaine, symbolisant le lien affectif qui unit un individu à un groupe, une communauté ou une culture spécifique. Ce lien est souvent renforcé par le partage d’expériences communes, de valeurs partagées, de traditions et de normes sociales. Sur le plan individuel, les sentiments

1 Bishop, Neil B. Anne Hébert, Son Oeuvre, Leurs Exils : Essai. Talence, France, Presses Universitaires De Bordeaux, 1993. p.26.

d’appartenance jouent un rôle crucial dans la construction de l’identité personnelle, en offrant confiance en soi et sécurité émotionnelle à travers des affiliations familiales, religieuses, professionnelles ou culturelles.

Au niveau social, l’appartenance est essentielle au bon fonctionnement des groupes et des sociétés. Elle favorise l’unité sociale en créant un sentiment de solidarité et de coopération, incitant les membres d’une communauté à collaborer et à soutenir leurs pairs pour atteindre des objectifs communs. De plus, les émotions d’appartenance ont un impact positif sur la santé mentale en promouvant le bonheur et la satisfaction de vie, tout en servant de rempart contre le stress et les traumatismes psychologiques.

Cependant, l’appartenance peut également avoir des aspects négatifs, comme l’exclusion ou la stigmatisation des individus en dehors du groupe, pouvant conduire à des tensions intergroupes et à des divisions sociales. De plus, ces sentiments ne sont pas immuables et peuvent évoluer au fil du temps en fonction des interactions sociales, des événements de vie et des transitions personnelles, modifiant ainsi la perception d’appartenance d’un individu.

« Le sentiment d’appartenance est un état qui se manifeste au sein d’une collectivité, tout en se mesurant sur une base individuelle. Il s’agit en quelque sorte du degré d’identification et d’attachement de l’individu face à un groupe de référence (ses caractéristiques, ses valeurs). Le premier endroit où l’on peut développer ce sentiment, c’est dans notre famille, à travers un nom commun, des rituels, des traditions et des expériences partagées.

En milieu de travail, il est possible de développer un fort sentiment d’appartenance même pendant un stage, un emploi étudiant ou à temps partiel, si la culture est assez forte et qu’on est en mesure de s’y sentir rapidement solidement impliqué. À l’inverse, on peut passer plus d’une décennie à temps plein dans une organisation sans jamais s’y sentir complètement intégré.

»1

La question de l’appartenance est au cœur du roman, explorant les liens émotionnels, culturels et sociaux qui unissent les personnages à leur passé, à leur culture d’origine, et à leur environnement présent. À travers différents contextes et personnages, l’auteur met en lumière les défis et les souffrances liés au manque d’appartenance, ainsi que les quêtes perpétuelles pour retrouver un sentiment de connexion et d’identité.

1 Deschênes, Guylaine, and Ph.D. CRHA. “Cultiver Le Sentiment d’Appartenance | GD Ressources.” Gdressources, 13 June 2015, gdressources.com

D’abord, le roman de Nourredine Saadi met en scène des personnages tels qu’Abla et Alain, qui ressentent un déracinement culturel et social, en équilibre précaire entre leur pays d’origine et leur lieu de résidence actuel. Les souvenirs d’enfance et les liens avec leur lieu d’origine, comme Constantine en Algérie, représentent un ancrage émotionnel profond, tandis que leur présence dans un environnement étranger, tel que les Puces de Saint-Ouen à Paris, symbolise leur quête d’un sentiment d’appartenance dans un monde en mutation.

Ensuite, les interactions des personnages avec leur environnement social et culturel révèlent des tensions et des luttes pour l’acceptation et l’intégration. Certains, comme Abla et Alain, cherchent à renouer avec leurs racines culturelles et familiales, tandis que d’autres, comme les résidents du foyer pour femmes, doivent reconstruire leur identité et leur communauté dans un nouvel environnement, loin de chez eux.

Par ailleurs, le roman de Nourredine Saadi met en exergue les conflits internes des personnages, tiraillés entre différentes appartenances et identités. Que ce soit Khalil, déchiré entre son pays d’origine et son pays d’accueil, ou la grand-mère de Khalil, nostalgique de son passé mais en quête d’un présent meilleur, tous illustrent les luttes intérieures pour trouver un équilibre entre les différentes facettes de leur identité.

Enfin, l’absence d’appartenance est également explorée à travers des personnages comme Carlos, qui semblent être en marge de leur environnement social, exprimant un sentiment de déconnexion et d’aliénation. Cette absence d’ancrage les confronte à un sentiment de vide et de désorientation, accentuant leur quête de sens et de connexion avec leur entourage.

Dans l’ensemble, le texte offre une exploration complexe et nuancée du concept d’appartenance, mettant en lumière les luttes, les douleurs et les quêtes de sens des personnages face à leur identité et à leur environnement. À travers leurs expériences et leurs interactions, l’auteur souligne l’importance vitale du lien avec un lieu, une culture, ou une communauté, tout en reconnaissant les défis inhérents à la recherche et à la construction d’un sentiment d’appartenance dans un monde en constante évolution.

L’identité :

L’identité, selon le Grand Robert, est définie comme le « caractère de deux objets de pensée identiques  » 1Ce terme tire ses origines du latin « identĭtas », se référant à l’ensemble des traits caractéristiques d’un individu ou d’une communauté. Ces traits, qu’ils soient physiques, culturels, sociaux ou psychologiques, définissent en partie qui nous sommes et nous distinguent des autres. Par exemple, l’identité nationale peut être associée à des symboles, des traditions ou des valeurs propres à un pays, tandis que l’identité personnelle englobe nos traits de personnalité, nos expériences de vie et nos aspirations individuelles.

Ce concept, complexe et multifacette, a évolué de manière significative dans les sciences sociales, particulièrement en histoire. Autrefois négligée, l’identité est devenue un sujet d’étude crucial, reflétant les évolutions sociales et culturelles au fil du temps. Historiquement, différents philosophes et théoriciens ont exploré l’identité, soulignant sa nature évolutive et relative. Grâce au « tournant critique », l’intégration progressive de l’identité en histoire a permis de remettre en question les catégories sociales préétablies et de reconnaître la construction sociale des identités.

Dans le récit « C’EST ARRIVE CHEZ UN ANTIQUAIRE DES PUCES »2,

l’identité se tresse à travers les rencontres et les objets qui portent des histoires vivantes. Abla, émue par la découverte d’un lit ottoman identique à celui de son enfance à Constantine, Algérie, plonge dans un voyage intérieur où mémoire personnelle et héritage culturel s’entrelacent. Ce lit devient un portail vers son passé familial, évoquant les traditions et les rites associés à sa culture méditerranéenne.

À travers l’interaction avec l’antiquaire et Alain, l’identité sociale prend forme, révélant comment les objets ancestraux façonnent les récits de vie individuels et collectifs. Le marché aux Puces de Saint-Ouen, vibrant de diversité culturelle, devient le théâtre où convergent les mémoires de différentes époques et régions du globe, créant une toile complexe d’appartenances et de souvenirs partagés.

Ainsi, l’identité dans ce contexte se manifeste non seulement à travers les souvenirs personnels et les coutumes culturelles, mais aussi à travers les rencontres fortuites qui enrichissent le récit de chacun. Les objets deviennent des témoins silencieux de l’histoire,

1 Ahmed, ZOUZAL. L’exil Comme Vecteur de Destruction Et/ou de Reconstruction de Soi dans Partir de Tahar Ben Jelloun. 2019.

2 Nourredine Saadi, La Nuit des Origines, Paris, Éditions Barzakh, 2005, p. 9

révélant la profondeur et la richesse des identités qui se croisent et s’entrelacent dans le dédale des Puces, entre héritage familial, patrimoine culturel et rencontres humaines inattendues.

La mémoire :

La mémoire est une capacité cognitive fondamentale qui permet à une personne de conserver, préserver et récupérer des données. Elle joue un rôle essentiel dans notre aptitude à acquérir des connaissances, à interagir avec notre environnement et à développer notre identité. Plusieurs types de mémoire existent, chacun ayant des fonctions particulières. La mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective, est un processus fondamental de conservation, de stockage et de rappel d’informations et d’expériences passées.

« Ta mémoire, c’est l’ensemble des informations que ton cerveau a stockées depuis la naissance. Mémoriser s’est créé pour chaque information, chacune de tes actions, une trace, un chemin dans ton cerveau que tu pourras parcourir en cas de besoin. Si cette trace est forte, alors tu pourras utiliser ce souvenir pendant très longtemps. En revanche, elle est faible si elle est peu utilisée, alors il te sera difficile de retrouver le chemin de l’information dans ton cerveau. »1

Dans le roman, la mémoire est définie comme un processus de rappel et de réminiscence qui lie le présent au passé à travers des objets chargés d’histoire et d’émotion. Abla, en découvrant un lit identique à celui de son enfance dans la boutique d’antiquités, est submergée par les souvenirs associés à cet objet. Ce lit devient le déclencheur d’une réflexion profonde sur son passé à Constantine, en Algérie, et sur les événements qui ont marqué sa vie.

La mémoire dans ce contexte est également sociale et culturelle, reflétant la transmission d’objets et d’histoires à travers les générations. L’antiquaire et Abla discutent des origines du lit, de son style ottoman et de son usage dans différentes cultures méditerranéennes, illustrant comment les objets peuvent encapsuler des souvenirs collectifs et personnels.

1 Les Bons Profs. “Qu’est-Ce Que La Mémoire ? – Les Neurosciences – Les Bons Profs.” YouTube, 24 Aug. 2022, www.youtube.com. Consulté 9 June 2024.

En somme, la mémoire est explorée à travers les rencontres humaines et les liens qui se tissent entre les personnages. La rencontre fortuite entre Abla et Alain suscite des émotions et des souvenirs qui transcendent le simple objet, révélant comment nos mémoires individuelles se croisent et se connectent dans le tissu complexe de l’expérience humaine.

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1 Aurélia Klimkiewicz, Université de Montréal. Le brouillon de l’exilé. ; In « Les nouvelles figures de l’exil : descriptif ».

2 Bishop, Neil B. Anne Hébert, Son Oeuvre, Leurs Exils : Essai. Talence, France, Presses Universitaires De Bordeaux, 1993. p.26.

3 Deschênes, Guylaine, and Ph.D. CRHA. “Cultiver Le Sentiment d’Appartenance | GD Ressources.” Gdressources, 13 June 2015, gdressources.com

4 Ahmed, ZOUZAL. L’exil Comme Vecteur de Destruction Et/ou de Reconstruction de Soi dans Partir de Tahar Ben Jelloun. 2019.

5 Nourredine Saadi, La Nuit des Origines, Paris, Éditions Barzakh, 2005, p. 9

6 Les Bons Profs. “Qu’est-Ce Que La Mémoire ? – Les Neurosciences – Les Bons Profs.” YouTube, 24 Aug. 2022, www.youtube.com. Consulté 9 June 2024.


Questions Fréquemment Posées

Comment l’exil influence-t-il l’identité des personnages dans ‘La Nuit des Origines’?

L’exil influence l’identité des personnages en les plaçant dans une situation de rupture avec leur lieu d’origine, les rendant incapables de se détacher de leur terre natale tout en étant confrontés à une culture différente.

Quels sont les différents types d’exil abordés dans le roman de Nourredine Saadi?

Le roman aborde l’exil sous diverses formes, y compris l’exil physique, psychologique, culturel, linguistique et spirituel, illustrant les expériences complexes des personnages.

Quel est le rôle d’Abla dans ‘La Nuit des Origines’ en relation avec le thème de l’exil?

Abla symbolise la réalité de l’exil en quittant l’Algérie pour la France, et son voyage représente un divorce brutal avec sa famille et sa culture natale, tout en cherchant à renouer avec son héritage culturel.

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