CHAPITRE I : L’INDISPENSABLE AMÉLIORATION DU RÉGIME JURIDIQUE DE LA MÉDECINE DU TRAVAIL
La médecine du travail doit faire face à des défis juridiques, qui sont liés aux évolutions du monde du travail et aux attentes des travailleurs. Elle doit concilier les droits des travailleurs et les impératifs de sécurité, tout en respectant la vie privée et la dignité des salariés.
Elle doit également s’adapter aux nouvelles formes de travail et aux nouveaux risques professionnels, qui nécessitent une réforme du statut et du cadre juridique de la médecine du travail. Dans ce chapitre, nous allons analyser les défis juridiques (section I) et les perspectives d’amélioration pour la médecine du travail (section II).
Section I :
Les défis juridiques : concilier les droits des travailleurs et les impératifs de sécurité
La médecine du travail est confrontée à un dilemme permanent : comment protéger la santé et la sécurité des travailleurs, tout en respectant leurs droits fondamentaux ? En effet, la médecine du travail doit tenir compte des intérêts parfois contradictoires des employeurs, des salariés et de la société.
Elle doit également se conformer aux normes juridiques nationales et internationales, qui évoluent en fonction des besoins et des revendications des acteurs sociaux. Dans cette section, nous allons étudier la protection de la vie privée des travailleurs (paragraphe I) et l’équilibre entre le droit des travailleurs et les impératifs de sécurité (paragraphe I).
Paragraphe I :
La protection de la vie privée des travailleurs : un enjeu majeur face au numérique
La vie privée des personnes en général et celle des travailleurs en particulier est un droit fondamental dicté par les législations internationales, en Côte d’Ivoire ce droit fondamental est protégé même s’il n’est pas expressément mentionné dans le Code civil1.
Ce droit implique notamment le respect du secret médical, qui garantit la confidentialité des données médicales relatives aux salariés (A). Il implique également le respect du principe de non-discrimination, qui interdit toute distinction fondée sur l’état de santé ou le handicap des salariés (B).
Or, ces deux principes sont mis à mal par le développement des technologies numériques, qui offrent de nouvelles possibilités de collecte, de traitement et de diffusion des informations médicales.
A- La confidentialité des données médicales : un principe fondamental à respecter
Les données médicales sont des données à caractère personnel qui révèlent l’état de santé physique ou mentale d’une personne, c’est ce l’on déduit de la loi relative à la protection des données à caractère personnel2.
Elles sont protégées par le secret médical qui est un principe déontologique et juridique qui s’impose aux professionnels de santé, mais aussi aux employeurs qui en ont connaissance. En effet, le code de déontologie médicale prévoit que « le secret professionnel s’impose à tout médecin, sauf dérogation par la loi »3 plus loin, le légiférant estime que « ce principe s’impose à tout médecin sauf dans les cas où leur observation est incompatible avec une prescription législative ou réglementaire »4.
En clair, le secret médical astreint au médecin du travail de ne pas divulguer les informations médicales relatives aux salariés, sauf exceptions prévues par la loi. Ainsi, le secret médical vise à protéger la vie privée des salariés, à préserver leur confiance envers le médecin du travail et à favoriser leur accès aux soins.
Il s’applique à toutes les données médicales, qu’elles soient écrites, orales ou numériques. Il s’oppose donc à toute communication de ces données à l’employeur ou à des tiers, sauf avec le consentement du salarié ou en cas d’urgence vitale5.
De ce fait, les employeurs ne peuvent pas demander à leurs salariés de leur communiquer leurs données médicales, excepté les cas limitativement prévus par la loi, tels que la visite médicale d’embauche, le contrôle de l’aptitude au travail, la déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ou encore la mise en œuvre de mesures de protection spécifiques pour les travailleurs exposés à des risques particuliers.
De même, les employeurs ne peuvent pas utiliser ces données médicales à des fins autres que celles prévues par la loi, ni les divulguer à des tiers sans le consentement des intéressés.
Toutefois, le secret médical est menacé par le développement des technologies numériques, qui facilitent la collecte, le stockage et le partage des données médicales. En effet, les services de santé au travail utilisent de plus en plus des outils informatiques pour gérer les dossiers médicaux individuels, pour réaliser des examens complémentaires ou pour échanger avec d’autres professionnels de santé.
Ces outils présentent certes des avantages, comme la rapidité, l’efficacité ou la traçabilité mais ils présentent aussi des risques, comme la vulnérabilité, l’intrusion ou le piratage. Ainsi, les données médicales peuvent être exposées à des atteintes volontaires ou involontaires, qui portent atteinte à la confidentialité et à l’intégrité des informations.
La protection de la confidentialité des données médicales est donc un principe fondamental à respecter aussi bien par le médecin du travail que par les employeurs, qui doivent se conformer aux règles légales et déontologiques en la matière. Toutefois, ce principe n’est pas le seul à garantir le droit à la vie privée des travailleurs, qui implique également la prévention des risques de discrimination fondée sur l’état de santé des salariés.
B- La prévention des risques de discrimination : un contrôle nécessaire des employeurs
Le principe de non-discrimination est un principe juridique, qui interdit toute distinction fondée sur l’état de santé ou le handicap des salariés, sauf justification objective et proportionnée. Ainsi, l’article 1er de la convention n°111 concernant la discrimination relative à l’emploi et à la profession de l’OIT dispose qu’est considéré comme discrimination « toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le membre intéressé après consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs »6.
En effet, le principe de non-discrimination vise à protéger les salariés contre les pratiques discriminatoires, qui portent atteinte à leur dignité, à leur égalité et à leur accès à l’emploi. Ce principe s’applique à toutes les étapes de la relation de travail, que ce soit lors du recrutement, de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail.
Il s’oppose donc à toute utilisation abusive ou détournée des données médicales par l’employeur ou par des tiers, qui pourrait avoir pour effet ou pour but de défavoriser ou d’exclure les salariés en raison de leur état de santé ou de leur handicap7.
Ainsi, les employeurs ne peuvent pas utiliser les données relatives aux critères de discrimination de leurs salariés ou de leurs candidats à l’embauche pour prendre des décisions affectant leur situation professionnelle, telles que le recrutement, la rémunération, la formation, l’évaluation, la promotion, la mutation ou le licenciement.
Ils doivent également prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer les actes de discrimination ou de harcèlement fondés sur ces critères, en sensibilisant et en formant leurs salariés.
Cependant, le principe de non-discrimination est menacé par le développement des technologies numériques, qui offrent de nouvelles possibilités d’accès et d’exploitation des données médicales. En effet, les employeurs peuvent être tentés d’utiliser les outils numériques pour collecter, traiter ou diffuser des informations médicales relatives aux salariés, sans leur consentement ou sans motif légitime.
Ces informations peuvent être utilisées pour opérer une sélection ou une évaluation des salariés, basée sur des critères liés à leur état de santé ou à leur handicap. Ces pratiques peuvent entraîner des discriminations directes ou indirectes, qui nuisent aux droits et aux intérêts des salariés.
Pour prévenir ces pratiques, il est nécessaire de renforcer le contrôle juridique et social des employeurs. Sur le plan juridique, il faut veiller au respect du cadre légal existant, qui impose aux employeurs de respecter le secret médical et le principe de non-discrimination, sous peine de sanctions civiles ou pénales.
Il faut aussi adapter le cadre légal aux évolutions technologiques, en tenant compte des normes internationales, comme la Convention n° 111 de l’OIT sur la discrimination (emploi et profession)8, qui est ratifiée par la Côte d’Ivoire depuis 1961 et qui interdit toute distinction fondée sur l’état de santé ou le handicap dans le domaine du travail.
Sur le plan social, il faut mettre en place des mécanismes de dialogue et de concertation entre les employeurs, les salariés et les représentants du personnel, pour définir les modalités d’utilisation des technologies numériques dans le respect du droit à la vie privée et du principe de non-discrimination. Il faut également sensibiliser et former les employeurs et les salariés aux risques et aux responsabilités liés au numérique.
En somme, la protection de la vie privée des salariés s’avère être un réel défi pour la médecine du travail avec la vulgarisation des nouvelles technologies qui offrent aux médecins du travail et aux employeurs des moyens de collecter des informations sensibles sur les salariés. Ces informations personnelles sont exposées à des risques de piratage ou d’utilisations frauduleuses, ce qui constitue une entorse au principe de la confidentialité des données médicales.
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1 KOFFI (A.M.), Droit au respect de la vie privée et droit de l’information en Côte d’Ivoire, mémoire de master droit privé fondamental, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Abidjan, 2005. ↑
2 Article 1er al 5 de la loi n° 2013-450 du 19 juin 2013 relative à la protection des données à caractère personnel de la République de Côte d’Ivoire, JO du 13/08/2013. ↑
3 Article 7 de la loi n°62-248 du 31 juillet 1962 portant Code de déontologie médicale de la République de Côte d’Ivoire, JO n°32 du 15/08/1962. ↑
4 Article 8 de la loi n°62-248 du 31 juillet 1962 portant Code de déontologie médicale de la République de Côte d’Ivoire, JO n°32 du 15/08/1962. ↑
5 JOVER (A-F.), op cit., p.65. ↑
6 Article 1er de la convention n°111 de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession) adoptée en 1958, disponible en ligne : https://www.ilo.org (consulté le 04/01/2024 à 18 h 20 min). ↑
7 Cabinet d’avocats broquet, Quelles sont les discriminations prohibées à l’égard des salariés ? disponible en ligne : https://avocat-broquet.fr/travail/discrimination/quelles-sont-les-discriminations-prohibees-a-legard-des-salaries/, (consulté le 06/01/2024 à 19 h 33 min). ↑
8 Convention n°111 de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession) adoptée en 1958, disponible en ligne : https://www.ilo.org (consulté le 04/01/2024 à 21 h 39 min). ↑