L’économétrie spatiale en Tunisie est analysée à travers les développements récents de la littérature et une étude empirique sur les déterminants du chômage. Ce travail met en lumière les interactions spatiales et leur impact sur les modèles de régression.
Économétrie spatiale : développements récents de la littérature suivis d’une application empirique
Aymen Sebai
Introduction générale
L’économétrie spatiale est une branche de l’économétrie qui s’intéresse à l’étude de l’interaction spatiale (l’autocorrélation spatiale) et de la structure spatiale (l’hétérogénéité spatiale) dans les modèles de regression en coupe transversale et les modèles de panel. Cette discipline pourrait être confondue avec la géostatistique ou la statistique spatiale. En effet, les données spatiales sont « spéciales » : elles réunissent une information sur les attributs ainsi qu’une information sur la localisation de ces attributs, mesurée par exemple par des coordonnées géographiques (latitude et longitude) ou une adresse postale. Les données spatiales disposent souvent des propriétés particulières et doivent être traitées différemment des données non-spatiales.
Néanmoins, l’économétrie spatiale se distingue de la statistique spatiale de la même manière que se distingue l’économétrie de la statistique. La différence se situe dans le rôle central accordé au modèle théorique plutôt que les données. Les techniques de la géostatistique sont d’un intérêt moindre pour l’étude de données socio-économiques.
Souvent dans les travaux empiriques, le practicien est contraint à utiliser des données localisées, c’est-à-dire traiter des observations d’une variable mesurées à partir de localisations différentes réparties dans l’espace. Il est généralement admis que ces données spatiales observées en coupe transversale sont indépendantes alors que cette hypothèse est rarement justifiée et devrait être systématiquement testée. De ce fait, l’introduction de la dimension spatiale dans les modèles économétriques n’est pas sans incidence et peut conduire à la violation de l’hypothèse d’indépendance et à l’abandon de l’hypothèse d’homogénéité.
Evidemment, ces problèmes ont été identifiés par plusieurs auteurs. Ainsi, dès 1914, Student suspectait la présence d’une relation entre différentes observations localisées. Néanmoins, c’est à Cliff et Ord qu’on doit, après une série d’articles à la fin des années 60 et au début des années 70, un ouvrage présentant de manière synthétique l’état des savoirs en statistique et en économétrie spatiales [1973]. Après cette phase initiale de reconnaissance, on assiste à la fin des années 70 et au début des années 80 au raffinement du cadre original d’analyse de Cliff et Ord et plus particulièrement au développement de la théorie de l’estimation et des tests [Paelink et Klassen, 1979 ; Cliff et Ord, 1981 ; Anselin, 1988b].
L’intérêt pour la modélisation spatiale en économie a considérablement augmenté sous l’impulsion des développements théoriques (l’interaction spatiale et sociale) et ceux de la technologie (systèmes d’information géographique). Cette attention s’illustre par le nombre important de travaux théoriques et empiriques parus au cours de la dernière décennie englobant la spécification, l’estimation et les tests de spécification.
Particulièrement utilisée dans les disciplines de sciences régionales dans un premier temps, l’économetrie spatiale a récemment obtenu droit de cité dans les manuels ou hand- books d’économétrie [Baltagi, 2001, Anselin, 2006] et les revues d’économétrie les plus prestigieuses (Econometrica, Journal of Econometrics, Econometric Theory). En même temps, le nombre d’articles utilisant ces méthodes dans des revues économiques généralistes (Economica, International Economic Review) ou de divers champs disciplinaires s’est multiplié depuis le milieu des années 1990 [Anselin et al., 2005 ; Anselin et al., 2008].
L’objectif de ce travail est de présenter les outils nécessaires à une démarche économétrique visant à prendre en compte l’effet de dépendance spatiale. En effet, sur le plan économétrique, la non vérification de l’hypothèse d’indépendance des observations conduit à remettre en cause l’inférence statistique basée sur l’estimation d’une régression par les Moindres Carrés Ordinaires (MCO).
Le test de l’autocorrélation spatiale s’avère alors une précaution indispensable à toute étude empirique mobilisant des données géographiques. Par conséquent, la démarche à adopter s’articule autour de deux opérations : détecter et modéliser l’autocorrélation spatiale. Les tests de l’autocorrélation spatiale permettent à la fois de détecter la présence et la forme de l’autocorrélation dans les régressions, orientant ainsi l’économiste vers la spécification économétrique appropriée.
Dans cette optique, notre réflexion s’articule autour des questions suivantes :
Comment doit-on prendre en compte l’interaction spatiale dans le cadre des modèles de régression linéaire ?
Quels sont les apports d’une telle démarche dans le cadre de l’analyse des déterminants du chômage en Tunisie ?
Afin de traiter ces questions, nous organisons le présent travail en deux chapitres. Le premier chapitre montre, dans sa première section l’interet d’une méthodologie particulière construite et utilisée pour l’analyse empirique des interactions spatiales. En effet, la prise en compte des effets de débordement géographique impose la mise au point de modélisations économétriques traitées dans la seconde section. Les méthodes d’estimation et les stratégies de tests appropriées feront l’objet des troisième et quatrième sections. Afin de montrer l’apport de l’économétrie spatiale, nous envisageons de caractériser la dimension régionale du chômage en Tunisie dans la première section du second chapitre consacré à l’analyse spatiale des déterminants du chômage afin de guider la spécification. Après une deuxième section de spécification du modèle et à la suite présentation des données, nous procéderons à l’identification de l’interaction spatiale et à l’estimation du modèle spécifié en prenon en compte l’autocorrélation spatiale. Cette partie sera ponctuée par une comparaison des derniers résultats avec des éléments issus du traitement économétrique standard.