L’usage organisationnel des TIC dans les entreprises

Après ce bref bilan de la compétitivité des équipements sinon bon du moins prometteur, voyons de plus près l’usage organisationnel qui en est fait et ce, au travers de deux aspects évoqués par le rapport même de la mission conduite par Jean-Michel Yolin78 à savoir le télétravail (pratiqués par certains « nomades ») et « le fonctionnement en réseau » de l’entreprise.

LE TÉLÉTRAVAIL

Le télétravail, vieux rêve de bon nombre de salariés, semble avoir été remis au goût du jour avec la généralisation des TIC. Le « rapport Yolin »78 cite de nombreux avantages :

  •  gain de temps et de fatigue pour les salariés ;
  •  économies pour l’employeur (surfaces de bureaux et coûts annexes) ;
  •  limitation des besoins d’infrastructure ;
  •  baisse des émissions polluantes ;
  •  possibilité de répartir les emplois sur le territoire et notamment de maintenir des emplois dans des zones rurales ou en reconversion ;
  •  possibilité de travail pour les handicapés moteurs

Malgré ces arguments, y compris ceux en faveur de la compétitivité (« gain de temps et de fatigue pour les salariés », « économies pour l’employeur »,

« limitation des besoins d’infrastructure »), le rapport ne tarde à mettre en évidence le fait que « [l]e gain est par contre moins évident pour l’entreprise et pour les syndicats de salariés ». En effet, le télétravail bouleverse pas mal de mécanismes à commencer pour les mécanismes de contrôle. Comment contrôler les salariés, jusqu’alors contrôlé simplement par son nombre d’heures de travail ? Il faudrait pouvoir évaluer sur objectifs, mais encore faut-il définir ces derniers.

En fait, le problème est celui du statut du salarié « qui se mesure en heure » et qui, remis en cause par le télétravail, remettrait en cause le statut du chef, qui « habitué à commander, n’a[yant] plus ses troupes à disposition, perd[rait] son statut […] [sans] […] forcément [avoir] la capacité à se transformer en animateur d’équipes ».

Le rapport Yolin pensait à un problème culturel en évoquant la satisfaction du client, mais la culture managériale française est également en jeu. Du reste, les conséquences sont patentes ; elles apparaissent dans un « écart […] frappant entre notre pays, avec 2,9 % de la population active [concernée par le télétravail] et le reste de l’Europe (notamment avec les pays du Nord) [réputés pour avoir une culture managériale différente], avec 6 % ». Le rapport conclut son analyse par une formule brillante autant que pertinente.

Outre que cela n’est pas possible pour tous les emplois, le passage d’une logique de soumission à une logique de mission ou de commission n’est pas simple.

Mais Mikaël Gléonnec dans la Revue Hermès82 va plus loin et pose ouvertement la « question de [la] confiance »83. Il intègre le fait de « travailler ensemble à distance » – le télétravail rentre dans ce champ – dans une logique de groupware c’est-à-dire celle du travail coopératif en réseau.

Nous rejoignons, à ce stade, le défi de l’entreprise en réseau.

L’ENTREPRISE EN RÉSEAU

Dans le paragraphe qui suit, nous nous appuierons sur la synthèse des interventions et de la table ronde sur l’entreprise en réseau ayant eu lieu dans le cadre des 5e rencontres IUP/Entreprises du 15 mars 200184.

En gardant à l’esprit que l’entreprise en réseau présente, à l’instar de la confiance83, une double nature (interne et externe), nous nous efforcerons ici de mettre en évidence les raisons (internes et externes) pour lesquelles l’entreprise veut se mettre en réseau, la typologie des réseaux d’entreprise et enfin les implications de leur mise en place.

Quelles sont donc les raisons qui conduisent à la mise en place des entreprises en réseau ?

Parmi les raisons internes, on retrouve les avantages mis en avant par le préambule du « rapport Yolin »78 à savoir :

  •  optimiser la chaîne globale d’approvisionnement (supply chain) des fournisseurs aux consommateurs ;
  •  raccourcir les délais d’approvisionnements ;
  •  diminuer les taux de rupture (créer de la croissance en diminuant les taux de rupture) ;
  •  diminuer les coûts d’opération et d’exploitation (stocker plusieurs fois un même produit) ;
  •  diminuer les stocks (frais d’immobilisation).

Cependant, ces raisons ne seraient pas tant mises en avant par les uns78 et les autres84 si d’autres raisons, plus impérieuses car externes, ne venaient pas s’y greffer :

  •  la concurrence, et tout particulièrement l’émergence d’une compétition « devenue multicritère » : innovation, réactivité accrue, qualité, réduction des coûts ;
  •  la remise en cause du modèle de la grande firme taylorienne et le bouleversement de l’économie des coûts de transaction qui aboutissent à la fragmentation de l’entreprise en business units ;
  •  les conséquences de cette fragmentation à savoir la réduction des risques et une réactivité accrue, mais la nécessité concomitante de maîtrise de la chaîne de valeur.
  • À ces exigences ou impératifs internes et externes répondent des dispositifs réticulaires internes et externes.
  •  Le réseau interne concerne l’entreprise qui fonctionne elle-même comme un réseau. « Ses différents services sont [alors] considérés comme des entités semi-autonomes situées sur un même plan »84.
  •  Le réseau externe « représente les liens qu’une entreprise va tisser avec d’autres entreprises pour produire » ; il « permet aussi un partage, une mutualisation des fonctions support : market place (sur Internet notamment) et appel à la sous-traitance »84.

Quelles sont les implications de la mise en place de ces réseaux ?

Tout d’abord, il faut bien noter, comme le souligne Foughali84 à la suite de Gléonnec82 et du « rapport Yolin »78 que ces réseaux ne sauraient fonctionner de façon performante sans que 3 conditions – au moins – soient satisfaites :

1. La loyauté, la durabilité, implications opérationnelles de la « confiance »83 dont parle Gléonnec82 et ce, tant au sein de l’entreprise (réseau interne) qu’avec ses partenaires (réseau externe) ;

2. Le management, qui doit disposer de procédures (ex. norme ISO 9001), d’un animateur pour piloter le réseau et aussi, et peut-être surtout affirmer une volonté véritable de coopération ;

3. Des outils de pilotage performants, c’est-à-dire capables de faire circuler de façon pertinente l’information entre les business units – ce qui implique le recours massif aux systèmes d’information de l’entreprise et de ses partenariats (via EDI, intranet et extranet) mais qui pose la question de l’évaluation même de la performance de ces outils…

Dans les faits, cependant, toutes les entreprises n’en sont pas au même point dans ce vaste défi de l’entreprise en réseau, encore appelé « entreprise numérique », comme le souligne Henri Isaac, de l’Université Paris Dauphine85. L’entreprise numérique, largement minoritaire, serait plutôt une grande entreprise industrielle.

L’entreprise numérique représente 21% des entreprises étudiées86. Ce qui la caractérise, c’est la présence de l’ensemble des outils électroniques, avec une présence affirmée des outils nécessaires à la gestion des connaissances, d’une chaîne logistique intégrée électroniquement.

L’entreprise numérique est relativement une plus grande entreprise que les autres. 75% des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 500 millions d’euros appartiennent à la classe de l’entreprise numérique. Les entreprises numériques appartiennent souvent à l’industrie (49%), mais on note que ce sont majoritairement des entreprises de serv

ice : une partie d’entre elles sont issues du commerce (11%), des télécommunications, services informatiques (10%) et services financiers (9%), services aux entreprises (8,5%).

À l’inverse, on trouve l’entreprise traditionnelle, typiquement une PME de moins de 500 salariés – qui, sans être majoritaire, est la catégorie la plus représentée.

À l’opposé de l’entreprise numérique, l’entreprise traditionnelle est une très souvent une PME de moins de 500 salariés (85%), réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 76 M€. dans 70% des cas. Elle exerce une activité industrielle pour 44% d’entre elles.

Cette catégorie d’entreprises est la plus importante dans l’échantillon (31% des entreprises). Par conséquent, même si l’on peut affirmer que l’entreprise numérique est une réalité en France, il convient de souligner l’inertie d’une part importante des entreprises françaises quant à la numérisation de leur activité. Le système d’information de l’entreprise traditionnelle s’avère très peu développé puisque aucun des outils communément adoptés par les autres entreprises n’est présent.

Comblant le fossé (ou la nouvelle fracture ?) séparant ces deux extrêmes, on trouve 3 nuances d’entreprises :

  1.  L’entreprise « orientée pilotage » (22 % des entreprises)
  2.  L’entreprise « orientée client » (13 % des entreprises)
  3.  L’entreprise « orientée connaissance » (13 % des entreprises)

Ainsi à travers ce troisième et dernier volet de notre développement, nous avons pu montrer qu’à l’instar de ce qui se passe pour les enjeux, le défi de l’aménagement du territoire – liée aux infrastructures – est en passe d’être relevé ; celui de l’e-gouvernance – liée aux accès – mérite encore davantage d’efforts dans le domaine de la satisfaction client, de la maîtrise des coûts et de l’évaluation qui sont autant d’éléments de la culture du « privé » que l’État et les services publics doivent plus largement intégrer ; enfin le défi de la compétitivité – lié aux usages – semble devoir rester durablement à relever tant les disparités entre entreprises semblent à la fois grandes et profondes.

Conclusion

Nous arrivons ainsi au terme de notre exposé sur la fracture numérique en France. Nous avons voulu démontrer, chiffres et textes à l’appui, que la fracture numérique est finalement un problème bien plus grave qu’il n’y paraît. Derrière les aspects technologiques, se cachent bel et bien des enjeux et des défis socio-économiques pour la France d’aujourd’hui et, aussi et surtout, de demain .

L’inégalité des accès des personnes aux NTIC n’est que la partie émergée de l’iceberg. Comme nous l’avons vu, le problème est bien plus profond ; il comporte bien plus de dimensions. Car l’accès suppose au préalable des infrastructures et implique in fine des usages. Et ces infrastructures et usages entraînent, eux aussi, des inégalités.

Le retard des pays pauvres ne doit pas être l’approche exclusive du problème ; les pays développés souffrent aussi de fracture numérique, y compris la France que nous avons prise plus particulièrement comme sujet de notre étude. Mais avant, nous ne pouvions nous exonérer d’une étude notionnelle de la fracture numérique, sans quoi notre démarche eut été par trop arbitraire.

Il nous a fallu notamment mettre en évidence les dangers des discours tiers-mondistes ainsi que montrer la pertinence toute particulière de l’étude de la fracture numérique à l’échelle d’un pays et plus précisément à celle d’un État.

Bien sûr la question des enjeux était centrale, c’est le nœud, le plus chiffré, le plus documenté du problème. Cela explique pourquoi nous lui accordons une telle importance dans notre développement, sans pourtant l’y consacrer tout entier.

Car, dans la culture française, la prise de conscience, l’analyse et la résolution d’un problème – surtout lorsqu’il a l’ampleur de la fracture numérique – ne sauraient se concevoir, au niveau suprême du pays, sans par ailleurs détecter la prééminence en même temps que l’urgence d’un ou plusieurs défis.

De ces défis, l’État a des leçons à donner (ou plutôt une dynamique à impulser ou à accompagner) mais aussi des leçons à prendre. Ainsi des collectivités locales qui, en prenant à bras le corps le défi de l’aménagement numérique du territoire, l’ont relevé pour une large part. L’État a, pour sa part, la responsabilité du défi de l’e-gouvernance, partiellement relevé mais qui a pourtant aussi pour mission, par son ampleur et son succès, de stimuler sinon de guider le défi de loin le plus délicat : celui de la compétitivité des entreprises.

Mais « gouverner, c’est prévoir »87. Au-delà des enjeux et des défis actuels, que nous réservent les nouvelles technologies pour l’avenir ?

Une étude de l’IDATE (Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunications en Europe)88 nous donne quelques éléments de prospective pour la France de 2010. 5 éléments se dégagent89 :

  1.  L’élévation des services mobiles au rang de principal moteur de la croissance ;
  2.  Le déclin de la téléphonie fixe ;
  3.  L’avènement du foyer numérique (avec accès direct aux contenus, c’est-à-dire sans passer par un ordinateur) ;
  4.  La morosité de la télévision payante avec la stagnation des offres payantes au profit des offres gratuites (ADSL, TNT) ;
  5.  L’entrée d’Internet dans le marché de masse, avec des disparités non plus d’infrastructures ou d’accès, mais désormais exclusivement d’usages – la fracture numérique, si elle subsiste, se situera au niveau des services associés, et non plus au niveau de la fourniture de l’accès lui-même.

Ainsi, la fracture numérique pourrait bien souligner, à travers l’abolition de tout déterminisme technologique (tant les bouleversements sont multiples, soudains et profonds) ni plus ni moins que la réinvention de la cybernétique au sens plein du terme – c’est-à-dire au sens de la refondation de l’art du gouvernement – et ce, au plus haut niveau.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La fracture numérique en France : définitions, enjeux, défis
Université 🏫: REIMS Management School Formation Approfondie au Management
Auteur·trice·s 🎓:
Frank ADEBIAYE

Frank ADEBIAYE
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de master En vue de l’obtention du Diplôme Sup de Co Reims - 2004-2006
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