La convergence: Gestion d’affaires et Société créée de fait

La convergence entre gestion d’affaires et société créée de fait – Titre second :
177. – La démarche de convergence qui doit ici nous animer, une fois pris acte de ce que la gestion d’affaires et la société créée de fait ne font pas figure d’antagonismes, se doit de procéder en deux temps.
Il nous sera d’abord nécessaire de montrer l’analogie existant entre ces deux mécanismes (Chapitre premier). Cela nous conduira alors, après avoir poussé ce rapprochement à son paroxysme, à établir la nécessité de l’unification entre ces deux institutions (Chapitre second).
Chapitre premier : L’analogie entre gestion d’affaires et société créée de fait
178. – L’analogie fait référence à un « rapport, [une] similitude entre plusieurs choses différentes. »165 Celle-ci suppose donc de mettre en valeur les points communs entre deux éléments, bâtis sur une logique identique. Or, la logique animant la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, semble construite autour de la notion de « relation ». Une relation peut se définir comme un « rapport de droit et (ou) de fait entre deux ou plusieurs personnes, [à travers des] liens (juridiques ou non), qui les unissent. »166
En effet, la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, ont vocation à faire passer une relation de fait au plan du droit, en tirant les conséquences patrimoniales de cette relation de fait passée (Section 1). Mais, la situation à traiter n’étant pas identique dans les deux cas, la réaction sera diverse (Section 2).

Section 1 : Une même vocation : tirer les conséquences patrimoniales d’une relation de fait passée

179. – Afin de mettre en valeur ce but commun à la gestion d’affaires et à la société créée de fait, il faut établir une césure temporelle au sein de cette relation de fait passée. En effet, il est ici nécessaire de souligner le contraste entre la relation de fait en cours de fonctionnement (§1), et à son terme (§2).

§1) L’autorégulation patrimoniale de la relation de fait pendant son cours

180. – Ainsi que nous l’avons déjà souligné, la gestion d’affaires comme la société créée de fait sont marquées du sceau de la liberté. Elles ne supposent en effet aucune formalité, a priori, pour trouver à s’appliquer. C’est là un premier signe de ce que ces institutions ne constituent qu’une justification intervenant après coup, et à défaut pour les protagonistes d’avoir formalisé leurs rapports ab initio.
En effet, si ceux-ci sont objectivement saisissables en Droit, ils ne seront effectivement saisis que dès lors que le Droit sera sommé d’intervenir. Ainsi, pour qualifier la situation antérieure à l’application de la gestion d’affaires et de la société créée de fait, il semble que l’on puisse oser l’expression de « non-Droit »167 (A).
Or, pendant cette période, ces acteurs tissent entre eux une relation, du fait des liens matérialisés par la fluctuation intervenant au sein de leur patrimoine, en rapport avec l’exercice d’une activité déterminée, appelée à devenir l’activité sociale ou l’activité de gestion d’affaires (B).

A) La sphère du non-Droit

181. – Il s’agit ici de partir d’un double constat. Le premier réside dans l’observation selon laquelle la gestion d’affaires, comme la société créée de fait, sont des mécanismes qu’on pourrait qualifier de rétrospectifs, en ce qu’ils sont tournés vers le passé. En effet, on peut noter qu’il y a une impossibilité d’opérer toute projection de ces institutions dans l’avenir168. Il est ainsi notoire que la société créée de fait n’accède à la vie juridique que l’espace d’un instant, et uniquement pour être liquidée.
De même, les obligations naissant de la gestion d’affaires n’ont de sens que s’agissant de tirer les conséquences de la relation nouée entre le gérant et le maître de l’affaire, consécutivement à l’immixtion du premier dans les affaires du second. Elles n’ont donc aucunement vocation à créer une situation pérenne.
182. – Le second constat, lié au premier, est celui selon lequel ces mécanismes sont alors conduits à intervenir a posteriori. Ainsi, le gérant aura déjà déployé sa gestion, les associés de société créée de fait auront au préalable exercé l’activité sociale, avant que ces institutions ne viennent imposer leurs règles. La question logiquement engendrée est alors celle d’identifier les modalités de la relation unissant les différents protagonistes avant l’intervention du Droit à travers ces mécanismes.
Il faut alors considérer qu’avant qu’un des protagonistes ne décide de saisir le juge, donc pendant que cette relation de fait se poursuit, leurs rapports s’inscrivent dans la sphère du non-Droit : les deux agissent ensemble, l’un agit pour l’autre sans que le Droit ne leur en fasse obligation, ni ne vienne régir cette relation informelle, tant qu’il n’y a pas été sollicité. Or, pour cerner la réalité existant en dehors du Droit, il nous faut nous tourner vers les sociologues.

167 J. Carbonnier, Flexible Droit, Pour une sociologie du Droit sans rigueur, LGDJ, 10e ed, 2001, L’hypothèse du non-droit, p25 et s.

168 Ainsi, S. Vacrate, dans sa thèse, op. cit, n°246, parle d’ « un simple baptême rétroactif », s’agissant de la révélation judiciaire de la société créée de fait. Allant au bout de sa démarche, celle-ci s’attache à trouver des « moyens permettant la survie de la société créée de fait » (n°308 et s.) Or, ce faisant, elle se heurte à un certain nombre d’obstacles.
Elle constate en effet que si certains moyens seraient envisageables, en l’état actuel des choses, c’est toujours le consentement des parties à la poursuite de l’activité qui fera obstacle à l’inscription de ce groupement dans l’avenir. Cet état de fait est lié à ce que la découverte de la société créée de fait interviendra souvent, voire quasi exclusivement dans un cadre contentieux. Au-delà, une telle démarche ne semble pas souhaitable, du fait que ce n’est pas la vocation de ce groupement : V. infra n°255.
183. – Jean Carbonnier a tenté de saisir le phénomène du non-Droit169. Or, dans sa démarche, il distingue deux hypothèses, en considérant que « le non-droit est tantôt objectivement donné par la société, tantôt subjectivement choisi par l’individu. »170 Or, il nous semble alors que la relation qui nous occupe, telle qu’envisagée antérieurement à l’intervention du Droit, s’inscrive au sein de la seconde catégorie.
En effet, il nous paraît que les individus concernés aient conscience du caractère informel de leur situation, et que cela intervienne consécutivement à leur choix personnel du fait que dans chaque cas ils se seraient vus offrir la possibilité de formaliser leur relation, la faisant ainsi rentrer dans le giron du Droit.
184. – Ainsi, dans le cadre de la relation qui donnera ensuite lieu à la reconnaissance d’une société créée de fait, la mise à l’écart du Droit est liée à la volonté de tous les futurs associés : il leur aurait en effet été loisible de faire rentrer ab initio leur relation au sein du Droit. Ils auraient ainsi pu s’accorder sur le principe de constitution d’une société, formant ainsi une société en participation, voire en procédant à son immatriculation après avoir préalablement opté pour l’une des formes prédéfinies de sociétés personnes morales qu’offre la réglementation.
Au-delà, on pourrait concevoir que les personnes en présence n’aient pas conscience de la qualification juridique exacte de leur relation, ni même de toutes les potentialités que leur offre le Droit pour régir leurs rapports. Mais de cela il ne nous semble pas que l’on doive déduire le fait qu’ils ne croient pas pouvoir formaliser leur situation. En d’autres termes, si on peut admettre qu’un époux séparé de biens participant à la marche du fonds de commerce de son conjoint n’ait pas connaissance de la qualité qu’il pourrait endosser de conjoint collaborateur, on ne peut concevoir qu’il n’ait pas conscience de la possibilité d’obtenir le statut de salarié.
Or, si l’éventualité d’une formalisation n’est pas envisagée, c’est que les acteurs concernés n’en éprouvent pas le besoin, n’en ont pas la volonté : c’est donc du fait de leur choix que la relation qui les unit s’inscrit dans la sphère du non-Droit.
185. – Concernant la gestion d’affaires, c’est bien également la volonté individuelle qui est vectrice de la pénétration au sein de la logique du non-Droit, mais avec cette particularité qu’il s’agit ici d’une seule volonté : celle du gérant d’affaires. En effet, la situation de gestion d’affaires, ainsi que nous l’avons évoqué, trouve uniquement son empire dès lors que le géré ignorait cette situation. Sinon, le basculement dans la sphère du Droit aurait été automatique.
Ainsi, l’approbation, au sens large, aurait engendré l’existence d’un contrat, alors que de manière générale, la réprobation ab initio faisait naître de celle-ci une faute génératrice de responsabilité civile délictuelle. C’est donc la volonté du seul gérant, décidant de gérer l’affaire d’autrui dans l’ignorance du maître de cette situation, qui conduira dans le non-Droit. A ce titre, on ne saurait admettre à hauteur de principe que cette liberté de choix lui soit ôtée par l’urgence d’entreprendre sa gestion sous peine de voir l’affaire d’autrui dépérir, empêchant la formalisation ab initio de la relation qu’il s’apprête à nouer.
En effet, nous avons déjà évoqué le fait que l’urgence n’était pas une condition de la gestion d’affaires (V. supra n°77). Ainsi, s’il est concevable que de telles situations puissent se présenter, on ne saurait en faire une donnée générale faisant obstacle à la logique décrite.
186. – Ce faisant, on observe alors que la frontière entre le Droit et le non-Droit est assez ténue, et à ce titre, le Doyen Carbonnier s’interroge sur le fait de savoir lequel du Droit ou du non-Droit, sous-tend l’autre171 ? La réponse n’est pas aisée, et les deux thèses semblent pouvoir être défendues.
Néanmoins, on peut remarquer avec lui une tendance des individus inclinant vers le non-Droit : « Tout se passe, à un moment de la durée, comme si les individus arrangeaient hors du droit la plupart de leurs relations mutuelles, relations de famille ou d’échange. Bien mieux, comme s’ils voyaient une réussite de la vie à ne jamais rencontrer le droit. Slalom magnifique ! Il faut arriver au but en zigzaguant, sans s’être jamais heurté à un gendarme ou à un juge. Les gens heureux vivent comme si le droit n’existait pas. »172.
187. – Ces institutions en constituent un bon exemple. En effet, il faut au préalable garder à l’esprit que l’intervention de la société créée de fait, comme celle de la gestion d’affaires, n’est jamais imposée, ni indispensable. Pour cela, encore faut-il que l’un des protagonistes en présence, ou un créancier prenne l’initiative de saisir les juridictions, et qu’il obtienne gain de cause.
Mécaniquement, ces mécanismes trouvent donc effectivement à s’appliquer dans un nombre de cas beaucoup plus réduit que celui qui ne leur en serait offerts dans l’abstrait173. Les personnes en présence peuvent donc se complaire dans le non-Droit, en ne faisant jamais émerger leur situation en tant que réalité juridique. La pénétration de cette relation dans la sphère du Droit est donc liée par principe à la dimension contentieuse qu’elle va revêtir.
188. – Pour autant, dès lors que la relation suit son cours, on peut convenir avec le Doyen Carbonnier que « le non-droit n’est pas néant ni chaos. C’est un monde de relations que le droit, quand il se retire, n’abandonne pas à la dissolution et au désordre. […] Le terrain qu’il évacue sera tout simplement réoccupé par les anciens occupants, principes d’ordre, de paix et d’harmonie dont on postule plus ou moins, dans l’hypothèse considérée, l’antériorité au droit. »174
189. – Ainsi, il en résulte simplement que le Droit n’interfère pas de manière immédiate pour la régulation de la relation se tissant entre ces protagonistes tant que celle-ci suit son cours. Ce sont donc d’autres principes qui investissent alors l’espace duquel il est absent. C’est alors un équilibre instable qui est instauré par leur biais, car ils fonctionnent sur la base du bon vouloir des individus, n’étant pas assortis de contrainte en cas de non respect.
Dès lors, on peut même imaginer que si ces principes peuvent être déterminés par les individus eux-mêmes, ils ne seront pas forcément conformes au Droit. C’est donc bien d’autorégulation dont il faut parler en la matière. Or, le maintien de cet équilibre est intimement lié aux mouvements patrimoniaux caractérisant la relation pendant son cours.

B) La fluctuation patrimoniale

190. – Par principe, toute relation suppose l’existence de liens entre ses différents acteurs. Or, comme nous l’avons préalablement souligné, en cours de fonctionnement, ces liens ne sauraient revêtir une nature juridique, en ce que la relation s’inscrit alors dans la sphère du non-Droit. Or, tant que le Droit n’est pas sommé d’intervenir, ces personnes sont juridiquement des tiers.

173 Ceci en vertu d’obstacles juridiques, mais également matériels et notamment le coût d’une instance, ce qui montre bien que cette voie n’est empruntée que dès lors que l’intérêt pécuniaire attendu est important pour le demandeur, réduisant ainsi les potentialités d’emprise du Droit sur ces situations.

174 J. Carbonnier, op. cit p40.
191. – Ce qui semble faire le lien entre les personnes en présence est l’activité autour de laquelle s’organise leur relation. La traduction objectivable en est d’ordre patrimonial. Par cela, nous ne voulons pas signifier que se tisseraient entre elles des liens d’ordre patrimonial à la manière d’obligations, qui ne naîtront que de l’intervention du Droit. En effet, la relation intervenant au plan du fait, c’est l’activité, sociale ou de gestion qui en est le support, et qui en forme le liant, soit qu’elle soit exercée en commun, soit qu’elle soit exercée au bénéfice d’autrui.
Or, le déroulement de cette relation est caractérisé par une fluctuation de valeurs au sein des patrimoines de ses différents protagonistes, rendant saisissable en Droit la relation de fait.
192. – Ainsi, on pourra constater que de par l’activité exercée, le patrimoine de l’un des protagonistes va diminuer de valeur, alors que corrélativement, le patrimoine de l’autre va s’accroître de la même valeur. La relation de fait sera ainsi susceptible d’être marquée par un effet de vases communicants entre les patrimoines, sans pour autant que ne s’établisse de lien juridique entre eux.
L’activité exercée pourra donc avoir pour conséquence d’accoler les patrimoines des différents individus y prenant part en modifiant proportionnellement leur substance, pour l’un à la baisse, et pour l’autre à la hausse.
193. – Il s’agit ici de l’hypothèse la plus simple pouvant advenir, et on en trouvera une illustration dans des circonstances diverses. Ce sera notamment le cas dès lors que par l’opération qui sera considérée comme d’apport postérieurement à l’intervention du Droit, un prétendu associé transférera la propriété d’un bien lui appartenant, à l’autre.
La même configuration se retrouvera lorsque la personne s’estimant gérante, dans le cadre de la gestion d’affaires, incorporera un bien lui appartenant au sein d’un immeuble propriété du prétendu maître de l’affaire, qu’il se sera donné pour mission de préserver.
194. – Mais cette hypothèse n’est pas exclusive, et les choses peuvent se complexifier dès lors que la fluctuation patrimoniale interviendra du fait de rapports établis par l’un des acteurs avec des tiers. Il est en effet envisageable que le prétendu gérant, ou le prétendu associé contractent avec des tiers dans le cadre de l’exercice de leur activité.
195. – Ainsi, si cette dynamique ne pourra par principe qu’engendrer l’appauvrissement ou l’enrichissement de l’acteur ayant directement traité avec le tiers dans le cadre de l’exercice de l’activité, il faudra ici identifier celui qui en supportera la charge définitive, notamment lorsque le prétendu gérant d’affaires agira par représentation.
196. – Par ailleurs, il faudra également évaluer ce que chacun recueillera en contrepartie : ainsi, le coût d’achat par le gérant d’affaire virtuel agissant au nom du futur maître de l’affaire de matériaux visant à la réparation du toit de la maison de ce dernier, pèsera à titre définitif sur celui qui obtiendra ensuite la qualité de géré. Mais, cette dépense sera également de nature à enrichir le prétendu maître de l’affaire, qui pourra bénéficier éventuellement d’une plus- value de sa propriété une fois les réparations effectuées.
A ce titre, il est également nécessaire de souligner que la jurisprudence estime que les efforts déployés par le gérant dans le cadre de l’exercice de l’activité ne sauraient être quantifiés pour s’inscrire dans cette dynamique de fluctuation175.
197. – Les situations pouvant trouver à s’appliquer sont donc très diverses, mais la caractéristique de la relation de fait en cours de fonctionnement doit bien être celle du mouvement. Cela suggère donc que cette fluctuation doive être incessante. En effet, la notion même d’activité, quelle que soit sa forme, suggère l’action, en ce qu’on peut évoquer ce terme comme la « puissance d’agir »176.
Or, ce mouvement est créateur de richesse, et engendrera donc mécaniquement la fluctuation de la substance du patrimoine des intéressés, quand bien même elle passerait par le média de relations avec des tiers. Dans le cas contraire, donc lorsque la fluctuation patrimoniale se cristallisera, la relation sera arrivée à son terme.
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Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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