Gestion d’affaires, Société créée de fait et Unification ex nihilo

Section 2 :

La cohérence engendrée par l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait

302. – Face aux critiques de toutes sortes, une réaction semble nécessaire.

Or, celle-ci paraît invariablement devoir incliner vers l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait, de par le constat que cette démarche permettrait de rétablir la cohérence, en palliant les critiques constatées. Néanmoins, cet objectif ne saurait être atteint que s’il est relayé par la mise en œuvre de modalités adéquates.

En effet, le bénéfice de cohérence sera variable selon la méthode d’unification mise en place. A ce titre, deux modalités proposées par les auteurs nous semblent envisageables : l’unification ex nihilo (§1), ou l’élargissement de la notion de quasi-contrat (§2).

§1) L’unification ex nihilo

303. – Cette méthode d’unification a été proposée par Madame Vacrate269.

Elle consisterait à faire table rase de l’existant pour créer une nouvelle catégorie d’obligations, comprenant en leur sein la gestion d’affaires et la société créée de fait (A). Néanmoins, nous devrons ensuite exprimer nos réserves quant à l’utilisation de telles modalités (B).

A) La création d’une nouvelle catégorie d’obligations

304. – Madame Vacrate, dans le but d’établir davantage de cohérence s’agissant de l’identification de la nature, et de la classification de la société créée de fait, propose la création d’un concept nouveau.

305. – En effet, cherchant à établir la nature juridique de la société créée de fait, elle a pu constater les liens que ce mécanisme entretenait avec les quasi-contrats, ceci l’incitant alors à s’interroger sur le bien fondé de la proposition de certains auteurs d’insérer la société créée de fait au sein de cette catégorie.

L’étude est donc menée de l’admissibilité de leur argumentation.

306. – L’auteur constate ainsi que « le premier argument présenté […] réside dans le caractère ouvert de la catégorie des quasi-contrats, susceptible dès lors d’accueillir d’autres notions. »270.

En effet, les cas de quasi-contrats n’étant pas limitativement prévus par le Code civil, de nouveaux mécanismes pourraient s’y inscrire, et elle fait ici référence à l’analyse menée par Monsieur Honorat, proposant de voir dans la société créée de fait « une situation quasi-contractuelle résultant du fait des parties »271.

307. – Elle ajoute ensuite que « le second argument se fonde sur les nombreuses similitudes qui existent entre les deux notions, et qui invitent à une identification. »272

Selon l’auteur, cette proximité est réelle, et peut être résumée par deux propositions : en premier lieu, chacune repose sur une situation apparente273.

« Ainsi, le quasi-contrat est, à l’égard des tiers, une apparence de contrat, tout comme la société créée de fait est, à l’égard des tiers et des juges, une apparence de société »274, étant entendu que ces deux éléments font figure de « notions fonctionnelles à l’usage de la jurisprudence »275 de par la recherche de « l’équité, et plus précisément, [de] la volonté de rééquilibrage des patrimoines » vers laquelle elles tendent276.

En second lieu, ces situations apparentes ont pour point commun d’imposer « la création d’obligations naissant en dehors de la volonté des parties »277.

308. – De cela, l’auteur conclue qu’un « lien étroit »278 unit les deux institutions, et s’interroge sur sa nature.

Or, à ce titre, il ne lui semble pas que celui-ci doive se matérialiser par l’inclusion au sein de la sphère des quasi-contrats de la société créée de fait, du fait que cette catégorie doit elle-même être remise en cause.

Ce faisant, Madame Vacrate adhère aux différentes critiques ayant pu être portées à la notion de quasi-contrat, essentiellement du fait des circonstances de sa consécration au sein du Code civil.

Elle dénonce donc « la confusion du concept de quasi-contrat »279, liée aux difficultés concernant sa systématisation, mais également son « incohérence »280, et la « fictivité de [son] rattachement à la summa divisio »281 des sources volontaires ou involontaires d’obligations, dont aucune ne permettrait son accueil.

309. – Ces éléments conduisent donc l’auteur à proposer « l’émergence d’une nouvelle catégorie d’obligations : les obligations morales. »282

Celle-ci aurait ainsi vocation à englober la société créée de fait et les quasi-contrats existants. L’auteur fait alors du fondement de cette nouvelle classification l’Equité283, qui gouvernerait l’intervention du Droit en la matière.

En effet, à travers les cas de quasi-contrats existants, ainsi que de la société créée de fait, il serait question d’opérer la « lutte contre l’enrichissement injustifié d’un patrimoine au détriment d’un autre »284, engendrant la cohésion de cette nouvelle catégorie dont les éléments ont vocation à « servir les mêmes intérêts. »285

310. – Son objectif serait alors, d’après Madame Vacrate, d’« assurer la morale et l’équité, non plus dans le contrat, mais dans les simples relations humaines. »286

A titre de justification, l’auteur mène une analyse historique afin de montrer en quoi la consécration de cette nouvelle catégorie d’obligations ne serait que le fruit des évolutions intervenues depuis le droit romain, dont elle note que les plus importantes sont liées à l’influence de la morale287. Or, si ce mouvement prend sa source dans le droit romain, il s’agirait ici de dépasser en même temps que de prolonger ces acquis.

En effet, d’après l’auteur, « la portée de cette nouvelle catégorie est considérable, car ce nouveau classement constitue une avancée certaine sur le droit romain, c’est un pas supplémentaire franchi par la jurisprudence.

Ce dernier ne s’intéressait au contrat qu’une fois né, et ne sanctionnait ses vices qu’une fois apparus. Les tribunaux, en consacrant la société créée de fait et le quasi-contrat, s’attachent à régir les relations humaines en l’absence de tout contrat, dès lors qu’une situation inéquitable est née de l’enrichissement injuste d’une personne au détriment d’une autre.

A cet égard, l’œuvre prétorienne poursuit et achève la quête du droit romain en l’adaptant à notre siècle et au type de relations humaines qu’il sous-tend. »288

311. – Mais, admettre une telle démarche engendrerait certaines conséquences quant aux mécanismes appelés à prendre place au sein de cette catégorie spécifique d’obligations.

Cela commanderait d’abord d’abandonner la catégorie quasi-contractuelle, tout en conservant néanmoins ses composantes.

S’agissant de la société créée de fait, l’auteur envisage deux possibilités d’avenir : il pourrait être envisageable d’entériner définitivement la place de ce mécanisme au sein du droit des sociétés, sous réserve de modifier sa structure pour permettre de la faire reposer sur un tel contrat.

Mais, si les tribunaux perdurent dans cette volonté d’en faire un instrument de rééquilibrage des patrimoines, si la technique pourra être conservée, il faudra alors modifier sa dénomination, et l’extraire de la logique spécifique du droit des sociétés, qui apparaît ici dévoyée.

Pour autant, cette approche de l’unification de la gestion d’affaires et de la société créée de fait ne nous paraît pas satisfaisante.

B) Une solution critiquable

312. – En premier lieu, il nous semble que la proposition ainsi formulée par Madame Vacrate serait de nature à permettre de restaurer une certaine cohérence au sein des sources d’obligations, en extrayant la société créée de fait de la sphère de l’acte juridique, dont il nous est apparu, au même titre que cet auteur, qu’elle ne pouvait pénétrer qu’au prix d’un artifice. (V. supra n°121 et s. et n°286 et s.).

C’est donc au sein de la catégorie des faits juridiques qu’il faudrait l’intégrer, faisant ainsi taire certaines critiques attachées à ce mécanisme d’où un réel gain de cohérence.

313. – Ensuite, il nous faut souligner que Madame Vacrate s’accorde avec nous s’agissant du constat de points communs que présente cette structure avec les quasi-contrats existants, et de l’impossibilité de mener la démarche plus avant par l’intégration de la société créée de fait au sein de la catégorie quasi-contractuelle actuelle, même si certaines divergences d’approche se font jour quant à la justification d’un tel point de vue289.

Or, de celles-ci naissent certaines orientations correctrices prises par Madame Vacrate, qui nous semblent contestables.

314. – En effet, si nous nous refusons à intégrer la société créée de fait à la notion actuelle de quasi-contrat du fait de la divergence de leurs effets, (V. supra n°296 et s.), Madame Vacrate prône la même attitude du fait de la nécessité de supprimer purement et simplement la catégorie quasi-contractuelle.

En d’autres termes, il s’agirait ici de donner plein effet aux critiques adressées à la notion de quasi-contrat, pour faire taire celles pesant sur la société créée de fait. Débarrassés de leur liant, les quasi-contrats particuliers existants seraient ainsi fondus avec la société créée de fait au sein d’une nouvelle catégorie d’obligations.

315. – Or il nous paraît nécessaire de nous attacher à l’analyse du bien fondé d’un tel choix.

A ce titre, l’opportunité de ce remplacement ne saurait être établie que par l’évaluation des avancées qu’induirait cette notion nouvelle. En effet, une telle rupture d’avec le droit existant ne pourrait être justifiée que dès lors qu’elle permettrait d’atteindre des objectifs auxquels ce dernier ne pouvait aboutir.

Or, cette démarche montre alors une réalité moins nette que la description précédente ne le laissait entrevoir. En effet, force est de constater que la divergence ne serait que relative.

316. – A ce titre, il faut d’abord remarquer que cette « catégorie d’obligations fondées sur la morale […] [et recherchant] l’équité au travers de la sanction de l’enrichissement indu d’un patrimoine au détriment d’un autre. »290 trouve toujours à sa base la notion traditionnelle du quasi-contrat.

L’opposition n’est donc qu’apparente, en ce que par la création de cette nouvelle catégorie d’obligations, c’est toujours la catégorie quasi-contractuelle qu’entérine l’auteur, en maintenant ses composantes, et leur dénominateur commun.

Ainsi, si cette conception semblait instaurer une césure d’avec le droit existant, c’est en réalité la continuité qu’elle engendre en ce que c’est davantage le mot que la réalité qu’il désigne que Madame Vacrate propose de supprimer.

317. – Ensuite, ce faisant, loin de rompre, ou à tout le moins cantonner la logique quasi-contractuelle, c’est davantage à son prolongement que conduit la proposition de Madame Vacrate.

En effet, on constate que cette nouvelle conception a pour seule conséquence d’expurger la notion traditionnelle de quasi-contrat de la dimension compensatrice qui est aujourd’hui la sienne, entrainant alors son extension.

Par ce biais, celle-ci se verrait ainsi offerte la possibilité de déployer son spectre jusqu’à l’intégration de la société créée de fait au motif que « le quasi-contrat, comme la qualification sociale, procèdent […] de la même inspiration et de cette idée que nul ne doit s’enrichir injustement aux dépens d’autrui. »291 Or, nous nous accordons avec ce constat que nous avons-nous même effectué (V. supra n°198 et s.).

318. – Ainsi, après analyse, l’innovation en serait beaucoup moins importante que ce qui a été annoncé.

A l’examen, il apparaît en effet que la seule avancée introduite par cette création serait l’élargissement qu’elle emporterait de la notion de quasi-contrat.

Ce faisant, l’apport en termes de cohérence est indéniable, en ce qu’outre le fait que la société créée de fait se voie conférer une place au sein de la catégorie des faits juridiques, il est tenu compte de la différence d’effets qu’elle emporte par rapport aux quasi-contrats actuels par le remaniement de la notion.

C’est donc davantage la forme que le fond qui nous apparaît critiquable. Nous pourrions alors formuler à l’encontre de cette conception le grief de déstabiliser les sources d’obligations par la création d’une nouvelle catégorie en leur sein, alors que l’existant pourrait tout à fait servir les mêmes intérêts.

En réaction, se trouve alors balisée la voie à suivre, pour laquelle plaide indirectement cette proposition : celle de l’extension de la notion de quasi-contrat.

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Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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