Les sanctions de la loi belge : Violations des droits voisins

B.- Les sanctions prévues par la législation belge

La loi belge du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins n’a pas réservé de chapitre particulier aux sanctions qu’elle consacre. Celles-ci sont logées au sein du chapitre VIII (Dispositions générales), parmi les dispositions transitoires et la détermination du champ d’application de la loi.
Ce sont, plus précisément, les articles 80 à 87 qui déterminent les moyens civils et pénaux dont peuvent se prévaloir l’auteur et l’artiste- interprète pour agir en justice et faire sanctionner la violation de leurs droits.

§1.Dispositions pénales : le délit de contrefaçon

La loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins organise, en plus des sanctions civiles classiques 44 , des sanctions pénales.
L’on se trouve en présence du “phénomène bien connu de la sanction pénale d’une atteinte à un droit civil”, comme le souligne L. Van Bunnen 45. Cette voie d’action pénale bien connue n’est autre que la répression de la contrefaçon…

a. Contours de la contrefaçon

La contrefaçon trouve sa définition à l’alinéa premier de l’article 80 de la loi du 30 juin 1994 ; il y est question de “toute atteinte méchante ou frauduleuse portée au droit d’auteur et aux droits voisins”. Tel que le constate notamment A. Berenboom, “les termes généraux de la loi permettent de viser toute espèce d’atteinte aux droits de reproduction et de communication publique ainsi qu’aux droits moraux” 46.
En outre, alors que la loi du 22 mars 1886 conditionnait les poursuites à une plainte préalable, la nouvelle loi n’en fait plus mention, de sorte que le Ministère Public peut poursuivre d’office le délit de contrefaçon. Toute personne intéressée est par ailleurs recevable à agir 47.
Est entendu comme une atteinte méchante ou frauduleuse au droit d’auteur et aux droits voisins le fait de sciemment vendre, louer, mettre en vente ou en location, tenir en dépôt pour être loués ou vendus ou d’introduire sur le territoire belge des objets contrefaits, dans un but commercial (article 80, alinéa 3) 48.
La contrefaçon ainsi conçue peut être qualifiée de contrefaçon au sens large, et être définie comme “le fait d’utiliser l’œuvre d’un tiers, sans avoir obtenu son consentement préalable, lorsque cette œuvre est protégée par la loi” 49.
On assimile également au délit de contrefaçon le délit de fausse signature, caractérisé par F. De Visscher et B. Michaux comme l’“application du nom d’autrui pour désigner sa propre œuvre ou prestation” 50. En matière musicale, il s’agit, par exemple, de l’apposition sans autorisation du nom d’un chanteur ou du producteur sur un disque pirate. Cette incrimination se révèle d’une importance capitale dans la lutte contre la piraterie, comme le relèvent A. et B. Strowel 51.

b. Éléments constitutifs du délit

L’élément matériel est très large ; il peut relever du droit patrimonial ou du droit moral et concerner tant la reproduction que la communication au public. F. De Visscher et B. Michaux le notent ainsi : “aucune composante du droit violé n’échappe au domaine pénal” 52.
La contrefaçon peut être partielle (A. Berenboom précise que “quand il y a copie intégrale d’une œuvre, on parle généralement de plagiat” 53 ), mais n’existera pas si l’œuvre s’inspire de thèmes libres ou si les éléments empruntés sont banals ou dans le domaine public.
L’élément moral prévu par l’article 80, alinéa 1er, est explicitement le dol spécial : est requise une intention “méchante” (la volonté de nuire ou de causer préjudice – hypothèse assez rare) ou “frauduleuse” (usurpation faite sciemment, et à des fins commerciales, même si le profit est finalement nul – option plus fréquemment rencontrée).

c. Peines prévues pour les contrefacteurs

L’article 81 de la loi du 30 juin 1994 punit la contrefaçon , considérée comme un délit instantané et permanent dont le délai de prescription commence à courir avec l’accomplissement du dernier acte constitutif de l’infraction, et introduit (la loi antérieure ne la prévoyait pas) une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans en cas de récidive.
Il est par ailleurs envisageable, dans le même cas, d’ordonner la fermeture provisoire ou définitive de l’établissement exploité par le condamné (ce qui n’est pas toujours prévu dans les législations d’autres États européens).
La peine d’amende, quant à elle, a été renforcée par la loi nouvelle : elle varie entre 100 et 100!000 francs belges (soit environ 2,48 à 2479 euros), montant auquel il convient d’ajouter les décimes additionnels.
Par ailleurs, le délit de contrefaçon peut entrer en concours avec d’autres infractions telles que le vol (des enregistrements originaux en studio entre autres), le détournement (d’une mélodie à des fins publicitaires par exemple), l’abus de confiance ou la tromperie, ou encore le faux et la contrefaçon de marque ou celle du nom du fabricant (article 191 du Code pénal), notamment lors de la reproduction illicite des pochettes de compact disques (CD) 54.
La loi ne prévoyant aucune disposition spéciale, la tentative de contrefaçon n’est pas punissable. En revanche, offrir de procurer une œuvre ou une prestation constitue plus qu’une tentative et tombe sous le champ d’application de l’article 80 (alinéa 1er ou alinéa 3).
A l’inverse, l’article 80 de la loi du 30 juin 1994, en son alinéa 4, postule explicitement que les dispositions du livre Premier du Code pénal sont d’application, de même que le chapitre VII (De la participation de plusieurs personnes au même crime ou délit) et que l’article 85 traitant des circonstances atténuantes. La loi particulière rencontre ainsi le prescrit de l’article 100 du Code pénal.

d. Autres peines

La confiscation des objets contrefaits (les CD pirates par exemple) ou des instruments ayant servi directement à commettre la contrefaçon (les graveurs de CD notamment) n’est plus postulée expressément parmi les mesures pénales de la loi de 1994. Il n’existe cependant aucun doute sur le fait qu’elle puisse être ordonnée par le juge 55.
L’article 82 est particulièrement intéressant pour notre propos puisqu’il postule la saisie-recettes , selon laquelle les recettes issues d’une exécution ou d’une représentation (exemple : un concert) faites en fraude du droit d’auteur ou du droit voisin pourront être saisies comme objets provenant du délit. Elles pourront de la sorte être allouées au requérant et prises en compte dans l’évaluation du dommage.
Il est prévu la publication des jugements (article 83 de la loi du 30 juin 1994), de quelque manière que ce soit, ce qui, d’après Th. Verbiest et É. Wéry, “(…) convient particulièrement bien aux infractions commises sur l’internet : il est à la fois facile, économique et efficace d’utiliser le réseau pour lutter contre les contrefaçons qui s’y produisent, par exemple en publiant la décision sur la page d’accueil du site contrefaisant” 56.

§2.Dispositions civiles

a. Dispositions ordinaires relevant du droit commun

Si le dol est absent ou n’est pas prouvé, le titulaire du droit d’auteur ou d’un droit voisin ne peut se prévaloir de l’action pénale. Il pourra toutefois intenter une action civile sur base du droit commun de la responsabilité quasi délictuelle (en vertu de l’article 1382 du Code civil).
Par conséquent, en vertu de l’article 569,!7° du Code judiciaire, c’est le tribunal de première instance qui est compétent pour statuer sur les demandes non-évaluables ou supérieures à 75!000 francs (soit environ 1859 euros) 57.
Le syllogisme de l’article 1382 du Code civil repose sur la triade bien connue : une faute, un dommage et un lien de causalité. Il est considéré que la violation du droit d’auteur ou d’un droit voisin constitue en soi une faute ; “cela résulte du caractère absolu ou erga omnes de ces droits monopolistiques” 58.
Le dommage consiste en la perte d’un avantage patrimonial ou moral, voire des deux. La difficulté réside dans la mise en évidence du lien de causalité, c’est-à-dire dans l’évaluation du préjudice.
Ce que l’on peut en dire sans s’étendre, c’est que sont pris en compte tant le préjudice matériel que moral. Pour ce dernier en effet, selon A. Berenboom 59 , après plusieurs années de dédommagements symboliques, il semble que l’on évolue progressivement vers une réparation substantielle.
La plupart du temps, la requête sera introduite selon le mode du référé , ce que l’on comprend aisément par les pertes importantes que peuvent occasionner certaines formes de contrefaçon sur une période très brève. En réalité, “la rapidité avec laquelle une décision est obtenue est souvent la seule arme efficace pour l’auteur ou le titulaire du droit voisin lésé” 60.
La publication du jugement est possible (article 87, § 1er, dernier alinéa de la loi du 30 juin 1994), et les mesures destinées à réparer le dommage peuvent être assorties d’astreintes, en vertu des articles 1385 bis et suivants du Code judiciaire.
En plus de l’action ordinaire devant le tribunal de première instance et de l’action en référé, le Code judiciaire prévoit, lorsque la contrefaçon n’est pas établie mais fondée sur des soupçons légitimes et sérieux, la saisie-description , à des fins probatoires : les titulaires des droits d’auteur peuvent ainsi “(…) obtenir, par surprise, des renseignements précieux sur l’existence et l’ampleur de la contrefaçon et, le cas échéant, bloquer celle-ci” 61. Les grands avantages de la saisie-description sont son caractère unilatéral et sa rapidité 62.

b. Dispositions introduites par la loi du 30 juin 1994

Malgré la rapidité de l’action en référé, les conditions d’intervention du juge du tribunal de première instance pouvaient faire naître certaines difficultés. C’est pourquoi la loi du 30 juin 1994 organise, à côté du droit commun, une action en cessation civile , appelée également action “comme en référé”. La procédure de cette action particulière est réglée par l’article 87,!§1er de la loi de 1994.
La singularité de cette disposition est que l’action instituée emprunte les formes du référé, mais demeure une action au fond qui donne lieu à jugement : le juge appréciera si la cessation doit être ordonnée ou si elle constitue une sanction disproportionnée 63. Toutefois, le juge de la cessation ne pourra ordonner de mesure positive, comme l’allocation de dommages et intérêts 64.
Nous ne pourrions, à ce stade de l’exposé, manquer de souligner, en suivant notamment F. De Visscher et B. Michaux, le caractère préventif de l’action en cessation. En effet, celle-ci “n’est pas exclue du fait que l’infraction ne serait qu’imminente, c’est-à-dire non encore consommée” 65. Selon les auteurs, d’après le prescrit légal, il faut, mais il suffit, que l’infraction soit au moins imminente pour intenter l’action. Il serait, selon cette conception, de la nature même de l’action en cessation d’être appliquée préventivement.
Outre l’action en cessation civile, la loi du 30 juin 1994 organise, à l’article 87, § 2, une action en dommages et intérêts dont la nouveauté réside dans la possibilité pour le juge d’ordonner une confiscation , au civil (alors qu’auparavant, la confiscation était l’apanage de la juridiction répressive), des objets contrefaits et des instruments ayant directement servi à commettre la contrefaçon. Cette “pénalité civile”, pour reprendre les mots de A. et B.Strowel!66 , est à valoir sur la réparation due au demandeur.

§3.Autres dispositions

a. Action en cessation commerciale

Depuis l’introduction par la loi du 30 juin 1994 de l’action en cessation civile et la reconnaissance des droits voisins, l’action en cessation commerciale, qui permet de sanctionner les actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale (la concurrence déloyale, par exemple), a perdu une partie de son attrait en matière de violation du droit d’auteur.
Elle demeure toutefois une solution idoine dans certaines hypothèses, notamment, selon les cas cités en guise d’exemples par A. Berenboom et F.
De Visscher et B. Michaux, lorsque l’acte contesté ne constitue pas une contrefaçon, mais la reprise d’une idée ou d’un concept, ou lorsque l’on cherche à incriminer le fournisseur de moyens : ce dernier ne commet pas de contrefaçon mais la favorise. Partant, il réalise un acte contraire aux usages honnêtes qui pourrait être incriminé par l’action en cessation commerciale 67.

b. Mesures douanières

Rappelées par F. De Visscher et B. Michaux 68 , les mesures douanières concernent les interventions des autorités de douane à titre conservatoire, dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon. Celles-ci sont compétentes pour intercepter et bloquer des marchandises de contrefaçon, des marchandises pirates et des marchandises portant atteintes à un brevet.
L’intervention a lieu généralement à la demande d’un requérant, mais est envisageable d’office. Dans ce dernier cas, les autorités douanières avertissent le titulaire du droit ou toute personne autorisée, à tout le moins le Procureur du Roi.
Les autorités douanières ne disposent d’aucun pouvoir sur le sort de la marchandise ; elles sont uniquement compétentes pour suspendre la mainlevée ou retenir la marchandise. Elles ne sont pas plus compétentes pour sanctionner les contrevenants.

C.- En guise de conclusion

Le cadre juridique tel que nous venons de le décrire symbolise les grands principes du droit d’auteur. Nous n’avons pu en dresser ici qu’un aperçu sommaire.
Nous pensons toutefois ne pas devoir nous étendre davantage sur les arcanes des développements juridiques ; la vision condensée proposée au lecteur autorise une approche transversale de la matière, tout en levant le voile sur certaines parties plus complexes de la discipline. Pour approfondissement, nous renvoyons le lecteur aux références sub-paginales qui jalonnent l’ensemble de ce travail.
L’organisation de la protection du droit d’auteur en Belgique se révèle un amalgame savamment échafaudé sur des bases historiques, actuelles, doctrinales et jurisprudentielles. Si l’étendue de la protection s’avère, à notre sens, être l’atout majeur de la loi du 30 juin 1994, celle-ci a répondu à cette nécessité en entourant l’auteur de prérogatives et de moyens de organiser effectivement la destinée de ses œuvres. D
e même en est-il de l’artiste ou du producteur de phonogrammes, dont le travail créatif est reconnu et protégé au même titre que l’œuvre originale.
Par ailleurs, l’ensemble des mesures prévues par la loi belge semble assurer aux titulaires des droits les moyens juridiques d’en garantir la protection. En disposant de sanctions relevant pour partie du droit commun, pour partie de la loi particulière, et en associant aux mesures civiles le cachet pénal, le législateur a réaffirmé le caractère unique du droit d’auteur parmi les matières qui font l’objet d’un souci légistique.
Il s’agit à présent d’examiner comment l’arsenal juridique déployé est reçu par le public de la nouvelle société de l’information, dont le statut passif de consommateur s’est progressivement mué, grâce à l’avènement des nouvelles technologies, en une position d’ambivalence face au processus de mondialisation des échanges et au mode d’inclusion dans la configuration sociale émergeante.
En effet, il semble que le consommateur devienne de plus en plus acteur de sa propre consommation, acteur auquel on demande d’opérer des choix dans les produits consommés (culturels, alimentaires…) et dans leur mode de consommation, (notamment, pour ce qui nous concerne, dans le choix de l’option licite ou non).

Droit d’auteur & Criminologie

“Dans [le] contexte contemporain, la démarche de la criminologie apparaît résolument neuve. Elle vise à analyser suivant une méthode scientifique – c’est-à-dire objective – le fait social que constitue la criminalité ainsi que la personnalité des auteurs de crimes. Elle tend également à l’amélioration des procédures de prévention et de contrôle de la délinquance”, PICCA G., La criminologie, Que sais-je ?, n°!2136, Paris, P.U.F., 1996, Introduction (p.4).
Les prolégomènes de la première partie de ce travail étaient nécessaires à la bonne compréhension du propos qui va suivre : par le cadre légistique qu’ils établissent, ils situent à la fois l’enjeu et la complexité du droit d’auteur entendu au sens juridique. Ils laissent entrevoir également certaines brèches dans l’application des prescriptions légales à la réalité pratique du droit d’auteur.
C’est de cette adéquation que nous allons à présent discuter, en exposant plusieurs situations qui posent le problème du respect des prérogatives de l’auteur et de l’artiste, à travers les actes de piraterie musicale, qu’il soit question de piratage ou de contrefaçon.
Nous entrons par là-même de plein pied dans l’aspect criminologique de cet écrit et de la réflexion qui en découle ; en effet, pour cerner les circonstances des violations au droit d’auteur et leur ancrage contextuel, il convient d’opter pour une approche pragmatique et de chausser ce que G.Kellens décrit comme la “paire de lunettes”, la “grille de lecture des conduites humaines” que constituent la criminologie et son principal objet d’étude, le crime 1.
Cet angle d’attaque nous conduira en premier lieu à percevoir la réalité des atteintes au droit d’auteur d’un point de vue plus sociologique que la vision qui ressort uniquement des textes législatifs (section première) ; de cette observation, qui prend en considération l’incidence des nouvelles technologies (A.-), découlera une typologie des délinquances en la matière et des motivations potentielles des infracteurs (B.-). Pour conclure cette section, une série d’hypothèses susceptibles d’expliquer le passage à l’acte seront exposées (C.-).
Dans un second temps, compte tenu du tableau des infractions et des motivations ainsi dressé, l’attention se centrera plus spécifiquement sur les stratégies de protection du droit d’auteur et des droits voisins (section seconde). Nous y sensibiliserons le lecteur à l’action d’organismes chargés de faire respecter les droits des auteurs et des artistes en pratique (A.-), avant de s’attarder plus avant sur les stratégies prophylactiques qui ont cours en la matière, ou pourraient y être transposées (B.-).
En perspective, une réflexion sur l’acceptation des risques et leur gestion viendra clore cette section, et plus généralement la partie criminologique de ce travail (C.-).
Lire le mémoire complet ==> (Piratage et contrefaçon : Approche socio-criminologique des violations au droit d’auteur et aux droits voisins en matière musicale)
Travail de fin d’études en vue de l’obtention du diplôme de licencié en criminologie
Université de Liège – Faculté de Droit – École de Criminologie Jean Constant

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