Les NTIC et les droits d’auteur et voisins en matière musicale

§2.Incidence des nouvelles technologies
a. Présentation générale de la problématique
Il est incontestable que l’avènement de ce que l’on appelle aujourd’hui les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (N.T.I.C.) ainsi que, plus généralement, le passage à la Société dite de l’information ont bouleversé la perception classique du droit d’auteur et des droits voisins, et ont changé la configuration du problème. De nombreux auteurs parlent, au sujet de l’accélération des performances technologiques ces dernières années, de véritable révolution 30. Approcher la complexité de cette réalité dans le cadre du présent travail n’est pas aisé, pour deux raisons au moins :
• d’une part, en ce qui concerne notre sujet spécifiquement – la matière musicale -, M.Chion insiste d’emblée sur ce qu’“aucun art traditionnel n’a été autant bouleversé, dans sa nature et dans ses modes de pratique et de communication, par les nouveaux médias et par les technologies d’enregistrement, de retransmission et de synthèse que ne l’a été la musique” 31
. En effet, qu’il s’agisse des techniques de prise de son, de traitement et de modulation de celui-ci, ou des méthodes et supports de restitution, l’ensemble du procédé de création du produit fini a connu une évolution tendant vers une qualité toujours plus affinée.
• d’autre part, l’essor que connaissent les nouvelles technologies dépasse largement le seul secteur musical. L’électronique et l’informatique constituent ce que nous considérons comme un phénomène universel et globalisant.
Réalité universelle, le développement informatique prenant ses racines dans les années 1960 a connu une véritable explosion internationale depuis les années 1990 : l’Internet est né et, surtout, s’est démocratisé, entraînant un gommage des frontières matérielles. Permettant un accès quasi instantané à des informations ou à des particuliers en provenance de l’autre bout de la terre, l’Internet s’est indéniablement répandu et constitue désormais un moyen de communication comparable au téléphone ou au courrier postal.
L’informatique est également un phénomène globalisant, dans la mesure où cette science n’est plus cantonnée au domaine de la recherche. Corollaire de l’universalité, l’informatique et l’Internet se sont vulgarisés, en proposant de plus en plus de services susceptibles d’intéresser – à tout le moins, de concerner – un nombre croissant d’utilisateurs ou de consommateurs. Le journaliste Y.Thiran l’évoque de la façon suivante : “schématiquement, la chronologie du réseau se résume à deux périodes séparées par une lente transition. L’Internet des chercheurs, puis celui des marchands” 32. Tout le secteur de l’informatique et de l’électronique s’est en effet progressivement mis au service des activités les plus hétéroclites, pour le meilleur et pour le pire… Et en l’espèce, le domaine musical n’a pas été en reste, loin s’en faut.
b. Numérique et Internet
Un rapport français, riche d’enseignements et très instructif, portant sur le droit d’auteur et l’Internet 33 précise que “le numérique est une technique permettant la transcription de l’information. Sa force réside dans ce qui pourrait être appelé sa capacité de « dissolution » : tout contenu, quelle que soit sa forme, peut être décomposé, réduit et conservé. Son intérêt réside dans sa capacité de restitution : toute réduction peut faire l’objet du processus inverse de reconstitution, à l’identique, du contenu originel. A cette alchimie du contenu, le réseau Internet ajoute la magie de l’ubiquité : l’abolition des distances, la rapidité de communication, la facilité de transport permettent au contenu d’être ici et ailleurs” 34.
En autorisant, par la numérisation, la réduction de toute œuvre à une série de nombres (c’est ainsi que se produit la “dissolution” évoquée ci-dessus ; nous parlerions volontiers de dématérialisation), et surtout en rendant possibles sa circulation et sa reconstitution en bout de processus, la révolution technologique conduit à percevoir autrement la notion de copie : “la nouveauté radicale [des nouvelles techniques] réside sans doute dans la qualité de la copie, qui inciterait plutôt à parler de « clonage » de l’œuvre” 35.
Le rapport ajoute qu’un autre versant de la nouveauté de la technologie numérique est la facilité 36 : facilité de conservation des données ou des œuvres (puisqu’elles ont été réduites à une suite de nombres, leur volume en est fortement diminué), facilité de consultation (l’informatique permet d’accéder instantanément à un mot ou à une phrase – le titre d’une chanson, par exemple!- parmi plusieurs milliers de pages), facilité de reproduction (s’agissant des œuvres musicales, leur duplication et leur reproduction à l’identique sur un nouveau support s’avèrent aujourd’hui aisées, alors qu’elles supposaient autrefois un travail long et fastidieux 37 ) et enfin la facilité de mixage (l’œuvre étant “dissoute”, pour reprendre les termes du rapport, rien n’interdit, grâce à la célèbre fonction “copier-coller”, de n’en reproduire qu’un fragment et de l’insérer au sein d’une autre création).
S.Dusollier, pour sa part, souligne en ces termes que : “la numérisation et la mise en réseau d’œuvres est désormais à la portée de tout un chacun qui peut devenir du jour au lendemain un éditeur de contenus informationnels et culturels. La copie est facile, rapide, de bonne qualité et sa communication est potentiellement mondiale et illimitée” 38. Cette explication décrit bien les raisons qui font que le marché de la musique ait été infesté de la sorte par la contrefaçon et les copies illicites ; il en a toujours souffert, mais il doit livrer, à l’heure de l’Internet et de la société de l’information l’un de ses plus importants combats…
En premier lieu, l’on est en présence, avec l’Internet et le réseau, d’un vecteur de communication, ce qui signifie que l’on est amené à y trouver le “contenu informationnel et culturel” auquel fait allusion S.Dusollier. Ce contenu est obligatoirement, par nature, un produit relevant de plus en plus de la culture de masse, puisque l’Internet se répand chaque jour davantage. Le domaine musical ne pouvait être épargné par le raz-de-marée, dans la mesure où, aujourd’hui, selon les mots de G.Guillotreau : “la musique est par nature un produit culturel de masse, consommé sur un mode universel” 39.
Dans un second temps et compte tenu de l’actualité, l’on peut sans peine affirmer que la mise à disposition de contenu musical en ligne n’est pas sans poser quelques problèmes. Si l’intention première de ce travail était de ne pas traiter ce volet particulier du thème général, il serait insensé de ne pas aborder cette réalité 40. Nous nous en tiendrons toutefois à une approche globale, un survol, l’objectif étant de situer conceptuellement le problème plus que de s’appesantir sur les difficultés particulières qu’il engendre du point de vue juridique.
Relevons encore, avant d’entrer complètement dans la problématique de la diffusion de musique en ligne, que la technologie numérique et l’Internet, irrémédiablement liés du point de vue de notre préoccupation, ne sont pas uniquement synonymes de danger ou de condamnation des œuvres. Le rapport français précité y insiste : “chaque innovation s’est accompagnée de l’apparition d’une nouvelle forme d’art” 41 ; ainsi sont nées la création d’œuvres en réseau par plusieurs artistes, les expositions en ligne ou les œuvres interactives. Il serait donc réducteur, poursuit le rapport, de présenter la relation entre le réseau et l’auteur d’œuvres de l’esprit exclusivement en termes de risque, en occultant l’apport potentiel du réseau à la création elle-même 42.
c. Illustration de la piraterie musicale sur l’Internet : le cas Napster
Comme il vient d’être signalé, il était difficile d’aborder la présente section de ce travail sans y associer le désormais historique Napster. En même temps, l’exemple que constitue cette affaire symbolise tout l’enjeu de la diffusion de musique en ligne, et illustre parfaitement l’incidence du numérique qui vient d’être décrit. Nous considérons donc qu’il est utile de rappeler la teneur du “cas Napster” pour mieux cibler le problème.
Au préalable, il est bon de rappeler que le MP3 est un format de compression, abréviation de “Motion Picture Experts Group, Audio Layer 3”, qui permet de réduire de dix à douze fois la taille d’un fichier sonore d’origine pour en créer une copie dont la qualité avoisine celle du CD. Une aubaine pour la transmission en ligne… Il est toutefois important de garder à l’esprit ce que soulignent fort justement Th.Verbiest et É.Wéry : “en tant que norme technique, le MP3 n’est donc pas licite ou illicite par nature : c’est la manière dont on s’en sert qui peut être licite ou illicite” 43.
Concernant précisément l’utilisation qui est faite du MP3 sur le Net, on remarque que s’il s’est avéré relativement facile de mettre un terme à l’activité illicite des sites qui proposaient directement le téléchargement de fichiers musicaux au format MP3, comme ce fut le cas pour le site www.mp3.com 44 , la particularité du système mis en place par Shawn Fanning, le fondateur de Napster, a rendu ce cas plus complexe à appréhender. En effet, à la différence des sites qui mettent à disposition le contenu illicite, Napster n’est qu’une interface : il s’agit d’une application, d’un logiciel, à l’instar d’un traitement de texte ou d’un tableur, qui fonctionne selon le mode du “peer to peer” (ou P2P) 45 , c’est-à-dire en reliant directement des disques durs à d’autres disques durs. Ainsi, les fichiers MP3 situés sur le disque dur d’un utilisateur de Napster sont répertoriés dans le “fichier central” de l’application et accessible à tout autre utilisateur du programme, dont le contenu MP3 du disque dur est lui aussi mis à disposition des autres internautes reliés au système.
Contrairement à MP3.com, qui gardait une version de chaque titre pour permettre le téléchargement à l’infini, “le système Napster n’impliquait pas la moindre duplication directe par Napster et il ne conservait pas davantage ses propres archives musicales” 46. Napster facilitait donc la copie et enfreignait le droit de reproduction mais surtout de communication au public et de divulgation des auteurs et exécutants, sans pour autant être le détenteur de la version servant à la copie, celle-là étant localisée sur le disque dur d’un des utilisateurs.
Le succès d’un outil comme Napster ne peut être nié. Les utilisateurs étaient quotidiennement plus nombreux, de même que le répertoire musical disponible 47. Selon la firme de recherche Internet Webnoize, le pic de téléchargement estimé via Napster représentait environ 2,8 milliards de chansons échangées, au cours du mois de février 2001 48 !
Aussi ingénieux soit-il, Napster a fait l’objet de poursuites de la part des cinq “majors” de l’industrie phonographique (EMI, Universal, BMG, Warner et Sony) ; plusieurs artistes se sont également élevés contre la violation de leurs droits que perpétraient les utilisateurs de Napster. Après un procès rocambolesque, les concepteurs de l’application furent reconnus responsables (“contributory liable”) au titre de la tierce complicité : S.Dusollier explique que le juge américain a considéré que Napster permettait difficilement des utilisations non illégitimes eu égard au droit d’auteur (“capable of substantial non infringing uses”) 49.
Si l’on peut penser que “sous un régime européen de responsabilité, la solution serait sans doute identique bien que fondée sur d’autres bases” 50 , la problématique qui s’est formée autour de Napster interroge en réalité sur la notion de copie privée, qui constitue une exception aux droits patrimoniaux de l’auteur, au titre de reproduction des œuvres sonores et audiovisuelles dans le cercle de famille, comme nous l’avons vu 51.
Cette exception reste difficilement viable telle quelle depuis l’avènement du numérique, puisque “la numérisation permet, à partir des sites visités, de ne pas se contenter de la consultation des documents, mais de se les approprier en les « téléchargeant », ce qui signifie techniquement importer, au moyen de voies téléphoniques, la série numérique de données et la recopier intégralement sur la mémoire de son ordinateur. L’œuvre y est alors « physiquement » présente, certes sous sa forme numérisée, mais utilisable à volonté” 52. L’œuvre est donc dupliquée, à partir du point de téléchargement, vers le disque dur de destination, ce qui signifie que le fournisseur et le récipiendaire détiennent, en bout de processus, chacun une copie de l’œuvre, qui se retrouve littéralement “clonée”, comme écrit précédemment.
On n’accentuera pas plus ces notions mais l’on rappellera simplement, d’une part, que la notion de copie privée est l’un des enjeux majeurs du droit d’auteur à l’ère numérique et que, d’autre part, Napster n’est qu’un prélude : l’évolution des systèmes “peer to peer” a conduit à la connexion directe (sans même plus passer par un fichier central) des disques durs des utilisateurs entre eux. Entre autres systèmes fonctionnant de la sorte, on peut mentionner Gnutella, Freenet, Audiogalaxy ou KazaA, qui rendent la tâche de contrôle et de répression encore plus ardue, “puisqu’il faut alors se diriger en cas de poursuites directement vers les utilisateurs. D’où l’importance de définir le plus précisément possible la notion de copie privée”, comme le signale A.Strowel 53.
Lire le mémoire complet ==> (Piratage et contrefaçon : Approche socio-criminologique des violations au droit d’auteur et aux droits voisins en matière musicale)
Travail de fin d’études en vue de l’obtention du diplôme de licencié en criminologie
Université de Liège – Faculté de Droit – École de Criminologie Jean Constant

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