La nature juridique et la preuve de la faute parasitaire

La nature juridique et la preuve de la faute parasitaire

Chapitre premier :

Les conditions de recevabilité de l’action en responsabilité civile pour faits de parasitisme

Parce que la théorie du parasitisme n’est que l’extension du droit commun de la responsabilité civile, la sanction des actes parasitaires suppose dès lors la réunion des trois éléments dont l’article 1382 du Code civil infère la présence et le constat, en l’occurrence l’existence d’une faute (I), mais aussi celle d’un dommage ou préjudice ainsi que d’un lien de causalité, c’est à dire de cause à effet, entre celle-ci et celui-là (II).

I) La traditionnelle caractérisation de la faute parasitaire

Le principe est clairement admis : il ne suffit pas, pour qu’il y ait parasitisme condamnable juridiquement, qu’une personne physique ou morale tire profit de la renommée acquise et / ou des efforts déployés par telle ou telle autre personne, encore faut-il que ce soit de manière illégitime, ce qui implique qu’une faute soit commise.

Si la question se révèle très délicate dans la mesure où l’auteur de l’acte de parasitisme ne commet aucune infraction aux lois et aux conventions de telle sorte que l’acte parasitaire est par hypothèse licite, l’observation de la jurisprudence ne laisse pourtant subsister aucun doute sur le caractère malhonnête et donc fautif des faits de parasitisme : « Un tel comportement parasitaire est fautif… », « Constituent des agissements parasitaires permettant de caractériser une faute… »…

Sur le fondement de l’article 10 bis de la Convention de Paris de 1883 aux termes duquel constitue un acte de concurrence déloyale « tout acte contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale », la jurisprudence a donc pour « mission » de sanctionner tout acte excédant l’exercice normal de ce principe fondamental qu’est celui de la liberté du commerce et de l’industrie : ainsi les juges semblent-ils trouver dans le caractère abusif des agissements du « parasite » et dans le non-respect par celui-ci des règles du marché le fondement de leur action.

Si le principe de la liberté du commerce et de l’industrie implique en effet corollairement l’exercice d’une libre concurrence, cette liberté trouvera néanmoins dans le parasitisme de la notoriété ou des investissements matériels et / ou intellectuels d’autrui l’une de ses principales limites.

Si la clientèle – il est vrai – ne peut faire l’objet d’aucun droit privatif, étant – selon l’expression bien connue de M. Paul Roubier – « à qui sait la conquérir et la prendre » 258, il s’agit toutefois pour chaque opérateur économique de s’abstenir, dans le cadre de cette conquête de la clientèle, de toute déloyauté à l’égard des tiers concurrents ou non concurrents.

Ainsi la faute réside-t-elle ici dans le caractère déloyal de l’acte accompli par tel ou tel opérateur économique à l’égard de tel ou tel autre, déloyauté qu’il reviendra aux tribunaux d’apprécier.

Le parallèle peut alors à nouveau être fait avec le droit commun de la responsabilité civile où l’unité traditionnelle de mesure de la faute sera, ainsi que le rappelle M. Le Tourneau 259, celle du « bon père de famille », ‘‘image’’ idéaliste qui – transposée au domaine du parasitisme – conduira à prendre en considération le comportement qu’aurait adopté – face aux faits de chaque espèce – le « bon professionnel » du secteur d’activité en cause : le juge, par une appréciation in abstracto de la faute, se demandera en effet ce

qu’aurait fait un bon professionnel, la grande latitude ainsi laissée aux tribunaux dans l’appréciation de ce qui est « bon » ou non imposant toutefois la plus grande prudence, faute dont il nous faudra préciser la véritable nature (A) et les modalités de preuve (B).

A) La nature de la faute parasitaire

Si l’action engagée par tel ou tel commerçant pour faits de parasitisme est donc nécessairement fondée sur la faute de son auteur, la question s’est rapidement posée en doctrine et en jurisprudence de savoir si celle-ci doit impérativement être intentionnelle ou si une simple faute non intentionnelle peut suffire.

Ainsi l’interrogation portait-elle sur le caractère nécessaire ou facultatif de l’intention de nuire ayant pu guider dans ses actes la personne du parasite.

Si la licéité du dommage concurrentiel, largement admise, interdit de voir dans la faute la violation d’un devoir général de ne pas nuire à autrui, la faute constituerait pour certains, et notamment pour M. Louis Josserand, un abus de droit, ce qu’a clairement refusé d’admettre M. Paul Roubier pour qui les critères de l’abus de droit dégagés par la jurisprudence à propos du droit de propriété étaient ici inapplicables : « Ni l’intention de nuire, ni le motif illégitime ne nous permettent de caractériser la responsabilité encourue » disait-il avant d’ajouter qu’« En effet, il ne faut pas dire que le concurrent qui se livre à des manœuvres […]est guidé par une intention malicieuse et le dessein de nuire à autrui : c’est bien au contraire exclusivement en vue de ses propres intérêts qu’il agit […] ; ce ne sont pas du tout les motifs de ses actes qui sont en cause, ce sont exclusivement les moyens qu’il emploie ».

Si nous pourrions parler avec Mme Izorche, plus que d’un abus de droit, d’un « abus de liberté » 260, celle de la concurrence, il est de toute façon patent que les tribunaux ont largement suivi, sur ce point, l’opinion de M. Roubier.

La preuve ne s’en est d’ailleurs pas fait attendre puisque la Chambre commerciale de la Cour de cassation est en effet venue, dès le 18 Avril 1958, juger que « la faute peut être retenue en l’absence même de tout élément de mauvaise foi, de tout élément intentionnel » 261.

Cette jurisprudence qui donc écarte toute considération relative à l’intention sera par la suite régulièrement consacrée, pouvant à ce titre être cité l’arrêt rendu par cette même chambre le 26 Avril 1994, arrêt aux termes duquel « L’action en concurrence déloyale suppose seulement l’existence d’une faute, sans requérir un élément intentionnel » 262.

La jurisprudence ne s’attache donc plus à l’intention, exigeant seulement que soit démontrée l’existence d’une faute : « L’action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du Code civil, lesquels impliquent l’existence d’une faute commise par le défendeur et également celle d’un préjudice subi par le demandeur » 263.

De même qu’en matière de concurrence déloyale, la jurisprudence est à de multiples reprises venue sanctionner les agissements du parasite indépendamment de toute intention malicieuse manifestée par ce dernier, pouvant notamment être rappelée ici la célèbre affaire « Baccarat » dans laquelle la Chambre commerciale de la Cour de cassation est en effet venue sanctionner la cristallerie qui, en s’établissant à proximité de la fameuse « Compagnie des cristalleries de Baccarat », avait – selon elle – « entendu, ne serait-ce qu’inconsciemment, sans intention de nuire à la Compagnie et de la concurrencer, profiter de la renommée dont celle-ci a fait bénéficier la ville de Baccarat en tant que cité cristallière » 264.

Une autre illustration de cette possible absence de tout élément intentionnel peut être donnée avec la jurisprudence relative aux personnes « parasites malgré elles » qui adoptent en totale bonne foi comme nom commercial ou dénomination sociale, pour l’exercice de leur activité, leur nom patronymique dans l’ignorance de ce qu’il a déjà été déposé par autrui pour l’exercice d’une activité similaire, le parasitisme résidant alors dans la possible confusion susceptible de naître dans l’esprit de la clientèle…

259 Le Tourneau (P.), J.-Cl. Concurrence – Consommation, Fasc. n° 227, spéc. n° 91.

260 Izorche (M.-L.), Les fondements de la sanction de la concurrence déloyale et du parasitisme, RTD Com.1998, p. 17 et s., spéc. n° 41.

261 Cass. Com. 18 Avril 1958, D. 1959, Jur. p. 87, note Derrida F.

262 Cass. Com. 26 Avril 1994, Bull. civ. 1994, IV, n° 151.

263 CA Versailles 8 Déc. 1994, D. 1995, Somm. p. 261, obs. Serra Y.

264 Cass. Com. 17 Mai 1982, Baccarat, Bull. civ. 1982, IV, n° 180, p. 157 ; RTD Com. 1982, p. 553, obs. Chavanne A. et Azéma J.

L’étude pratique des multiples facettes du parasitisme nous aura cependant permis de constater qu’au delà de la théorie, aux termes de laquelle l’intention de nuire du parasite est donc purement facultative, l’acte parasitaire – qu’il concerne la notoriété ou les investissements du parasité – sera le plus souvent volontaire, le parasite cherchant tout à fait consciemment à s’insérer, à vivre « dans le sillage » du tiers concurrent ou non.

Cette mauvaise foi latente du parasite constituera d’ailleurs régulièrement pour les tribunaux comme une sorte de « roue de secours », la mise en évidence de cette mauvaise foi leur permettant en effet de prononcer la condamnation de celui-ci alors même qu’aucun préjudice avéré n’aura pu être établi et qu’aura seulement pu être constatée la possibilité d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle : les juges, en effet, ont trouvé dans le risque de confusion qu’ils sont susceptibles d’engendrer le moyen de sanctionner au titre du parasitisme les agissements du commerçant dont la volonté de nuire n’est pourtant pas établie…

Ainsi les juges, conformément au droit commun de la responsabilité civile, axent-ils leur décision sur la preuve de la faute – intentionnelle ou non – commise par la personne du parasite.

B) La preuve de la faute parasitaire

Tout comme l’action en concurrence déloyale, l’action en parasitisme suppose que soit rapportée par la victime des agissements déloyaux la preuve de leur commission, cette exigence ayant toutefois conduit doctrine et jurisprudence à s’interroger sur le point de savoir s’il était envisageable de fonder cette action sur une présomption de responsabilité.

Cette question, qui s’est d’abord posée en matière de concurrence déloyale, a toutefois reçu au sein même de la jurisprudence des réponses divergentes.

En effet, si la Chambre commerciale, après moultes hésitations 265, estime aujourd’hui qu’il n’y a point à rechercher si des faits pris dans leur ensemble forment un « faisceau de présomption » de faute dès lors que l’action en concurrence déloyale – et par extension l’action en parasitisme – est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil et non sur une présomption de responsabilité 266, la Chambre civile de la Cour de cassation a quant à elle pu considérer qu’un « faisceau de présomptions » d’une action concertée pour s’approprier une clientèle pouvait suffire à la sanction de celle-ci au titre de la concurrence déloyale 267.

Ainsi, si M. Serra – au sein d’une doctrine tout aussi divergente – paraît rejoindre l’opinion de la Chambre commerciale en considérant qu’il est souhaitable d’affirmer que l’action en concurrence déloyale repose sur une responsabilité pour faute prouvée et non sur une présomption de responsabilité, l’opinion de la Chambre civile semble en revanche avoir les faveurs de M. Le Tourneau qui considère en effet, sur le fondement de l’article 1353 du Code civil, que peut parfaitement être admis comme preuve un faisceau de faits de parasitisme 268, hypothèse dans laquelle la responsabilité – dit-il – « n’est pas pour autant présumée » et « reste pour faute prouvée » : ainsi, si le Tribunal de commerce de Paris n’a pas hésité à relever expressément « un faisceau de faits » déloyaux 269, la Cour d’appel de Paris n’a quant à elle pas hésité à considérer que des « éléments convergents » révélaient le comportement parasitaire fautif du défendeur 270.

265 Cf notamment, en sens inverse, Cass. Com. 23 Oct. 1967, Bull. civ. 1967, III, n° 336.

266 – Cass. Com. 30 Nov. 1983, Bull. civ. 1983, IV, n° 331, p. 287. – Dans le même sens : Cass. Com. 7 Nov. 1984, Bull. civ. 1984, IV, n° 301 – 3 Janv. 1985, Bull. civ. 1985, IV, n° 2 ; Cass. Soc. 30 Avril 1987, Bull. civ. 1987, V, n° 236 ; D. 1988, Somm. p. 213, obs. Serra Y.

267 Cass. 1ère Civ. 29 Oct. 1985, Bull. civ. 1985, IV, n° 275.

268 Le Tourneau (P.), Le bon vent du parasitisme, Contrats – Conc. – Conso., Janv. 2001, Chron. n° 1, p. 4 et s.

269 Trib. Com. Paris 14 Mai 1986, Expertises 1986, p. 188, cité par M. Le Tourneau in J.-Cl. Concurrence- Consommation, Fasc. n° 227, spéc. n° 92.

270 CA Paris 24 Mai 1995, Soc. Infodidact, D. 1996, Somm. p. 252, obs. Izorche M.-L.

Ainsi la faute intentionnelle ou non constitue-t-elle assurément, parce qu’est d’abord sanctionnée la déloyauté des moyens utilisés par le parasite pour attirer à lui et à lui seul la clientèle, l’élément central du raisonnement, élément dont le droit commun de la responsabilité civile interdit toutefois de dissocier le dommage ou préjudice à travers l’exigence du lien de causalité devant unir la faute et le dommage.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le parasitisme économique : passe, présent et avenir
Université 🏫: Université Lille 2 - Droit et santé - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur PETIT Sébastien

Monsieur PETIT Sébastien
Année de soutenance 📅: Mémoire - D.E.A. Droit Des Contrats Option Droit Des Affaires - 2001-2002
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