Pourquoi les médias ont-ils autant associé l’iPad à la presse ?

L’ART DU SERVICE – Partie 2 :
Tout le monde attendait iSlate ou iTablet, mais c’est iPad qui fut choisi pour désigner la tablette numérique d’Apple. Jamais un produit d’Apple n’a fait autant parlé de lui, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Les médias ont largement relayé la nouvelle, consacrant sujets télé, radio et autres articles de presse. Dans les 24 heures qui ont suivi la présentation de l’iPad par Steve Jobs, la couverture médiatique de l’évènement a été exceptionnelle, exemple en chiffres : 75342 articles de presse sont parus dans les journaux, 25600 sur Internet, les télévisions y ont consacré 1,9 million de minutes de temps d’antenne (soit presque 4 années), selon l’étude d’Influence Communication. Pour le président de cette institut « l’iPad fait partie des quelques très rares produits ou événements marketing qui n’aurait dans l’absolu, pas eu besoin de publicité commerciale puisque les médias se sont chargés ».
L’iPad a été présenté, testé, critiqué partout. Il suscite une opinion auprès de n’importe qui. Pour certains, il est révolutionnaire pour d’autres, ce n’est qu’un ordinateur domestique apprivoisé par Apple.
Dur d’avoir une opinion neutre. Soit l’iPad est un superbe support numérique pouvant pratiquement tout faire soit il est le fruit d’une stratégie d’Apple. Il ne serait alors qu’une ultime déclinaison du concept à succès iPod + iTunes.
Et c’est l’objet de cette partie. Avec l’iPad, Apple propose des services où son intérêt est plus ou moins nuancé.
Chapitre I LE SAUVEUR DE LA PRESSE ?
S’il a autant fait parler de lui dans les divers médias, c’est la presse écrite qui détient la palme.
Pourquoi les médias ont-ils autant associé l’iPad à la presse ?
Ce n’est pas un outil fait spécifiquement pour la presse, ces fonctionnalités paraissent être portées davantage sur le multimédia. Pourtant, partout le même refrain, l’iPad va sauver la presse écrite, quel média sera sauvé par l’iPad, merci Apple, etc. Or, à y regarder de plus près, rien ne laisse présager qu’il va sauver quelqu’un et encore moins la presse écrite.
Malgré cela, la presse insiste. Et ce, parce qu’elle en a besoin. Cette bonne vieille presse rêve d’une renaissance, et érige en sauveur l’iPad. La presse est un vieux média qui a besoin de se doter d’une image assez technologique et l’iPad est parfait pour ça. En laissant penser que la presse va être sauvée par l’iPad, on l’encourage à faire une couverture de presse démesurée sur la sortie de l’iPad. C’est un bénéfice considérable pour Apple. Pour la presse, ça reste à voir.
Section I — Pourquoi un tel besoin ?
Si aujourd’hui, la presse écrite a besoin d’un sauveur, c’est parce elle meurt. Un Fahrenheit 451 à grande échelle est en train de se produire en France52. Ray Bradbury avait imaginé un monde sans livres, dominé par les écrans. Il n’avait pas prévu qu’il serait sans les journaux. Or dans quelques années, les journaux n’existeront plus et tout ça à cause du numérique.
Aujourd’hui, il n’existe pas un seul quotidien en France qui ne soit pas en déficit. Tous perdent de l’argent, à l’exception de l’Equipe, des Echos et du Parisien. L’effondrement de la publicité, la désaffection des lecteurs, et les difficultés à trouver un modèle sur Internet sont autant de raisons qui laissent penser que le pire est à venir.
En 2 décennies, la presse aura connu 3 crises publicitaires majeures : en 1993-1994 avec la première guerre du Golfe, en 2001 après l’éclatement de la bulle Internet, et depuis la fin 2008 avec la crise financière. A chaque fois, il y a eu un décrochage des recettes publicitaires de 20 à 25%53. Et la publicité n’a jamais retrouvé ses niveaux d’avant. Aujourd’hui, ce qui est nouveau, c’est que les annonceurs vont sur Internet et ne reviennent pas forcément sur le papier. Si aujourd’hui la presse écrite est en crise, c’est parce qu’elle n’a pas trouvé le bon modèle économique.
Soit la technologie servira à cette crise et ce sera là une solution, soit l’inverse se produira et la technologie mettre fin au passé. Dans Fahrenheit 451, la sauveuse se prénomme Clarisse.
Sous sa belle ligne, l’iPad est aujourd’hui vu comme une « Clarisse » potentiel.

52 SCHWARTZENBERG E., Qui veut la mort de la presse quotidienne française ?, Calmann-Lévy, 2007, p.8.

53 Propos tenus par Bertrand PECQUERIE, Directeur du WORLD EDITORS FORUM.
Section II — Une mise à niveau couteuse
La gratuité, culture originel d’Internet, avait été désigné comme futur sauveur de la presse. Elle permettait d’obtenir des revenus publicitaires sans aucunes dépenses au préalable. La seule distribution de l’information sur la Toile suffisait. Or avec le temps, cet espoir s’est distillé dans la mesure où les principaux acteurs n’ont jamais réussi à inventer un modèle économique autour d’Internet.
Avec l’iPad, ces acteurs ne veulent pas réaliser les mêmes erreurs et envisagent un modèle. Ou plutôt subisse un modèle (explications plus tard).
Alors qu’une étude montre que les gens sont prêts à débourser seulement 3€ par mois pour lire la presse, comment le système mise en place autour de l’iPad peut être rentable pour les éditeurs de presse ?
Aujourd’hui, la presse est vu comme un média qui ne doit pas être payé sur le numérique. Quand Murdoch fait le pari du tout payant sur ces sites Internet, les éditeurs français pratiquent l’art du « fremium ». On donne d’abord aux gens une version dupliquée de la « home page » d’un site sur iPad. Et dans le même temps, on crée une version enrichie mais payante.
Et cette version se doit d’être attractive. Elle doit donner un « plus » à l’utilisateur.
D’un point de vue économique, produire des contenus pour le web n’est pas très cher. En revanche, avec l’iPad, il faut créer une certaine séduction à travers un service innovant et là, les dépenses pour les éditeurs de presse sont assez élevées. Les applications ne doivent pas être un vulgaire PDF amélioré mais doivent apporter une valeur ajoutée. Un nouveau mode de consommation est en train de naître. L’iPad avec ses caractéristiques tactiles fait revoir la façon dont est consommer l’information, les éditeurs de presse vont chercher à présenter l’information afin qu’elle soit disponible et esthétique. Un critère qui peut paraître choquant car on parle ici d’information.
Les éditeurs doivent s’adapter sur ce nouveau support afin d’ouvrir de nouvelles perspectives. Les journaux vont devoir produire des photos et de la vidéo mais ils ne savent pas le faire, ce qui va induire des coûts supplémentaires. . L’iPad va servir à la concentration des médias, c’est-à-dire au passage de partenariats entre eux.
Tout le monde se rejoint sur l’idée qui tend à créer des équipes dédiées à l’iPad car cela permettrait de créer une véritable valeur ajoutée. Certes les éditeurs de presse sont prêts à s’engager sur l’iPad mais il ne faut pas qu’ils le fassent fictivement. Il ne faut pas que l’utilisateur de l’iPad soit satisfait d’une navigation sur le site internet du journal. Avant de raisonner en termes de gain, pour que les formules de presse soient totalement optimales par rapport à l’iPad, il va falloir une mise à niveau importante et coûteuse.
Des applications comme Wired54 montrent comment il est possible de repenser un magazine à partir du web et de focaliser l’attention du lecteur sur le contenu écrit et multimédia. Le Times a par exemple chargé une équipe de la Time Warner quant à la réalisation de leur application. Le journal devient totalement multimédia. Les articles peuvent être affichés sur une carte, et surtout, l’intégralité du contenu textuel est indexée, et peut être sélectionnée et partagée de diverses manières. Ajouté à cela de petites animations et du contenu interactif, et le magazine est réinventé pour le grand plaisir des usagers de la plateforme d’Apple. Une telle expérience pour l’utilisateur a un coût qui par mois s’élève à environ 20 euros ce qui est plus cher que la version papier. Mais l’expérience est inédite, innovante et enrichissante.

54 Magazine américain.

Section III — Apple garde la main
Il est possible de voir un espoir en l’arrivée de l’iPad et d’autres supports numériques dans la mesure où l’on assiste à un mouvement de convergence vers le payant. Exemple en France avec l’application du Figaro.
En supprimant les coûts de distribution et d’impression qui représentaient à peu près 40% du coût d’un journal, la presse peut voir un modèle économique s’installer. Or Apple prend sa part et perçoit 30% comme pour les livres et autres applications.
Malgré cela, la presse reste optimiste et ces 30% ne les touchera pas. Le fait de basculer vers un système fermé totalement propriétaire, non plus. Paradoxal, quand on sait que les patrons de presse se plaignent depuis des années de la lourdeur de la distribution de la presse en France et qu’ils qualifient ce système d’archaïque alors qu’avec le numérique ils entrent dans le même schéma, configurée par Apple autour de l’iPad. Les éditeurs se retrouvent en quelque sorte prisonniers d’Apple. En accordant un pouvoir aussi énorme à une firme, on assiste sans doute à une situation préoccupante en termes de démocratie pour la presse. D’autant plus que la maitrise technologique va devenir considérable, et qu’il risque d’y avoir un glissement de la maîtrise éditoriale.
Cependant, on peut penser que la position hégémonique d’Apple ne va pas durer, tout comme les prix qu’elle impose, et sa part de 30%. Ce coût va mécaniquement baisser et les éditeurs s’y retrouver car il y aura d’autres plateformes comme Androïd. Avec un jeu de concurrence qui va s’organiser entre les fournisseurs de contenus, les logiciels et les plateformes, les prix vont baisser, y compris pour le consommateur.
L’iPad n’est pas un outil de substitution à la presse papier, c’est très important d’en avoir conscience car une vision un peu sommaire peut laisser penser qu’il y a un glissement vers le numérique à gérer et que progressivement on abandonnera le papier. Or aujourd’hui on sait que c’est totalement faux, le numérique n’est qu’une nouvelle strate d’expression ou de développement pour le contenu, c’est un complément, ça pourra générer des revenus additionnels. Et aujourd’hui, les prévisions que font l’association mondial des journaux, c’est qu’en 2015 le numérique ne représentera que 20% des revenus d’un quotidien, on est encore très loin de l’abandon du papier.
L’iPad est bénéfique pour la presse car pour la première fois on peut monétiser une plateforme digitale. Il faut imaginer que la presse dans 10 ans ça sera 3 plateformes, le papier, l’internet et les applications.
Le bénéfice pourra être plus important que s’il se greffe autour de ce système d’applications-presse une régie publicitaire.
Lire le mémoire complet ==> (L’iPad ou l’hypermédia au service d’Apple)
Mémoire Master Professionnel « Droit des médias »
Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

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