iAd et AdMob : la guerre entre Apple et Google

Un combat juridique – Section III :
Où manque la force, le droit disparaît; où apparaît la force, le droit commence de rayonner.60
§ 1 — Des données qui valent chers
Apple est fort, très fort !
Parmi tous les heureux possesseurs d’iPhones 4, 3GS, iPod Touch et/ou iPad, se cache un point commun. Hormis une attirance prononcée pour les « iGadgets » de la firme à la pomme, tous possèdent le même système d’exploitation, en l’occurrence iOS4. Rien de très affolant sauf que c’est un sujet extrêmement important pour un grand nombre d’annonceurs.
A un moment de l’installation du nouvel OS ou de l’achat de l’iPad (ou iPhone4), un contrat a été proposé à l’usager sur iTunes afin de savoir s’il souhaitait accepté la collecte des données personnelles. Sans doute pressé d’utiliser l’objet des désirs, un clic machinale sur « j’accepte » a entrainé la suite qui suit61. Avec cette autorisation de collecte des données personnelles, l’utilisateur contribue à enrichir la base de données d’iAd dans le but de se voir proposé des publicités très ciblées.

60 Maurice Barrès dans La grande Pitié des églises de France
61 En rentrant l’adresse suivante dans Safari, vous désactivez ce profilage, http://oo.apple.com

Grâce au savoir-faire acquis avec Genius62, Apple sait manipuler des données en masse pour en tirer des profils utilisateurs. Elle fait la même chose avec les données recueillies pour iAd, et est capable de cibler des sous-populations très réduites. Parce qu’elle a le contrôle sur sa plateforme, et la connaît comme personne, Apple peut faire des frappes « chirurgicales ». Avec ce profilage, Apple dispose d’une arme marketing absolue : une quantité inégalée d’informations personnelles sur les 150 millions de personnes qui, dans le monde ont déjà acheté l’un de ses terminaux mobiles. De leur adresse à leurs goûts musicaux ou cinématographiques sur iTunes en passant par les applications qu’ils ont téléchargées ou leur géolocalisation, Apple met à disposition une base de données unique dans le nouveau monde numérique afin de « profiler » au mieux leurs messages sur iAd.
« Apple sait ce que vous avez téléchargé, combien de temps vous avez passé dans les applications et sait même quelles applications vous avez téléchargées puis supprimées », explique Rachel Pasqua, directrice des activités mobiles de la société de marketing ICrossing et travaillant avec Apple sur iAd.
Un exemple pour illustrer ces propos.
Pour sa dernière campagne Men+Care, Dove cible les hommes mariés avec enfants âgés d’une trentaine d’années. Apple ne partage pas les données mais Unilever, la maison-mère de Dove, peut choisir dans quel type d’applications et en face de quel public apparaître, et Apple fait le reste. Ce type de publicité ultra-ciblée sert d’appui aux campagnes plus traditionnelles et moins ciblées (télévision, affichage, etc.).
L’avenir de la pub est au « targetting »63 et plus au ciblage de masse.
Et aujourd’hui, on peut se poser la question suivante : Google n’a-t-il pas intérêt à faire passer par son service AdMob des publicités sur iAd ?

62 Genius collecte les informations relatives à la bibliothèque iTunes de l’usager pour ensuite lui proposer des achats de musique en fonction de ses goûts.
63 Anglicisme du mot « target » qui signifie cible

§ 2 — 3.3.9 ou la clause anti-Google
L’histoire entre Google et Apple peut se résumer de la sorte : d’abord allié, aujourd’hui adversaire.
Google est entré dans le marché de la publicité mobile avec l’acquisition en 2009 du service AdMob. Avec iAd, Apple attaque Google sur son nouveau marché. Voilà donc un nouveau terrain de concurrence après la bataille qui oppose leurs systèmes d’exploitation, iOS pour Apple et Androïd pour Google. On peut même se demander si ce n’est pas, après tout, qu’une simple attaque.
Explications.
Google a déclaré la guerre à Apple avec son système Androïd sur le terrain de chasse réservé d’Apple, il est donc bien logique que désormais Apple organise sa défense. Steve Jobs avait déclaré lors de la sortie d’Androïd : « Nous ne sommes pas entrés dans le business des moteurs de recherche et ils sont entrés dans celui de la téléphonie sans se cacher de vouloir créer un iPhone killer. Nous ne les laisserons pas faire »64. C’est donc tout naturellement qu’Apple se défend. Et il n’est pas meilleure défense que l’attaque ! iAd et le récent achat de Poly9 ne sont sans doute que des réponses du Berger à la bergère…
Apple a rédigé des règles très précises quant aux sociétés pouvant diffuser des publicités sur ses produits. L’une de ces règles stipule notamment que seules les régies indépendantes peuvent utiliser les données sur les utilisateurs d’applications d’iPhone et d’iPad.
La collecte, l’utilisation ou la divulgation [des données] ne doit avoir pour seule fin que la distribution de publicités dans votre Application; elles ne doivent être fournies qu’à un fournisseur indépendant de service publicitaire dont l’activité principale est la distribution de publicités mobiles ( par exemple, un fournisseur de service publicitaire affilié ou appartenant à un développeur ou un distributeur d’appareils mobiles, de système d’exploitation mobile ou d’environnements de développement autre qu’Apple ne peut être qualifié d’indépendant) ; et la divulgation est limitée aux données de localisation de l’utilisateur, et à d’autres données spécifiquement désignées par Apple comme étant disponibles à des fins publicitaires.

64 Selon un article de John C Abell, Google’s ‘Don’t Be Evil’ Mantra Is ‘Bullshit,’ Adobe Is Lazy: Apple’s Steve Jobs

L’art de dire Google sans jamais prononcer son nom.
Pour résumer, les publicités ciblées ne peuvent être utilisées par des sociétés comme AdMob, qui n’a strictement rien d’indépendante, du fait de la présence de Google. Sachant que Google mise plus que tout sur le ciblage des publicités, cette nouvelle règle est une forme directe d’exclusion à son encontre, alors qu’AdMob est présent sur l’iPhone depuis longtemps. Apple rend donc le travail du service de publicité sur mobile de Google impossible sur iOS 4. Il semble qu’Apple soit décidée à faire tout ce qu’elle peut pour contrer les ambitions de Google, du moins sur sa propre plateforme. C’est aussi bien sûr un moyen pour iAd d’évincer des concurrents sérieux.
D’autre part, les données à même d’être transmises sont cette fois limitées nommément.
AdMob fait donc partie des régies non grata au sein de l’iAd. Elle pourra toujours utiliser les iPhones ou iPads pour afficher de la pub, mais sans avoir accès aux informations des utilisateurs. Si AdMob n’aurait pas été rachetée par Google, elle aurait accès aux données des utilisateurs et pourrait afficher de la publicité sans contrainte.
Cette opposition entre Google et Apple pourrait ne pas se régler uniquement avec des discussions. Il existe une forme de discrimination qui n’a pas échappé à l’autorité américaine de régulation de la concurrence, la FTC, qui s’intéresse de près aux pratiques d’Apple et pourraient lancer prochainement une enquête. Décidément Apple en prend l’habitude.
Conclusion
Avec l’iPad, la force d’Apple a été de ne pas proposer de technologie. On ne le répètera pas assez mais Apple n’a rien inventé. C’est le concours de plusieurs innovations en un appareil, devenu alors universel, qui a donné à cet outil un vent de fraîcheur. En effet, l’Archos 5, sorti en 2009, présentait déjà les caractéristiques de l’iPad, peut-être pas aussi optimales, mais en tout cas, ces deux appareils se rejoignaient dans l’utilisation qu’on pouvait leur attribuer.
On peut légitimement se demander pourquoi le modèle proposé par Archos n’a pas eu le même succès que celui offert par la firme à la pomme. Une réponse simple renverrait à l’Archos Store. Mais cette plus-value que représente un magasin d’applications n’existe pas. Sans Archos Store, la firme française ne peut donner un poids suffisant à son outil pour que ce dernier pèse sur le marché qu’il convoite. L’iPad possède quant à lui un AppStore qui attire les développeurs et favorise les idées d’interactions innovantes, et se donne ainsi du crédit auprès de la masse.
Apple a su créer un écosystème tout autour de ses appareils et c’est l’une des raisons pour laquelle cela fonctionne. Apple est la seule firme, aujourd’hui à faire à la fois le matériel, le logiciel et le circuit de distribution tout autour. Cela permet d’avoir une qualité d’expérience incomparable pour le consommateur.
Prenons l’exemple de HP65 :
Quand on s’appelle HP, qu’on va chercher son OS66 chez Windows Mobile, qu’on l’installe sur un produit qui est fait par HTC67, et qu’on vend ça par la suite à l’utilisateur, en le laissant voguer à la recherche de ses applications, c’est beaucoup plus compliqué que si l’on a iTunes, l’appareil et tout une série d’applications, film, liens avec la presse, jeux….

65 Hewlett-Packard, Entreprise d’informatique et d’électronique américaine.

66 Operating System, système d’exploitation.
67 High Tech Computer Corporation, entreprise spécialisée dans les produits de types assistants personnels et téléphones mobiles, taïwanaise.
Tout comme Nespresso, qui a créé un écosystème qui repose sur trois piliers : des machines à faire le café, des dosettes, un réseau de distribution propriétaire, Apple a créé le sien.
Un écosystème consiste à performer de façon intégrée dans plusieurs domaines a priori très différents mais qui créent conjointement un univers où le client se trouve comme un poisson dans l’eau68. Avec l’AppStore, Apple a ouvert l’accès à son terminal aux développeurs du monde entier qui peuvent très facilement programmer des applications. Au premier trimestre 2009, plus d’un milliard d’applications ont ainsi été téléchargées. Un terminal, un logiciel, un monde d’applications : Apple a créé un écosystème « iPad », issu lui-même de l’écosystème iPhone.
Cependant, en créant cette plateforme, Apple détient un monopole. Ajouté à ça, une politique restrictive concernant l’écriture des applications, et vous trouverez des moyens d’attaquer Apple. Or la firme américaine n’est pas en situation de monopole avec sa tablette. En revanche la situation d’iTunes est bien plus préoccupante, car avec l’iPod, Apple détient les trois quarts du marché du lecteur MP3.
L’avenir d’Apple est désormais aux mains de la FTC et de la Commission Européenne vu le nombre de contentieux où la firme de Cupertino est inquiétée. De la technologie Flash, aux conditions imposées aux développeurs, au monopole d’iTunes, tout va y passer mais cela prendra du temps. Beaucoup de temps !
Apple peut donc voir l’arrivée de l’Automne sereinement, et récemment il se murmure qu’une nouvelle version de l’iPad serait prête pour Noël. Une version qui change de taille. L’iPad, version hiver serait plus petit et disposerait d’une taille de 7 pouces.

68 DE BODINAT H., La stratégie de l’offre : Gagner la crise et l’après crise, Broché, 2009, p.245.

L’iPad marque plus qu’un changement de support. Le passage du papier à l’électronique marque un changement de culture celle du web, de l’hypertexte et de la convergence.
MacLuhan disait que les nouveaux médias nous changent et changent le monde. Sans doute n’avait-il pas tort.
Lire le mémoire complet ==> (L’iPad ou l’hypermédia au service d’Apple)
Mémoire Master Professionnel « Droit des médias »
Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

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