4) Croissance de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

L. Cadin,5 expose dans l’un de ses ouvrages que les années quatre vingt dix furent marquées par le développement de la notion de compétences. La raison de ce développement s’explique en grande partie par l’incertitude croissante de l’environnement.

Ainsi, il est devenu nécessaire pour les entreprises d’être flexibles et cette flexibilité passe par des salariés « capable de traiter l’imprévisible »5, comme l’explique P. Zarifian6 : « Le travail, en particulier celui des opérateurs, est passé de la routine contenue dans l’exécution des tâches prévues et ordonnées, au traitement d’un événement que constitue tout aléa ou toute panne dans un dispositif souvent très automatisé. ».

On comprend donc bien que le salarié ne doit maintenant plus se contenter seulement d’exécuter des tâches mais il doit aussi être capable de mobiliser son savoir, savoir faire et savoir être pour être à même de faire face à toutes les situations qui se posent à lui.

De même, toujours d’après L. Cadin5, le développement de la notion de compétence tient aussi au fait que les entreprises depuis le début des années quatre-vingt dix se tourne beaucoup vers la notion de satisfaction du client.

Ainsi, les salariés au-delà de respecter les règles et d’exécuter les tâches, doivent également faire preuve d’un comportement exemplaire vis-à-vis des clients. Ils doivent être capables d’improviser pour répondre aux demandes des clients. Par conséquent, l’introduction de cette idée de comportement, est l’élément qui distingue la qualification, de la compétence. On comprend donc bien au vue du développement de la notion de compétence, qu’il n’est alors plus possible d’anticiper, de prévoir les emplois seulement au niveau quantitatif.

D’ailleurs comme l’expose L. Cadin5, l’introduction de la notion de compétence a permis de faire évoluer la gestion prévisionnelle vers une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, par le fait qu’elle est indépendante des caractéristiques de l’emploi, des postes et que par conséquent elle est plus facilement prévisible que l’évolution des emplois.

Ainsi, dès le début des années quatre-vingt dix en parallèle avec le développement de la notion de compétence, de nombreux accords collectifs furent signés sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. L. Cadin5, nous donne d’ailleurs les exemples de Renault et de son Accord à vivre en mille neuf cent quatre-vingt onze ou encore de la Société Générale en mille neuf cent quatre-vingt quatorze.

Mais, l’exemple précurseur reste celui de l’Accord A CAP deux mille d’Usinor Sarcilor, signé en mille neuf cent quatre-vingt dix dans le secteur de la métallurgie, qui est d’ailleurs l’un des premiers secteurs à s’être intéressé à la notion de compétences dès mille neuf cent quatre-vingt six.

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences étant née, a donc continué à se développer jusqu’à devenir une obligation légale en deux mille cinq, la présentant un peu comme un outil « miracle », l’arme anti- licenciement par excellence.

5 Cadin L ., « De la gestion de l’emploi à la gestion des compétences », in L. Cadin, Gestion des Ressources Humaines-Pratiques et éléments de théorie, éditions Dunod, 2004, p 118-121

6 Zarifian P., Le travail et l’événement, Paris, L’Harmattan, 1995

5 Cadin L ., « De la gestion de l’emploi à la gestion des compétences », in L. Cadin, Gestion des Ressources Humaines-Pratiques et éléments de théorie, éditions Dunod, 2004, p 118-121.

5) La GPEC, une obligation légale : caractéristiques, outils, controverses

Selon le hors série de Liaisons Sociales3, avant d’arriver à cette loi de deux mille cinq, il est intéressant de noter que l’état s’est penché à travers l’histoire à plusieurs reprises sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Dès les années quatre-vingt, alors que l’emploi en France connaît de grosses difficultés (licenciements en masse), l’état se saisit du dossier « GPEC ».

Ainsi, en mille neuf cent quatre-vingt huit, le Premier ministre de l’époque (Michel Rocard), parle de la GPEC comme « une ardente obligation »3 lors d’un forum sur les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

De même, en mille neuf cent quatre-vingt neuf, une loi à propos du licenciement pour motif économique, qui fait clairement référence à la GPEC (« Le comité d’entreprise est chaque année informé et consulté sur les prévisions annuelles ou pluriannuelles sur l’évolution de l’emploi et les actions de prévention et de formation que l’employeur envisage de mettre en œuvre. »)3 est promulguée.

On comprend clairement que l’employeur doit prévoir l’évolution qualitative et quantitative des emplois de son entreprise et prendre des mesures pour les adapter au futur. Ainsi, en deux mille cinq le législateur a décidé de transformer la GPEC en obligation légale sous certaines conditions énoncées dans le hors série de Liaisons Sociales3.

Dans cette loi, il est notamment question, parmi d’autres points (négociation obligatoire sur les modalités d’informations et de consultation du comité d’entreprise, sur l’accès à l’emploi des séniors…), de rendre obligatoire la négociation tous les trois ans de la mise en place d’un dispositif de GPEC au niveau des entreprises d’au moins trois cent salariés et/ou des branches.

Cette obligation concerne également les entreprises ou groupes communautaires ayant au moins un établissement en France d’au moins cent cinquante salariés. Par ailleurs, toujours selon Liaisons Sociales3, il faut entendre dans la loi le mot « entreprise » au sens large, il s’agit « de toute institution employant du personnel et régie par le Code du Travail. »3 Il convient de noter comme l’évoque le hors série de Liaisons Sociales3, que cette négociation est une obligation de moyens et non de résultats.

En aucun cas, les entreprises ne sont obligées de conclure un accord. De même, le législateur ne donne aucune définition de la

GPEC, il laisse ainsi la liberté aux entreprises de mettre en place une GPEC qui correspond à leurs enjeux actuels et à leurs histoires. Ainsi, comme l’expliquent M Zuber et T Bothuan7 le législateur a travers cette loi a souhaité « révolutionner le dialogue social » et « transformer le rôle des organisations syndicales »7, c’est-à-dire que les entreprises doivent chercher à valoriser le personnel, le voir comme une ressources pouvant apporter une forte valeur ajoutée et doivent l’associer à la stratégie.

Tandis que les syndicats doivent chercher à préparer les salariés le plus possible aux changements futurs, c’est-à-dire par exemple les inciter à se former, leur apprendre à accepter la mobilité…

Le législateur n’ayant donné aucune définition, plusieurs auteurs ou même le monde juridique ont cherché à définir ce concept :

Pour P Gilbert8, la GPEC doit « répondre à trois questions » :

  • o « De combien de salariés aura-t-on besoin dans le futur pour pourvoir les emplois disponibles ? »
  • o « Quels sont les ressources humaines nécessaires pour survivre et prospérer ? »
  • o « Quelles actions conduire pour tenter de réduire de façon anticipée les écarts constatés entre les besoins et les ressources ou pour le moins d’en limiter les effets négatifs ? »

3 Liaisons Sociales Hors-série., La GPEC, Juin 2008

7 Zuber M, Bothuan T., « GPEC et sécurisation des parcours », Cadres-cfdt, n°425-426, 2007, p 65-72.

8 Gilbert P., La gestion prévisionnelle des ressources humaines, éditions Découverte, 2006.

3 Liaisons Sociales Hors-série., La GPEC, Juin 2008

Dans cette définition l’auteur prend comme point de départ l’évaluation des effectifs et des compétences qui seront nécessaires pour accomplir la stratégie de l’entreprise et insiste sur le fait que l’entreprise doit ensuite prendre des mesures pour pouvoir disposer de ses emplois et compétences qui seront nécessaires pour accomplir la stratégie.

Pour le milieu juridique,3 « La gestion prévisionnelle et préventive des emplois et des compétences, est la conception, la mise en œuvre et le suivi de politiques et de plans d’actions cohérents :

  • o Visant à réduire de façon anticipée les écarts entre les besoins et les ressources humaines de l’entreprise (en termes d’effectifs et de compétences) en fonction de son plan stratégique ;
  • o Et en impliquant le salarié dans le cadre d’un projet d’évolution professionnelle »

Dans cette définition, il est question d’allier le développement de l’entreprise avec celui des salariés. La GPEC permet ici à l’entreprise de mettre en œuvre sa stratégie tout en laissant aux salariés la possibilité d’avoir plus de visibilité sur les perspectives de carrières qui s’offrent à lui.

Bien sûr, au-delà de la définition, le législateur a surtout énuméré un ensemble d’outils à disposition des entreprises, leur permettant de mettre en œuvre la GPEC dont voici un panel :9

Afin de connaître l’ensemble des emplois de l’entreprise, le « référentiel des métiers »9 où les métiers peuvent être classés en catégories telles que « métiers en développement », « métiers sensibles »…

Pour assurer le suivi de la démarche GPEC, les entreprises peuvent recourir à une « commission GPEC »9 qui va se charger de suivre la mise en œuvre de la démarche et de proposer des améliorations de celle-ci ;

Pour développer la mobilité interne, les entreprises peuvent par ailleurs mettre en place des « entretiens professionnels »9 tous les ans ou tous les deux ans pour notamment connaître les aspirations futures des salariés en termes de postes, de carrières ou encore « le bilan de compétences »9 pour détecter des compétences ou potentiels pas encore connus chez certains salariés ;

3 Liaisons Sociales Hors-série., La GPEC, Juin 2008

9 Tual L., « Connaître les outils de la GPEC », Les Cahiers Lamy du CE, n°80, 2009, p 2-6.

Pour permettre aux salariés de se former, les entreprises peuvent utiliser le « Droit individuel à la formation »9 qui est un système mettant à disposition de chaque salarié vingt heures de formations par an en dehors du temps de travail et cumulable sur six ans dans la limite de cent vingt heures. De même, pour les salariés souhaitant faire reconnaître leurs expériences par un diplôme de l’état, il est possible de leur proposer « la validation des acquis d’expérience »9.

Les entreprises peuvent bien sûr utiliser d’autres outils. Ainsi dans son ouvrage F Stankiewicz10 en citent d’autres :

« La fiche de poste »10 ou fiche de fonction qui sert aux entreprises lorsqu’elles cherchent à connaître l’ensemble des compétences dont elles disposent à un instant t. Cette fiche résume pour une fonction toutes les activités que doivent réaliser les salariés occupant cette fonction. Il est question également dans cette fiche de faire apparaître la place dans la hiérarchie de celle-ci, le niveau de connaissances nécessaires (diplômes) et de faire apparaître ce qui est demandé aux salariés en termes de savoir, savoir faire et comportement ;

« La cartographie des emplois » il s’agit ici de rassembler tous les métiers identifiés dans les entreprises et de les placer sur une sorte de matrice à deux axes. On peut par exemple d’un côté sur l’axe vertical mettre le niveau de compétences demandées et sur l’axe horizontal mettre en pourcentage l’évolution des effectifs de ces métiers.

En résume, la démarche de GPEC, quelque soit sa définition ou les outils utilisés, se divise en plusieurs étapes comme l’évoque le hors série des Liaisons Sociales3 :

Il s’agit tout d’abord d’inventorier les effectifs et compétences existantes dans l’entreprise ;

Il faut ensuite par rapport à la stratégie que l’entreprise s’est définie pour les années à venir, voir les besoins en termes d’effectifs et de compétences qui seront nécessaires pour mener à bien cette stratégie ;

Il est ensuite nécessaire de comparer ce que l’entreprise possède à l’instant t avec ce qu’elle aura besoin à l’instant x ;

9 Tual L., « Connaître les outils de la GPEC », Les Cahiers Lamy du CE, n°80, 2009, p 2-6

10 Stankiewicz F., « Introduction », in F. Stankiewicz, GPEC dans un contexte imprévisible, 2010, p13-16.

3 Liaisons Sociales Hors-série., La GPEC, Juin 2008

Enfin il faut mettre en place des mesures pour répondre à ces besoins futurs.

De même, toujours selon Liaisons Sociales3, tous les acteurs de l’entreprise sont concernés par cette démarche, ils doivent donc être intégrés que ce soit des salariés, des supérieurs hiérarchiques, des représentants du personnel…

Cependant, malgré l’obligation légale qu’est devenue la GPEC, à l’heure actuelle, c’est encore un concept controversé. Il ne s’agit pas dans cette sous partie de dresser un bilan de l’instauration de la GPEC comme une obligation légale, mais il s’agit plutôt de voir que même lors de son instauration par la loi, le nom même de GPEC était encore discuté par bon nombres d’auteurs et de spécialistes.

Ainsi, comme l’explique F Stankiewicz10, le sigle lui-même de GPEC n’est pas reconnu à l’unanimité. En effet, certains spécialistes ajoutent le terme « effectif », ce qui devient la GPEEC (Gestion prévisionnelle des emplois, effectifs et des compétences), jugeant que de ne traiter que des emplois et des compétences est insuffisant. D’autres, parlent de « Gestion prévisionnelle des Ressources Humaines »10. Le mot « prévisionnelle » subit lui aussi des critiques puisque certains entendent par prévisionnel, le mot « extrapolation ».

La GPEC ne consisterait alors qu’en une simple reproduction dans le futur des tendances du passé, en aucun cas elle ne permettrait de se préparer à des moments de ruptures dans le futur ou à de gros changements.

De même, la GPEC instaurée en deux mille cinq est elle-même remise en cause, parlant depuis peu d’une nouvelle GPEC, d’une « GPEC rénovée »11 comme l’évoque A Labruffe. En effet, il présente la GPEC comme «le serpent de mer de la Gestion des ressources Humaines » c’est-à-dire une pratique qui revient très régulièrement et qui pourtant n’est que très rarement mise en place.

Toujours selon A Labruffe, la GPEC qui fut présentée un peu comme une arme « anti licenciement », cloisonnerait en réalité chaque salarié à un certain niveau de l’entreprise jusqu’à sa retraite sans tenir compte de l’évolution des compétences ou encore des évolutions technologiques.

A Labruffe ajoute d’ailleurs que la GPEC n’est en quelques sortes plus adaptées à notre monde en perpétuels mouvements puisque par exemple, elle « parle de postes fixes, alors que le monde du travail réclame des fonctions multiples et évolutives »11 ou encore, elle « envisage des métiers dont les définitions seraient inscrites dans le marbre pour l’éternité ».

Ainsi, A Labruffe propose de raisonner maintenant avec une « GPEC rénovée »11 qui ne serait en aucun cas opaque pour les salariés et qui ferait évoluer les compétences et donc les hommes via des prévisions sans cesse revues, quasiment au jour le jour.

La GPEC paraît donc être un concept sans cesse discuté et remis en cause principalement sur sa forme que sur le fond. En effet, pour pouvoir remettre en cause le fond de la GPEC instaurée en deux mille cinq, un bilan s’avère nécessaire, d’où le sujet de mon mémoire qui porte d’ailleurs ce bilan sur le secteur précurseur en matière de GPEC : le secteur de la métallurgie.

3 Liaisons Sociales Hors-série., La GPEC, Juin 2008

10 Stankiewicz F., « Introduction », in F. Stankiewicz, GPEC dans un contexte imprévisible, 2010, p13-16.

11 Labruffe A., « Les compétences au cœur d’une GPEC rénovée », in Labruffe A, GPEC, pour une stratégie durable et adaptable, Afnor éditions, 2008, p 1-12.

Ainsi, avant même de parler de bilan, il s’avère indispensable de resituer tout d’abord le secteur de la métallurgie et la naissance de la GPEC dans ce secteur.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Gestion prévisionnelle des Emplois dans le secteur de la métallurgie
Université 🏫: Université de Reims Champagne-Ardenne - Faculté des Sciences Economiques, Sociales et de Gestion
Auteur·trice·s 🎓:
Marie Amélie Cloez

Marie Amélie Cloez
Année de soutenance 📅:
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