L’iBookstore, les livres électroniques et les éditeurs

Une relation formatée – Section III :
Apple a besoin des éditeurs pour sa plateforme tout comme eux ont besoins du canal de distribution que leur offre la firme américaine. Mais qui a le plus à perdre ? Est-ce Apple, ou les éditeurs ? En imposant certaines règles, Apple formate leurs activités et les contrôle. Conscient de sa puissance et de sa quasi hégémonie (seule la plateforme d’Amazon semble aujourd’hui en mesure de concurrencer l’iBookstore), Apple est en position de force. Il ne reste plus qu’aux éditeurs à trouver les bonnes méthodes afin de pouvoir exister et de passer la transition numérique de la meilleure des manières.
§ 1 — L’iBookstore
L’iPad avec son application iBooks se présente comme le parfait modèle de livre électronique. Afin d’attirer les éditeurs, Apple n’a pas dérogé à la règle et a quasiment repris le même modèle qu’il utilise pour les applications de l’iPhone disponible sur l’Apple Store (AppStore).

28 Nous parlerons dans cette section des éditeurs de livre, les relations avec les éditeurs de presse seront discutées plus tard.

A — Un monopole construit
Apple propose des contrats de mandats. En clair, les maisons d’éditions restent propriétaire de leurs œuvres et les vendent au prix qu’elles souhaitent. En contrepartie Apple prend 30% sur ce prix. Ce modèle se distingue par rapport à celui d’Amazon qui rachète en gros les ouvrages aux maisons d’éditions et peut alors se permettre de casser les prix lors de la vente en ligne sur amazon.com. Le modèle proposé par Apple semble préserver les intérêts des éditeurs. En utilisant la même recette que celle pratiquée dans le monde de la musique, Apple tente d’étendre son monopole.
Lors de la sortie de l’iPad en France, certains éditeurs, satisfait par les conditions proposées par Apple sont apparus dans l’iBookstore : Grasset, Harlequin, Albin Michel et Eyrolles. Au contraire d’autres éditeurs qui eux s’estimèrent lésés. Chez Gallimard on argue « [d’] un désaccord avec les conditions contractuelles de l’exploitation » des ouvrages numériques par Apple. Pour les sceptiques qui ne croient pas en l’iBookstore, sachez qu’il existe une application Kindle pour iPad, qui vous donne alors accès au 450 000 livres vendus par Amazon29.
B — Conditions pour éditeurs
Attention Apple exerce un contrôle sur tous ce qui est véhiculé par son AppStore dont iBooks. Elle dispose d’un droit de regard qui frôle parfois la censure. Apple impose les mêmes critères, ou plutôt le même critère que ceux ou celui qu’elle utilise pour son AppStore. En effet, la firme de Cupertino a fait de la « pornographie » un combat. Erigeant en Saint Graal, sa bataille contre la pornographie, Apple retire tout ce qui y ressemble. Bien que ce soit un principe hautement respectable, la définition attribuée au terme pornographie par Apple est extrêmement inexacte. Ainsi, pour eux, toutes scènes de nudité entre dans la définition, et donc doit être censuré. Une bande dessinée en a payer le prix. Sang royal30, une BD, à caractère épique, a vu plusieurs de ces planches mutilées, par des cases blanches où l’on pouvait voir un sein, une fesse. On ne peut dès lors plus parler de protection mais de censure.

29 Il est plus malin d’acheter ses livres pour iPad à travers l’application Kindle, puisque les livres pour Kindle peuvent être lus sur de nombreux appareils alors que les iBooks sont lisibles uniquement sur l’iPad

Mais il n’existe pas que cet exemple. Pour permettre à la majorité d’avoir accès à ces livres, une adaptation en bande dessinée de l’œuvre de James Joyce Ulysse, a été réalisée. Le problème est que le livre contient des scènes de nudité, et même une scène où le personnage principal, Leopold Bloom, se masturbe sur une plage pendant un feu d’artifice. Ulysse ou pas, Apple applique alors sa politique. Puisque tout contenu jugé pornographique est non grata sur les terres de Cupertino, la bande dessinée a été interdite de l’AppStore. Berry, le créateur de cette adaptation en bande dessinée numérique l’explique ainsi : « bien que le premier chapitre du livre, celui actuellement sur iTunes, ne contienne aucun langage corsé, notre BD contient bien de la nudité frontale. Nous pensions que nous pourrions couvrir ça avec des feuilles de vigne ou en les pixellisant, mais même ça est interdit par la politique d’Apple. Donc nous étions obligés d’abandonner le projet ou de changer nos pages ». Une version retravaillée avec des « blancs » a été, par la suite publiée. Provoquant un immense débat, Apple a attendu le « Bloomsday »31, pour autoriser la version originale de la bande dessinée « Ulysse Seen », incluant donc la représentation graphique d’un sexe masculin. Il semble qu’après cet épisode, Apple ait décidé de traiter les contenus matures ou incluant de la nudité « au cas par cas ».
Il est peut-être temps qu’Apple commence une réflexion sur la définition de la pornographie et de la liberté d’expression.

30 Illustrations en Annexe.
31 Tous les16 Juin a lieu la journée internationale de célébration du roman Ulysse de James Joyce.

§ 2 — Livres électroniques et éditeurs
A — Le modèle Apple
Le principal reproche réside dans les prix prohibitifs proposés par les éditeurs français.
Pourquoi maintenir les mêmes prix que l’édition papier alors que le coût est moindre ?
Le prix des livres numériques présents dans l’iBookstore est fixé en fonction du prix du livre papier. Alors que certains éditeurs (Hachette Livre) trouvent raisonnable une différence de prix de l’ordre de 20 à 25% par rapport à la version papier, d’autres ne veulent rien entendre. Payer entre 10 et 20 euros pour un livre électronique peut paraître énorme alors que les coûts de production et de diffusion de l’ouvrage sont, semble-t-il moins importants que pour un ouvrage papier.
Le modèle proposé par Apple semble être juste. S’attribuer une part de 30% sur le livre vendu laisse une grande marge de manœuvre aux éditeurs. Après tout, ces 30% sont tout à fait légitime dans la mesure où Apple propose un canal de distribution et une vitrine fantastique aux éditeurs. C’est donc aux éditeurs eux-mêmes de se mettre rapidement d’accord sur le modèle à employer à l’avenir.
B — Un avenir incertain
Le livre se définit comme un ensemble de feuilles, rassemblées en cahiers, portant des signes, et destiné à être lu. C’est sur cette base qu’est rédigée la loi de 1981 sur le prix unique du livre (dite Loi Lang), qui interdit aux revendeurs de faire plus de 5% de réduction32 sur le prix public défini par l’éditeur. A l’heure actuelle, comme l’eBook n’est pas considéré comme un livre, la loi Lang ne s’applique pas. On peut donc trouver un livre numérique bradé sur Amazon et beaucoup plus cher sur l’iBook Store.

32 « Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur », Article 1 de la Loi n°81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre.

Par ailleurs, comme le livre électronique n’est pas (encore) un livre, la TVA appliquée est à 19,6% et non à 5,5%. Il serait donc urgent que la loi sur le prix unique et sur la TVA des produits culturels s’applique non plus à l’objet, mais au contenu. La TVA à 19,6% est l’une des raisons qui fait que l’eBook ne peut pas être vraiment moins cher que son équivalent imprimé.
Par ailleurs, les auteurs de BD tentent quant à eux de négocier leurs droits numériques et certains auteurs de romans refusent de voir leurs livres numérisés. Le passage au numérique semble donc être un véritable casse-tête pour les éditeurs. A eux de prendre les décisions nécessaires et de ne pas louper le coche.
Il est nécessaire que le modèle économique du secteur change. Car aujourd’hui, les éditeurs français sont entrain de suivre les traces laissées par les industriels du disque au début de l’internet. Continué à vendre au même prix que l’édition papier, le livre électronique, ne fera pas décoller l’eBook. Alors qu’ils n’ont ni frais d’impression, de distribution et de stockage à débourser.
C’est donc aux acteurs du secteur de s’adapter…ou de disparaître.
D’après le dictionnaire de l’académie française, un livre est un « assemblage de feuilles manuscrites ou imprimées destinées à être lues ». Aujourd’hui, cette appellation semble obsolète tant les frontières de la littérature ont été dépassé. Est-ce que le lecteur lis toujours lorsqu’il visionne un eBook avec une vidéo intégrée ? S’agit-il vraiment de lecture ?
Avec l’iPad, cette frontière s’est agrandie, de telle sorte que la lecture n’est qu’une caractéristique parmi tant d’autres.
Lire le mémoire complet ==> (L’iPad ou l’hypermédia au service d’Apple)
Mémoire Master Professionnel « Droit des médias »
Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

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