Le mode d’organisation des dispositifs de formation
5.4.2. Le mode d’organisation des dispositifs de formation : une place variable accordée à l’implication de professionnels intervenants
Il s’agit ici d’essayer de repérer la densité des relations établies avec le milieu professionnel visé par le dispositif à travers la fréquence et la variété des situations pédagogiques mettant en relation élèves et professionnels intervenants, l’intensité des contacts établis par le responsable du dispositif de formation dans le milieu professionnel visé, la nature des activités qui servent de support à ces relations, etc. Nombreuses sont les façons d »articuler » milieu professionnel et public en formation.
Cela a pour résultat un degré variable d’intégration de ce dernier dans des réseaux professionnels : interventions dans la formation, participations aux jurys de sélection ou aux jurys de mémoire, accueil et encadrement de stages, manifestations de type colloque ou conférence d’ouverture, travaux documentaires ou d’études réalisés pour des professionnels et intégrés dans le cours de la formation (ateliers), rencontres et échanges conviviaux lors de petits déjeuners-débats165, etc.
Cela a permis de caractériser les types d’organisation de chacun de ces dispositifs vis-à-vis du monde du travail, leur forme d’articulation au milieu professionnel visé.
Formation A. Bonne articulation, stabilisée, au milieu professionnel à l’initiative du responsable soutenue par les élèves
- implantation conséquente dans une faculté parisienne réputée depuis 1985
- grande articulation avec le milieu professionnel à travers de nombreux intervenants (nombreux séminaires et TD)
- épreuves de sélection à l’entrée dans le dispositif avec une implication forte des professionnels
- le dispositif accueille 21% de professionnels en formation continue
- une association des anciens élèves, très active, fonctionnant sur le modèle des grandes écoles et à laquelle le responsable est très attentif, gère la maintenance des contacts entre les différentes promotions (fichier des anciens mis à jour tous les ans), et les relations avec les employeurs et le milieu professionnel (fichier pour les stages et les recherches d’emploi)
- dans l’ensemble, les relations avec les employeurs sont peu formalisées et sont centrées sur le choix des intervenants professionnels par le responsable et complétées par quelques manifestations
- le responsable du dispositif de formation est lui-même amateur d’art contemporain et impliqué sur ce marché
Formation B. Articulation forte, stabilisée et permanente avec le milieu professionnel
- longue implantation dans une faculté parisienne depuis 1982
- jurys de sélection à l’entrée dans le dispositif impliquant des professionnels
- des temps forts rituels pendant le déroulement du cursus : manifestation annuelle d’ouverture en début d’année, petits déjeuners-conférences associant élèves et professionnels…
- échanges et rencontres réguliers avec des intervenants professionnels au cours des nombreux séminaires, conférences, travaux dirigés et rapports d’étude collectif en cours d’année
- fonctionnement quotidien et hebdomadaire très articulé aux rythmes propres du secteur audiovisuel, façon d’assurer une mise à jour permanente vis à vis d’un secteur aux comportements spécifiques et aux évolutions très rapides
- accueille 17% de professionnels en formation continue
- forte intégration et reconnaissance du responsable du dispositif de formation dans le milieu professionnel ; il assure l’essentiel des contacts avec ce milieu
- pour son responsable, si l’enseignement théorique a son importance, l’évaluation se fait principalement sous forme de contrôle continu, et la rédaction d’un rapport de stage (tâche jugée trop académique) n’est pas nécessaire.
Formation C. Articulation assez récente avec le milieu professionnel, non stabilisée, mais disposant de gros moyens
- implantation récente (1990) dans une grande école de management de province
- associée à une grande fondation spécialisée du secteur culturel
- articulation au milieu professionnel « naissante » gérée à travers un support médiatisé (fichier), rendue plus ardue par un recrutement européen, même s’il est très organisé (annonces, mailings, sollicitation régulière des anciens et des intervenants)
- les relations avec le milieu professionnel sont gérées très activement par une personne, adjointe du responsable, dont c’est la tâche principale ; l’outil principal est un fichier tenant régulièrement informé les contacts du dispositif de son fonctionnement, complété par les rencontres se produisant à l’occasion des stages, des soutenances, ou de quelques interventions.
- organisation pédagogique avec tutorat en entreprise (missions de conseil, évaluation par un jury de professionnels) facilitant les rencontres, mais en dehors du dispositif
- aide au placement préparé selon le même mode, surtout sollicitatif
- accueille 44% de professionnels en formation continue
- des changements répétés de responsable occasionnant une certaine déperdition du capital de contacts personnalisés
Formation D. Une immersion permanente et stabilisée dans le milieu professionnel
- implantation dans une grande métropole de province (1988)
- création à l’initiative d’une agence professionnelle du secteur culturel de stature nationale (formation, conseil…)
- gestion conjointe université et organisme professionnel spécialisé du secteur culturel
- organisation concrète très articulée à la pratique professionnelle de l’organisme associé, une grande part des enseignements se déroulant dans les locaux de l’agence
- jurys de sélection assurés par l’agence professionnelle
- nombreuses situations pédagogiques impliquant des professionnels (tutorat)
- les relations avec le milieu professionnel sont par ailleurs bien organisées et largement structurées par la pratique et l’implantation professionnelles de l’agence
- ce dispositif accueille une part conséquente de professionnels en formation continue (70%), son fonctionnement le situant délibérément au sein du milieu professionnel166
- l’initiatrice est un des piliers de l’agence professionnelle et a eu pendant très longtemps la charge de développer l’activité de formation au sein de l’agence ; le responsable universitaire partage totalement son goût pour l’engagement de terrain, tout en restant ferme sur la nécessité des contenus académiques.
Ils sont tous les deux toujours en place, ayant développé par ailleurs (en 1995) un projet de licence et de maîtrise professionnelles.
166 À noter que la part de ces professionnels en formation continue a été réduite depuis avec une part croissante d’étudiants en formation initiale provenant des filières mises en place.
Formation E. Une articulation moyenne sans implication réelle dans le milieu de travail visé
- Implantée dans une université de province depuis 1983
- Articulation revendiquée au milieu professionnel par l’intermédiaire d’un centre de recherche spécialisé sur le domaine
- En dehors du choix par le responsable de quelques intervenants assurant des conférences en amphithéâtre (plutôt que des séminaires…), peu de contacts organisés avec des professionnels
- Les contacts avec le milieu professionnel sont assurés via une information régulière dans les publications du centre de recherche dont ils sont destinataires
- Les contacts plus personnalisés dépendent du réseau diffus de quelques anciens
- Le mémoire est considéré comme un premier acte de recherche, et conditionne fortement l’obtention du diplôme ; la qualité de leur mémoire autorisant une équivalence avec le diplôme d’études approfondies, un ou deux élèves sont d’ailleurs conviés chaque année à entrer de manière dérogatoire en doctorat dans le centre de recherche du responsable du dispositif
- Elle accueille 22% de professionnels en formation continue
- La dimension université-recherche constitue la référence principale de ses responsables
Ces cinq dispositifs de formation se distinguent selon leur degré d’articulation au milieu professionnel : trois d’entre eux (A, B et D) sont organisés en fonction d’une grande proximité avec le milieu professionnel tandis qu’à l’opposé l’un d’entre eux (E) offre une articulation au milieu professionnel plutôt moyenne et très appuyée sur les travaux du centre de recherche auquel il est associé et leur diffusion.
L’espace de référence spontané de leurs responsables est clairement le milieu professionnel pour les dispositifs B et D ; bien que plus discrètement affiché, c’est aussi celui du responsable du dispositif A.
Le responsable du dispositif C, pour sa part, affiche délibérément une référence au milieu de l’université et surtout de la recherche comme garant de son bon fonctionnement.
Précisons toutefois que parler d »opposition » entre des modes d’organisation est certes un peu caricatural. Mais il s’agit de montrer ici comment la conception d’un dispositif de formation universitaire professionnelle hésite toujours entre deux mondes, celui, naturel, dont il est issu (ainsi que ses responsables), et le monde professionnel visé, parfois bien connu et situé à proximité, parfois fantasmé et tenu à distance…
C’est une dichotomie qui apparaît quand on se pose la question « qui forme pour qui ?« . Derrière ces conceptions se cachent de notre point de vue des modes d’organisation aux effets très différents quant à l’accès des étudiants au monde professionnel visé.
Enfin, le dispositif (C) a été classé dans une situation intermédiaire : c’est une formation récente qui présente les signes d’une articulation certaine (et voulue) au milieu professionnel sans l’être cependant au niveau des dispositifs A, B et D, du fait de la jeunesse de son développement, de l’enjeu de sa référence à un milieu professionnel d’envergure européenne qu’on pourrait qualifier d »éclaté », et de la discontinuité de sa direction, autant d’éléments qui rendent plus ardue son intégration à des réseaux professionnels bien identifiés.