Le cheminement des étudiants avant l’entrée dans les formations
5.3.3. Le cheminement des étudiants avant l’entrée dans les formations
Afin de mieux identifier les trajectoires individuelles à la sortie de ces formations, il a paru utile de connaître le parcours antérieur de ces anciens étudiants.
Le passage dans ces dispositifs de formation a été considéré comme une étape de leur parcours individuel, qui ne prend sens qu’au regard de leur projet (voire même du niveau d’existence de celui-ci), des contraintes et des opportunités qu’ils rencontrent.
Le sens subjectif accordé par les étudiants eux-mêmes va dépendre de leur situation de vie : horizon ouvert sans objectif clair, élément d’un parcours programmé en vue d’un objectif précis, reconversion ou reconnaissance professionnelle…
Il s’agissait ainsi de resituer cette étape dans leur cheminement individuel et de l’analyser comme une articulation entre une logique de trajectoire propre à l’individu et une logique propre au dispositif de formation lui-même.
Premier point, les formations suivies antérieurement à l’entrée dans les cinq dispositifs ont été observées. Il existe d’une manière générale une assez grande mobilité à l’intérieur de l’université, voire au sein de l’enseignement supérieur, au moment du passage de second en troisième cycle.
Celle-ci est alimentée par un fort désir de poursuite d’étude, même pour les titulaires de diplômes autonomes, clairement professionnels et directement « monnayables » sur le marché du travail : ainsi, selon l’enquête de Martinelli et Vergnies (1995), 28% des diplômés d’écoles supérieures de commerce en 1992 ont poursuivi des études, dont 1/5 en 2nd cycle universitaire, 2/5 en Dess/Magistère et seulement 15% en 3ème cycle d’école de commerce. Ce phénomène se retrouve pour les formations étudiées ici.
Le fait de suivre une formation de troisième cycle ne correspond pas forcément à l’image du parcours de formation d’un seul tenant et dans la même filière, c’est à dire comme année terminale d’un cursus de cinq années poursuivi dans une discipline dans laquelle on se spécialise au fur et à mesure du passage dans les cycles supérieurs. Nous verrons que ce n’est le cas qu’en partie seulement ici.
Second point, un autre type de public est susceptible de suivre ces formations, puisqu’elles sont aussi accessibles à des professionnels disposant d’une expérience de plus de trois ans en général et titulaires d’un diplôme de niveau bac+2 au minimum, cas qui concerne les dispositifs étudiés pour une bonne part (cf. la présentation des formations).
Ces formations (Dess, Mastère) à visée très professionnelle, si on les oppose par exemple au DEA, se situent ainsi autant dans le champ de la formation initiale que dans celui de la formation continue, accueillant des personnes relevant de l’une ou l’autre logique.
Dernier point, nous avons cherché à identifier l’exercice par les étudiants d’une activité professionnelle ou amateur dans le secteur culturel, préalablement à l’entrée dans les dispositifs étudiés.
Ceci devait traduire une mise en contact préalable des élèves avec un milieu professionnel, des réseaux relationnels, etc., susceptibles de faciliter ensuite l’accès à un emploi dans le domaine culturel.
Par ailleurs, du point de vue d’un dispositif de formation, l’importance relative parmi les professionnels en « re-formation » de ceux provenant du secteur culturel est en elle-même une marque de son implantation dans ce secteur en tant que marché.
Ceci a amené à distinguer des professionnels déjà présents dans le secteur culturel, des professionnels hors du secteur culturel effectuant une reconversion professionnelle ou une formation continue en cours d’emploi, des étudiants enchaînant le 3ème cycle dans un parcours composé quasi uniquement de formation, certains ayant pu réaliser un premier engagement sous forme amateur dans le secteur culturel.
5.3.3.1. Des formations antérieures extrêmement variées
L’analyse156 porte séparément sur les niveaux et les spécialités (tableaux 8a, 8b et 9, annexe 4). Les formations strictement universitaires ont été séparées des autres (écoles de commerce, d’ingénieur ou institut de science politique) dont l’insertion est généralement plus favorable pour un nombre d’années d’études équivalent (Martinelli 1994).
Le premier résultat frappant est que l’entrée avec un bac+4 n’est le fait que de 3/4 des entrants sur les cinq dispositifs de formation.
Se trouvent, selon les cas, des entrées de professionnels avec des diplômes de niveau inférieur (dispositif D essentiellement) ; ou des entrées avec un diplôme de niveau supérieur à celui requis (parfois un doctorat, un DEA ou un autre Dess…), ceci concernant toutes les formations et surtout C (dont l’accès se fait à bac+5).
Ainsi, hormis le dispositif C, le dispositif D se distingue par l’attention portée à la fonction de formation continue (voir ci- après, §5.3.3.2.) des dispositifs A, B et E comportant 80 à 90% d’entrées au niveau bac+4.
156 Standard du point de vue des nomenclatures Céreq utilisées. Nous avons juste effectué des regroupements pour faciliter la lecture des données
La variété des origines « étudiantes » se repère également à travers le poids des élèves issus de cursus d’écoles de commerce, d’ingénieur ou de Science Po.
C’est le cas essentiellement des deux dispositifs A et B qui se distinguent là de E, restant très universitaire. Ces deux dispositifs recrutent chacun, tous niveaux confondus, environ 40% de titulaires d’un diplôme non universitaire.
On peut s’interroger sur l’importance de ce recrutement : que viennent chercher ici ces jeunes diplômés qui disposent d’un titre déjà prometteur et monnayable sur le marché du travail ? Les motivations (abordées aussi plus loin, § 5.3.4.) peuvent être nombreuses : l’acquisition de savoir-faire ou de connaissances propres à un secteur professionnel donné (objet officiel de ces formations) ?
L’ouverture « culturelle » (au sens large ici) que procure une formation complémentaire universitaire, un supplément d’âme valorisant le CV ? Une clé d’entrée dans un milieu culturel fortement convoité mais au fonctionnement un peu opaque et relativement fermé du point de vue des pratiques d’embauche ?
En tout état de cause, cela traduit autant un engagement professionnel157 fort et volontaire dans ce type d’activité qu’un penchant « spontanément naturel » propre au milieu d’origine…
La diversité des origines « étudiantes » se manifeste aussi dans l’éventail des spécialités des formations suivies auparavant. Des regroupements ont été effectués pour rendre le tableau 9 plus lisible (annexe 4).
Sur l’ensemble on constate d’une part l’importance « générique » des disciplines de gestion et de droit, auxquelles peuvent être ajoutées celle de sciences politiques, et de l’autre la variété des spécialités qui, quel que soit le dispositif, montre l’attention portée par leurs responsables au mélange des profils (quelques-uns révélant même des reconversions conséquentes chez certains individus).
Quelques tendances fortes peuvent être identifiées : les dispositifs de formation portent la marque du milieu dans lequel ils se trouvent. C’est particulièrement net pour les dispositifs A (UFR de Gestion), B (Faculté de Droit) ou E (UFR de Droit et Science Politique), qui recrutent chacun environ 40% d’étudiants dans la spécialité de leur UFR d’implantation.
Moins tributaires des contraintes d’environnement institutionnel (ou des opportunités qu’il offre), les formations C et D sont centrées sur des profils gestionnaires, mais aussi sur d’autres plus littéraires, artistiques ou « communicateurs ».
5.3.3.2. Des parcours antérieurs de jeunes étudiants, mais aussi de professionnels en formation continue
Deux dimensions des parcours antérieurs sont donc mobilisées ici, en distinguant d’une part les « étudiants » des « professionnels en formation », et de l’autre les éventuels engagements préalables dans le secteur culturel.
La première dimension distingue les étudiants « quasi- directs », c’est à dire des personnes pour lesquelles l’arrivée dans ces formations s’inscrit dans la continuité d’un parcours plus ou moins linéaire dans l’enseignement supérieur, et les « professionnels ayant déjà exercé une activité », c’est à dire ceux ayant eu au préalable deux, trois voire quinze ans d’expérience professionnelle.
La seconde dimension sépare les personnes selon leur rapport préalable objectif au secteur culturel, c’est à dire leur implication préalable effective dans ce secteur sous une forme ou sous une autre : formation suivie antérieurement explicitement culturelle, activité professionnelle antérieure dans le secteur culturel, implication « amateur » en parallèle aux études ou à l’activité professionnelle.
Notons que l’un des indicateurs destinés à qualifier les éventuelles implications préalables dans le secteur culturel, trop grossier, n’a pu être exploité. Basé sur l’identification de pratiques amateur (tableau 7, annexe 4), il s’est en fait révélé peu opératoire.
Deux raisons à cela : d’une part l’existence d’un continuum entre pratique professionnelle et pratique amateur rend malaisée l’identification de la situation en cours d’entretien, et d’autre part, si certaines des pratiques amateur s’exercent au contact effectif de réseaux à caractère professionnel au sein du secteur culturel, d’autres se font totalement en dehors158.
Ainsi, ce repérage n’a pu concerner les étudiants débutants. Il a été effectué uniquement auprès des professionnels entrés dans les dispositifs étudiés, parmi lesquels ont pu être identifiés ceux issus antérieurement du secteur culturel.
Cela a permis d’éclairer la typification des dispositifs du point de vue de leur position dans les espaces universitaires et professionnels, résultant des stratégies de leurs promoteurs et des conditions de leur création.
La répartition selon ces types de parcours antérieurs (tableau 10, annexe 4) renforce la typification du « public » de ces formations. Ainsi se dessine nettement une opposition entre les 3èmes cycles A, B et E d’un côté, et C et D de l’autre.
Dans le premier cas, environ 80% des personnes entrant dans ces dispositifs sont des étudiants n’ayant quasiment jamais exercé d’activité professionnelle159. Les formations C et D accueillent pour leur part respectivement 44% et 70% de professionnels expérimentés, dont une majeure partie issue du secteur culturel.
157 Au sens où Chantal Nicole-Drancourt l’utilise (1991a, 1991b, 1992, 1994). Cf. aussi chapitre 1
158 Quoi de commun entre la pratique amateur d’un instrument dans une école de musique municipale par exemple et l’exercice de tâches à titre bénévole dans l’organisation d’un festival qui amène à côtoyer de nombreux professionnels…
159 Nous pouvons seulement dire, avec les précautions évoquées, que seule une petite part d’entre eux avait déjà expérimenté le secteur culturel à travers des engagement amateurs plus ou moins forts…