La structure réticulaire des marchés (S. D. Berkowitz)
1.2.4.6. La structure réticulaire des marchés (S. D. Berkowitz)
De même que Harrison White, Samuel D. Berkowitz (1988, pp. 261-303) veut revenir à l’observation concrète des marchés, et s’est intéressé aux marchés industriels au Canada. Il constate un divorce croissant entre l’étude des marchés concrets et les constructions et les modélisations de la théorie néoclassique dominante.
lui le point de vue néoclassique n’a de pertinence que lorsque sont en présence de nombreux acheteurs et vendeurs, c’est à dire lorsqu’il y a une véritable atomisation sur le marché, ce qui en réalité est un cas rare, voire un cas limite.
Dans les faits, derrière l’apparence du grand nombre, des phénomènes de pouvoir se manifestent en permanence sur les marchés, les entreprises ayant des liens de contrôle entre elles qu’il faut d’abord repérer pour identifier les unités pertinentes, c’est à dire ayant une véritable capacité de décision.
De plus les marchés ont une limite, une frontière définie par l’intensité des interactions marchandes qui s’y produisent, c’est à dire la mesure dans laquelle les acteurs qui y sont engagés tentent de s’offrir ou de s’acheter les biens et services entre eux.
Les acteurs engagés sur un marché, acheteurs ou vendeurs, sont en nombre limité car il est difficile d’entretenir des liens (des transactions) avec un grand nombre d’autres acteurs.
Un marché est donc pour Berkowitz une structure sociale réticulaire caractérisée par un nombre effectif d’acteurs autonomes et une densité de leurs liens de transaction effectifs, ce qu’il appelle « market area ».
L’identification de la structure du marché (acteurs pertinents et liens entre eux) est, pour lui, une première étape ; il faut ensuite la compléter par l’observation de la façon dont la conduite des acteurs engagés dans un marché peut être limitée, contrainte ou facilitée par les contextes systémiques (« systemic contexts ») dans lesquels ils opèrent, comment la structure de ces marchés modèle leur fonctionnement.
On retrouve ici d’une part une opposition ferme au point de vue de l’atomisation, et de l’autre la reconnaissance de l’importance des relations entre acteurs sur un marché, que ce soient des liens de contrôle ou des liens de transaction continue.
1.2.4.7. Pour conclure
Après avoir passé en revue ces auteurs, les principales remises en cause des points de vue classiques sur le fonctionnement des marchés sont résumées, permettant de situer l’approche de l’inscription sociale du marché. Ces critiques sont émises dans deux directions.
Tout d’abord, les individus ne sont pas atomisés, indépendants, omniscients, mais sont influencés par les décisions et les comportements d’autrui, les relations avec autrui (demande d’information, conseils, imitation…), et enfin l’histoire de ces relations.
Cela entraîne comme conséquence qu’il n’y a pas indépendance d’une offre et d’une demande qui se détermineraient chacune de leur côté et dont la confrontation aboutirait à un prix d’équilibre.
L’offre et la demande sont au contraire étroitement liées et s’entredéfinissent à la suite d’ajustements mutuels médiatisés par des structures relationnelles.
Second point, les individus n’agissent pas en fonction de mobiles qui soient strictement économiques, utilitaires et relevant d’un simple intérêt égoïste ; leurs motivations relèvent aussi des désirs de sociabilité, de reconnaissance, de statut ou de pouvoir. L’action économique est bien orientée, mais par des motifs bien plus larges que ceux habituellement retenus.
Enfin, la question de l’incertitude inhérente à tout échange sur un marché lorsqu’on en observe le fonctionnement concret, a été rapidement évoquée.
Le concept d’encastrement (Polanyi, Granovetter) offre une première piste : cette incertitude est limitée du fait que ces échanges sont enserrés dans les relations sociales par lesquelles ils transitent et l’expérimentation au cours du temps de ces relations. Ce troisième point est développé dans la partie suivante.