La légitimation et les mesures techniques de protection des œuvres

3°) la légitimation implicite des mesures techniques de protection.
On a souvent considéré, à tort, que l’univers numérique rendait, sinon impossible, du moins très délicate, l’application des règles du droit d’auteur.
C’est pourquoi ces mesures techniques semblent constituer aux yeux de certains la solution évidente d’application de ces règles. La réalité est tout autre. En effet, plutôt que de renforcer les règles relatives au droit d’auteur puisqu’elle apporte une solution à un problème juridique. La technique tend alors à remplacer le droit.
Nous pouvons admettre qu’il est difficile de contrôler le respect du droit dans ce nouvel environnement numérique ; même si la nature des atteintes au droit d’auteur n’a pas fondamentalement changé56. Toutefois, afin d’empêcher les risques de contrefaçon, ces mesures techniques empêchent un usage licite de l’œuvre. Ce n’est pas le contrefacteur qui est alors touché, puisque d’une manière ou d’une autre il pourra accéder à l’œuvre en détournant lesdits dispositifs ou en surfant sur les sites de P2P, mais bien l’honnête consommateur.
Ces mesures techniques ne constituent pas une mise en balance des intérêts de l’auteur et de l’utilisateur.
En effet, outre le fait que cette technique risque de remplacer à court terme le droit, le Traité OMPI de 1996 demande aux Etats d’adopter une protection juridique « contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits et qui restreignent l’accomplissement d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs ou par la loi ». La protection juridique à venir de ces mesures techniques est invraisemblable. On peut se demander alors où se trouve désormais cet « équilibre entre l’incitation et l’usage » sur lequel s’organisait toute la philosophie du droit d’auteur. Le consommateur souhaitant avoir accès à un libre usage du CD qu’il a acheté pourrait se faire condamner pour avoir détourné une mesure.
Il réside alors une certaine contradiction entre d’une part, ces textes venant protéger ces mesures techniques et, d’autre part les jurisprudences de juin et septembre 2003 qui prône l’accès le plus libre et le plus éclairé possible du consommateur à l’usage de l’œuvre. Mais la tendance est aujourd’hui à un peu plus de prudence.
En effet, deux décisions récentes sont venues remettre en cause les affaires Souchon et Foly.
Le 14 Janvier 2004, le TGI de Paris a rejeté la demande de l’association de consommateurs CLCV dirigée contre les sociétés contre SONY et BMG et tendant à dénoncer le défaut d’information des usagers sur les éventuels problèmes d’utilisation liés aux dispositifs anti-copie.
Le TGI de Paris a en effet considéré que la preuve que la « cause de la défaillance technique était due au système technique de protection ». Cette décision semblait opérer un certain revirement par rapport au TGI de Nanterre. Alors que la théorie des vices cachés avait pu être mise reconnue en septembre 2003, l’absence d’une preuve précise en Janvier 2004 a fait balancer la décision en faveur des distributeurs et éditeurs. Mais cette dernière décision annonçait en réalité des développements jurisprudentiels encore bien moins favorables pour le consommateur.

56 En effet, que ce soit dans l’univers analogique ou numérique, le fait de copier de manière illégale un CD ou une cassette constitue toujours une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur. Cette atteinte sera toujours intitulée « contrefaçon ».

Le 30 avril dernier dernier, le TGI de Paris s’est en effet prononcé de manière implicite en faveur d’une légalisation des mesures techniques de protection, peu importe si elles empêchent le recours à la copie privée. En effet, un consommateur s’était plaint auprès de l’UFC Que Choisir de ne pouvoir réaliser une copie privée du DVD Mulholland Drive, réalisé par David Lynch et distribué par Les Films Alain Sarde et Studio Canal, du fait de la présence, non mentionnée, de dispositifs techniques de protection. L’UFC Que Choisir a donc saisi le TGI de Paris afin de faire cesser le trouble manifeste.
Le tribunal a cependant jugé que la loi était obsolète puisque, « du fait de son ancienneté, elle ne prenait pas en considération la démultiplication récente des supports sur lesquels une œuvre peut être reproduite ». En ce 30 avril 2004, le TGI de Paris s’est efforcé d’ajouter que la copie d’«une œuvre éditée sur un support numérique [ne pouvait que] porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre» !
Il semble n’y avoir aucun fondement juridique à cette décision du TGI de Paris. En effet, seules les considérations économiques des distributeurs et éditeurs semblent être mises en avant ici.
Il semble pour le moins évident que le Tribunal s’est appuyé sur la directive sur le droit d’auteur du 22 Mai 2001, non encore transposée en France. Cette directive tend à faire réexaminer par les Etats membres les exceptions au droit d’auteur à la lumière du nouvel environnement numérique. Le maintien de la copie privée devient alors facultatif. En outre, et ceci paraît tout à fait contradictoire, la Directive prévoit que les mesures techniques pourront être mises en œuvres pour limiter la multiplication des copies liée au numérique, et quand bien même ces copies seraient réalisées conformément aux exceptions au droit d’auteur, et qu’elles seraient pour ainsi dire légales, elles« ne doivent faire obstacle ni à l’utilisation de mesures techniques ni à la répression de tout acte de contournement. »57 La protection de ces mesures techniques de protection l’emporte donc sur la conservation des exceptions au droit d’auteur, qui sont autant de « droits » pour les consommateurs.
Le TGI de Paris semble avoir donné sa propre vision et application de la Directive, alors même qu’elle n’a pas été transposée en France ! Alors que le consommateur ne revendiquait qu’un « droit » de copie privée, prévu par les dispositions du CPI, le Tribunal le rend impossible, puisque selon lui, cette copie porterait atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. Il faut être prudent face à cette offensive du TGI de Paris, d’une part parce qu’il s’agit justement d’une décision isolée d’un Tribunal de Grande Instance, et d‘autre part parce que ce TGI semble faire l’amalgame entre copie privée et piratage. En effet, la copie privée correspond à « une exploitation normale », puisque jusqu’à présent, elle est encore prévue par le CPI. Que le consommateur se trouve dans un univers analogique ou numérique ne change rien au problème ni à la nature de l’acte qu’il accomplit !

57 Voir article 39 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur www.foruminternet.org : « Lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exception ou la limitation pour copie privée, les États membres doivent tenir dûment compte de l’évolution technologique et économique, en particulier pour ce qui concerne la copie privée numérique et les systèmes de rémunération y afférents, lorsque des mesures techniques de protection efficaces sont disponibles. De telles exceptions ou limitations ne doivent faire obstacle ni à l’utilisation de mesures techniques ni à la répression de tout acte de contournement. »

Il semble donc que le TGI de Paris ait peut-être voulu faire un excès de zèle en ce 30 avril 2004 et on ne peut accepter ce genre de réflexions qui tendent à déclarer de manière éhontée et implicite que la propriété intellectuelle n’a pas d’avenir dans un univers numérique. Certes une adaptation est nécessaire, mais elle ne doit en aucun cas conduire à une révolution ou à la mort, pourtant annoncée par beaucoup, des textes de propriété intellectuelle.
Outre les restrictions que les mesures techniques de protection portent au droit d’usage, comme nous l’avons démontré avec les jurisprudences Foly et Souchon, nous sommes aujourd’hui forcés de constater qu’elles portent atteinte aux exceptions au droit d’auteur, considérées parfois comme d’autres « droits » du consommateur.
Lire le mémoire complet ==> (Le droit d’auteur et le consommateur dans l’univers numérique)
Entre solidarisme de la consommation et individualisme de la propriété.
Mémoire de fin d’études – DEA De Droit Des Créations Immatérielles – Droit Nouvelles Technologies
Université De MONTPELLIER I – Faculté De Droit
 

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top