Capital social de l’école dans le passage de l’école à l’emploi
Chapitre 4 :
Dispositifs de formation, réseaux et marches du travail : une approche réticulaire et organisationnelle
L’importance du mode d’action relationnel et du capital social dans le fonctionnement du marché du travail a été établie. Pour chercher un emploi, les élèves utilisent leurs réseaux de relations, de même que les employeurs mobilisent les leurs pour recruter leurs futurs employés.
Qu’en est-il alors des dispositifs de formation ? Quelle place occupent-ils dans ce fonctionnement réticulaire ? Sont-ils neutres du point de vue des formes de fonctionnement du marché du travail ? Comment interviennent-ils dans l’encastrement social du marché ?
Se contentent-ils de transmettre des connaissances, d’opérer une socialisation professionnelle, d’ajouter à la qualification des personnes qui suivent une formation, d’être opérateurs de la construction du « capital humain » des élèves qui en sortent ?
Est-il possible d’isoler leur fonction « formative » du contexte social dans lequel elle se réalise ? En d’autres termes, ne sont-ils pas eux aussi « encastrés » dans un fonctionnement social qui les englobent, au-delà du seul objet « formatif » qui justifie leur existence ?
Le système éducatif n’est pas neutre, et ne fonctionne pas en vase clos. Des travaux ont déjà montré que si l’appareil de formation pouvait en général être considéré comme une institution nettement séparée de l’institution « monde du travail » (Tanguy 1994), ce n’était pas toujours le cas.
Les travaux sur les professions de la marine marchande de Catherine Paradeise (1988) ont montré qu’un dispositif de formation pouvait être la clé d’entrée sur un marché du travail spécifique ou en tout cas assurer une part importante de sa régulation.
Nous nous intéressons ici aussi à l’idée qu’un dispositif de formation puisse être un point d’entrée dans un milieu de travail. Cependant, le sens donnée à cette idée de « point d’entrée » s’appuie sur une approche en terme de réseau social, c’est à dire de moyens effectivement mobilisés pour obtenir un emploi à la sortie d’une formation.
Nous nous situons au moment des débuts de carrière des élèves sortant d’une formation à caractère professionnel. Il s’agit alors de s’interroger sur le rôle que peut jouer un dispositif de formation préparant à une insertion professionnelle dans un milieu donné.
Un dispositif de formation de ce type n’est pas une organisation sociale fermée, son responsable et ses enseignants peuvent entretenir des relations plus ou moins suivies avec le milieu professionnel visé ; de même, la présence de professionnels mobilisés pour intervenir dans ces dispositifs peut être considérée comme autant d’occasions de contacts entre élèves et professionnels ; et enfin les stages, au-delà d’une mise à l’épreuve des compétences professionnelles potentielles, fournissent aussi l’occasion de nouer des relations avec le monde professionnel.
Ces dispositifs de formation, comme toutes les organisations, sont eux aussi traversés par des réseaux de relations interindividuelles (Nohria et Gulati 1994), situées en particulier sur le marché du travail, ce qui va avoir des incidences sur le fonctionnement de ce dernier.
L’ensemble des contacts et des liens tissés avec le monde professionnel imputables au dispositif de formation, sa connexion au milieu professionnel visé en quelque sorte, constitue pour celui-ci une forme de capital social qui lui est propre, pouvant être mis à la disposition ou transmis aux élèves, et essentiel pour ceux-ci.
4.1. Le capital social de l’école dans le passage de l’école à l’emploi. Une problématique en trois temps
Nous nous situons ici dans une perspective dynamique. Pour reprendre l’expression de Bernard Gazier (cf. 1.2.), notre approche est centrée sur le passage des élèves d’un dispositif de formation à une entreprise100, c’est à dire d’une organisation à une autre, et sur les moyens mobilisés lors de ce passage.
Il est possible de schématiser le processus d’accès à l’emploi ainsi : des élèves entrent dans un dispositif de formation (organisation A) ; ils y restent un certain temps dans le cadre de l’activité de formation, objet officiel de ce type d’organisation ; puis ils cherchent à entrer dans des entreprises, c’est à dire à passer de l’organisation A à une organisation B, d’un autre type.
Dans quelles conditions passent-ils alors d’une organisation à une autre, de l’école à l’emploi ? Les élèves disposent tout d’abord des ressources relationnelles acquises ou héritées avant d’entrer dans le dispositif de formation ; ils peuvent ensuite s’en créer de nouvelles ou mobiliser le capital social du dispositif de formation lors de leur passage dans celui-ci, s’il existe.
L’objet de la réflexion ici est la possibilité ou non pour des individus d’acquérir de nouvelles relations en accédant à un capital social pertinent pour la recherche d’emploi dans un cadre ayant un objet spécifique (ici une activité de formation), supporté par une organisation tout aussi spécifique (le dispositif de formation).
Comme tout capital social, celui-ci facilite les actions de ceux qui y ont accès. En d’autres termes, si l’organisation que constitue un dispositif de formation dispose d’un capital social pertinent pour la recherche d’emploi, cela devrait produire des effets sur les parcours professionnels des élèves en accélérant leur début de carrière.
Le cadre de l’analyse est celui de l’action de l’individu ayant un objectif, muni de ressources, mais engageant sa marge de manœuvre dans un contexte déjà structuré qui, à la fois, le contraint et lui offre des opportunités : 1) les élèves sortants mobilisent des réseaux de relations pour trouver leur emploi, il s’agit donc bien d’une action volontaire individuelle orientée vers un but ; 2) les dispositifs de formation desquels sont issus les élèves représentent pour ceux-ci le premier milieu de vie conséquent à partir duquel ils peuvent développer leurs réseaux de relations professionnelles, si ceux-ci leur en offrent la possibilité, et en particulier des réseaux pertinents pour l’objectif d’accès à l’emploi ; 3) le fonctionnement du dispositif de formation ne dépend pas de ces élèves, l’importance et la pertinence du capital relationnel qu’il est susceptible de leur offrir leur échappent dans une large mesure, ce qui constitue la contrainte – la ressource – structurale qui pèse sur eux.
Pour tenter de comprendre ce qui se trame dans ces dispositifs de formation, trois pistes doivent être suivies : l’élève et le développement de son réseau relationnel initié par la production d’interactions répétées avec des employeurs au sein du dispositif de formation, c’est à dire l’accès au capital social du dispositif de formation pertinent vis-à-vis de l’objectif d’accès à l’emploi (§ 4.2.) ; la position structurale spécifique de l’ensemble des dispositifs de formation à caractère professionnel en tant qu’organisations éducatives fonctionnant au contact direct avec les unités du système productif, c’est à dire des entreprises, des lieux ou des organisations où s’exerce une activité de travail (§ 4.3.) ; le mode d’organisation interne de chaque dispositif de formation et sa capacité à générer un capital social propre, significatif, à même de favoriser l’obtention d’un emploi et l’accès au monde du travail des élèves (§ 4.4.). Notre démarche se déroule ainsi dans trois directions, individuelle, structurelle et organisationnelle.
100 au sens générique du terme, comme lieu d’exercice d’une activité professionnelle quelle qu’elle soit