Jurisprudence française et Conflit entre doit interne et communautaire

2/ Les solutions jurisprudentielles
a) Les solutions de la CJCE
Dans l’arrêt Simmenthal171, la CJCE s’exprime catégoriquement sur la solution à apporter à un tel conflit : « le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ».
Le juge a ainsi la faculté de suspendre son propre droit national contraire au droit communautaire au profit de l’application de ce dernier172. Plusieurs réflexions peuvent s’exprimer. Dans la mesure où nos juges français éprouvent encore aujourd’hui des difficultés à maîtriser parfaitement le droit communautaire et à en connaître sa portée exacte, il apparaît utopique de considérer qu’un juge national, de son propre chef, n’appliquerait point son droit national qu’il maîtrise parfaitement au profit du droit communautaire. De plus, si la norme nationale contraire au droit communautaire était une loi, il s’érigerait en tant que « sanctionnateur » du législateur. Quand serait-il alors sur séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire instauré par la Constitution française? Il aurait été plus judicieux que le traité lui-même prévoit cette autorité au juge et non la jurisprudence de la Cour.

171, CJCE, le 9 mars 1978, Simmrnthal, aff. 106/77, p.629.
172 Arrêt Factorame, CJCE, le 19 juin 1990, C-213/89, I, p. 2433

L’arrêt Simmenthal rendu par la CJCE bouleverse, en quelque sorte, certains de nos principes constitutionnels.
b) Les solutions apportées par la jurisprudence française
Lors d’un conflit entre le droit communautaire et le droit national, la jurisprudence applique aujourd’hui le principe de primauté du droit communautaire en écartant toute norme nationale contraire, exception faite de la Constitution restant la norme suprême.
Mais ceci n’a point toujours été le cas. Il nous faut distinguer la jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil d’Etat.
*) La jurisprudence de la Cour de cassation
En ce qui concerne la Cour de cassation, dès 1975, par l’arrêt Jacques Vabre173, le droit communautaire l’emporte sur les lois mêmes postérieures. La Cour de cassation se réfère à l’article 55 de la Constitution donnant au traité une autorité supérieure à celle des lois mais aussi aux « spécificités du droit communautaire : un ordre juridique propre est intégré à celui des Etats membres ; il est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et crée à leur profit des droits ; cet ordre juridique s’impose aux juridictions nationales qui doivent donc garantir ces droits aux justiciables et éventuellement même à l’encontre de la loi, fût elle postérieure 174».
La primauté du droit communautaire est ainsi reconnue par la Cour de cassation. Le Conseil d’Etat, quant à lui, a manifesté plus de réticence à admettre cette primauté.
*) La jurisprudence du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat admettait la prééminence des normes communautaires sur les lois antérieures, l’arrêt Syndicat des fabricants de semoule de France en était la parfaite illustration175. Cette reconnaissance ne valait point en ce qui concerne les lois postérieures.

173 Chambre mixte de la Cour de cassation du 24 mai 1975, D. 1975, p.497, conclusion TOUFFAIT (A.) ; KOVAR (R.), Cah. Dr. Europ. 1975, p. 655 ; RTDEur. 1975, p.336 ; RUZIÉ (D.), Journal dr. intern. Clunet 1975 p.802 ; FOYER (J.) et HOLLEAUX (D.), Rev. Crit. Dr. intern. privé 1976 p. 347 ; BOULOUIS (J.) ; AJDA 1975, p. 567.
174 FIESHI- VIVET (P.), « L’impact de la communauté européenne sur le droit du travail français », RJS 10/90, Etudes et Doctrines, p.504.
175 Arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er mars 1968 ; Rev. Dr. europ. 1968, p. 388 ; Journ.dr.intern., Clunet, 1968, p. 316 ; Rev.crit.dr.intern.privé 1968, p. 516, note Kovar (R.) ; AJDA 1968, p. 235, conclusion Questiaux (N.).

Il faut attendre l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989176 pour que le Conseil d’Etat reconnaisse la primauté du droit communautaire sur une loi postérieure contraire.
Il apparaît curieux que la jurisprudence de nos juridictions nationales ne coïncident pas en ce qui concerne un sujet aussi important. Comment peut-on mettre en place un droit communautaire qui a pour mission d’harmoniser les législations des Etats membres si au sein de notre pays, il y a des divergences quant à l’appréciation du droit communautaire et plus particulièrement sa place au sein de notre carcan juridique ?
De plus, le Conseil d’Etat fût la dernière juridiction suprême des douze à ne pas consacrer la primauté du droit communautaire sur les lois postérieures.
Les limites afférentes au principe de la primauté du droit communautaire peuvent découler de l’intérêt supérieur des Etats177. En effet ce principe peut se trouver fortement compromis lorsque la mise en œuvre de normes communautaires touche à des questions qui sont d’un intérêt « vital » pour les Etats, sans concerner forcément une compétence exclusive178. La souveraineté de l’Etat reprendrait le dessus ceci au nom d’une question fondamentale dont l’Etat seul serait le plus à même de solutionner. A titre d’exemple, nous pouvons évoquer la crise de juillet 1965 où le gouvernement français a dénié toute efficacité juridique aux textes du traité de Rome qui institue le vote majoritaire au sein du Conseil en maintenant la règle de l’unanimité179.
Pour que ceci ne se reproduise plus pour l’avenir, la coopération entre les Etats membres et la Communauté doit toujours et encore être renforcée.
Affirmer la primauté du droit communautaire ne garanti pas son applicabilité directe dans l’ordre interne des Etats membres. Ainsi la portée du principe de la primauté dépend étroitement de l’étendue de l’applicabilité directe c’est-à-dire de l’immédiateté des normes communautaires.

176 CE, arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 ; RJF 11/89, n° 1266 ; ISAAC (G.), RTDEur. 1990, p.771, conclusion Frydman ; SIMON (D.), AJDA 1989, p. 788 ; LAGARDE (P.), Rev. Crit. Dr. intern. privé, 1990, p. 137 ; KOVAR (R.), « Le Conseil d’Etat et le droit communautaire, de l’Etat de Guerre à la paix armée » , D. 1990 chron. p. 135, note Sabourin (P.).
177 GARRON (R.), « Réflexions sur la primauté du droit communautaire », RTD. Eur. 1969, p.44.
178 GARRON (R.), op. cit. p.44.
179 LE BARON SNOY ET D’OPPUERS, « Les objectifs du traité de Rome peuvent ils encore être atteints ? » in Chronique de politique étrangère, Institut royal des relations internationales, Bruxelles, vol. XX, n°6, novembre 1967, p.653 : « Les grandes questions ne pourraient pas être prises à l’extérieur de la souveraineté française. En d’autres mots, la France n’accepte pas la délégation de pouvoirs aux institutions de la Communauté pour des questions d’intérêt vital »

Lire le mémoire complet ==> (L’influence du droit communautaire en droit du travail français)
Mémoire de DEA de droit social – Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales
Université LILLE 2- Droit et santé

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