Activités bancaires de Second Life et Risques juridiques générés

Activités bancaires de Second Life et Risques juridiques générés

2ème partie – Risques juridiques liés à l’utilisation du Linden dollar par les agents économiques de Second Life

Section 2 – Risques juridiques générés par les activités bancaires de Second Life

Les personnes qui ont créé une certaine activité bancaire tout comme Linden Lab, l’ont fait conformément aux règles76 de Second Life, c’est-à-dire librement sans aucune contrainte, autre que morale. Depuis peu de temps, les activités bancaires les plus dommageables ont été interdites avant qu’elles ne se développent véritablement (§1). Malgré tout, certaines subsistent contribuant à faire perdurer certains risques (§2).

§1. Des risques juridiques récemment avérés

Les établissements à l’origine des activités bancaires les plus délicates n’ont jamais cachés « être des établissements à haut risque » mais qui « versent d’excellents taux d’intérêt »77. Paradoxalement, Linden Lab a régulièrement transmis des messages d’avertissements aux résidents, mais sans jamais interdire cette activité, jusqu’au jour où l’un de ces établissements a fait faillite. Linden Lad a alors interdit ce type d’activité bancaire, sans interdire véritablement l’activité mais en la soumettant en quelque sorte à son habilitation.

74 Article L. 614-2 du Code monétaire et financier.

75 Article L. 631-2 du Code monétaire et financier.

76 Policy & guidelines, dont les «terms of service» et «Community standards»: «Second Life: Official site of the 3D online virtual world Second Life. » Second Life. 2008. Linden Lab. 05.07.2008. <http://secondlife.com/>

77 Rymaszewski, Michael. Second Life, le guide officiel. Ed. Pearson. 2007, page 242.

A. Création d’établissements de crédit en dehors de toute réglementation.

Le Linden dollar, monnaie fictive de Second Life a été créé pour favoriser la croissance d’une économie propre à Second Life. Cette monnaie, toujours pour stimuler la croissance, est rapidement devenue convertible avec des devises officielles sans que ces transactions ne soient encadrées par une loi. Progressivement, des résidents ont crée des activités qu’ils ont appelé bancaires sans se soucier des conséquences de leur activité au regard de la légalité et des dommages causés à autrui.

1. Établissement ne respectant aucun aspect de la réglementation bancaire.

La plupart des banques exerçant dans Second Life se présentaient clairement par leur nom commercial comme des établissements bancaire ou financier. Notamment la plus connue: Ginko Financial, mais aussi Midas Bank, OurBank, MySecondBank, NN Bank, MetaBank, SL Bank, Citizens Bank, Octagon Bank, BRUBank…

La particularité de ces banques est qu’elles n’effectuaient pas la totalité des opérations de banques mais les plus intéressantes financièrement.

Ainsi, la première des activités était la réception de fonds du public (avatars) sous forme de dépôts. Le dépositaire disposait ainsi pour son propre compte des dépôts mais précisait qu’il ne garantissait pas la restitution des fonds78.

Les opérations de crédit apparaissent peu dans Second Life. Seules deux banques semblent avoir fait de la publicité à ce sujet : Ginko Financial et Citizens bank. La première a très vite informé les résidents qu’elle n’accorderait plus de prêt financier, la deuxième a une agence qui a toujours mal fonctionné (et ne possède pas de distributeur dans Second Life).

Les instruments permettant de transférer des fonds sont des distributeurs disséminés dans l’univers persistant et des cartes plus ou moins faciles d’utilisation selon les banques. Ainsi, la plus importante Ginko Financial met 400 ATM79, guichets automatiques, permettant aux résidents d’effectuer les transactions bancaires en libre-service sur le territoire de Second Life. Ces guichets délivrent des relevés de situation à chaque opération (dans le cas des banques les plus développées et les mieux organisées).

L’intérêt pour les résidents de Second Life d’ouvrir un « compte courant », résidait dans l’espoir de bénéficier d’excellents taux d’intérêts, 0,10% d’intérêts journaliers, l’équivalent de 44% annuels, proposés par la banque Ginko Financial selon les informations d’Annick Masounave, journaliste de la Revue Banque80. Toujours en précisant que l’établissement ne garantissait pas la restitution des fonds. Inutile de préciser que le conseil et l’assistance en matière de gestion de patrimoine, de gestion financière ou tout autre obligation de conseil et d’informations n’étaient pas assurés.

78 Rymaszewski, Michael. Second Life, le guide officiel. Ed. Pearson. 2007, page 242.

79 ATM : Automated Teller Machine.

80 Revue Banque, hors série « Second Life », octobre 2007, page 12.

Les conditions pour accéder au statut d’établissement de crédit n’étaient pas remplies. La forme juridique de l’entreprise pas connue et le capital minimum ou dotation lors de la création d’un établissement de crédits pas réalisés. La procédure de création de ses établissements était totalement virtuelle : il s’agissait simplement de créer un site internet et de le rattacher à l’univers de Second Life. Les dirigeants bien réels n’avaient pas la compétence et l’expérience adéquate à leurs fonctions. Pire la plupart d’entre eux exerçait sur leur identité d’avatar refusant de communiquer leur véritable identité.

Enfin, aucun organisme indépendant représentant l’ensemble de cette activité ou même représentant la clientèle n’était présent pour vérifier de la régularité des opérations.

Ce n’est qu’après l’annonce des premières difficultés financière de Ginko Financial le 27 juillet 2007 et le détournement de plusieurs millions de Linden dollars dans un autre établissement au même moment, qu’une autorité de régulation, la Second Life Exchange Commission (SLEC) a été créée dans les premiers jours du mois d’août 2007, sans pouvoir rassurer les investisseurs. En effet, il était trop tard les autres établissements ont également fait faillite dans les mois qui ont suivi.

2. Activités illégales ou hors d’atteinte de la loi.

La plupart des établissements ont dû fermer suite à l’annonce de Linden Lab d’interdire les jeux d’argent sur Second Life et au détournement de fonds sur la Bourse de Second Life (World Stock Exchange) provoquant une panique parmi les clients.

En effet, les établissements n’avaient pas de réserves suffisantes pour faire face à des demandes de retrait massif. Par exemple, le site web de Ginko Financial faisait état, fin juillet, de 18 000 comptes courants domiciliés pour un total de 192 millions de Linden dollars, soit environ 710 000 dollars américains, alors que la compagnie n’aurait disposé en permanence, que d’un montant limité de liquidités, soit 6% des dépôts (sans compter les intérêts journaliers promis et dus).

Les activités bancaires n’étant pas réglementées sur Second Life. Ces activités n’étant pas des activités bancaires au sens légal du terme, les chances pour les internautes de récupérer les sommes qu’ils avaient déposé sur leurs comptes courants, en changeant leur euros ou autres devises contre des Linden dollars, étaient minces.

Selon Annick Masounave, journaliste de la Revue Banque, les clients ont été les maillons d’une chaîne de Ponzi81. Schématiquement, la chaîne de Ponzi repose sur des promesses de profits inédits, entraînant un afflux de capitaux, qui entretiennent le « contrat » initial, jusqu’à l’explosion de la bulle spéculative ainsi créée, au bénéfice de l’initiateur de la chaîne.

81 Ponzi utilisa ce système en 1920 à Boston, ce qui fit de lui, personne anonyme, un millionnaire en six mois. Les profits étaient censés provenir d’une spéculation sur les International postal reply coupons (que l’on peut traduire par « Coupons internationaux de rabais postaux »), avec un rendement de 50 % en 90 jours. Environ

40 000 personnes investirent environ 15 millions de dollars, dont seulement un tiers leur fut redistribué.

A ce jour, aucune affaire ne semble avoir été portée devant les tribunaux. Les internautes avaient pourtant la possibilité d’exercer un recours pour exercice illégal de la profession de banquier82 et escroquerie83, car certains d’entre eux avaient même effectué des dépôts en devises officielles selon Linden Lab84. Une des raisons majeures, à cette absence de réaction, c’est la difficulté de prouver l’existence de ces transactions virtuelles. L’autre raison tient certainement au montant des sommes perdues, importantes globalement, mais peut-être trop peu importantes de façon individuelle. Pourtant, de nombreux internautes, par l’intermédiaire des forums, ne se lassent pas d’exprimer leur mécontentement.

B. Interdiction de certains établissements par une autorité incompétente dans le domaine.

Linden Lab par son communiqué du 8 janvier 2008, a décidé d’interdire les banques virtuelles du monde virtuel à partir du 22 janvier de la même année, suite aux nombreuses plaintes qu’il a reçu de résidents. Les dirigeants assurent qu’ils sanctionneront toute activité bancaire actuelle ou à venir, non officielle, c’est-à-dire non autorisée par la loi d’un État ou par l’agrément d’une autorité bancaire officielle, en suspendant, voire en supprimant définitivement leur compte et en récupérant leur achat de terrain.

Ce communiqué représente le minimum de ce que devait faire Linden Lab au regard des risques qu’il prenait à laisser faire auparavant. Malgré tout, l’avertissement qu’il émet (être banni de Second Life) semble dérisoire au regard de l’importance des actes illégaux commis.

Linden Lab agit comme une autorité qui décide de ce qui est bien ou mal, pourtant les dirigeants précisent bien dans leur communiqué « Linden Lab isn’t, and can’t start acting as, a banking regulator. » Et Linden Lab sous estime les conséquences réelles de son univers virtuel sur la vraie vie.

Il tente de régler au jour le jour et après coup, les problèmes nés de l’absence, non de règles, mais de l’absence de l’application des règles existantes dans notre vie. Continuer à ne pas vouloir appliquer la totalité de ces règles alors que la plupart des internautes travaillent en ligne ou commercent en ligne à travers le monde en les appliquant est dangereux et ne fait que générer d’autres crises et d’autres risques juridiques.

82 Article L. 511-5 du Code monétaire et financier « Il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel. Il est, en outre, interdit à toute entreprise autre qu’un établissement de crédit de recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme.» et article 571-3 du CMF « Le fait, pour toute personne, de méconnaître l’une des interdictions prescrites par les articles L. 511-5 et L. 511-8 est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Le tribunal peut ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »

83 Article L. 313-1 du Code Pénal « L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.

L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende. ». La tentative est punie de la même façon, article L. 313-3 du Code pénal.

84 Linden, Ken D. « New Policy Regarding In-World “Banks.”» Official Second Life Blog. 8.01.2008. http://blog.secondlife.com/2008/01/08/new-policy-regarding-in-world-banks/

§2. Des risques toujours présents.

Linden Lab assure depuis qu’il a créé Second Life, l’émission des Linden dollars et le contrôle du change sur son site Lindex. Il a également des partenaires, des sites de change en ligne qui bénéficient de son agrément, sorte de label de qualité.

A. Les activités bancaires de Linden Lab.

Linden Lab n’a jamais exercé d’activité bancaire de la nature de celles qu’il a interdite en janvier 2008. Malgré tout il intervient dans l’opération de convertibilité de sa monnaie en devises officielles. Il permet aux résidents d’effectuer ces opérations par l’intermédiaire de guichets automatiques répartis dans Second Life.

Mais il ne se présente que comme un intermédiaire des échanges entre internautes ne faisant pas partie de la transaction, même s’il n’effectue pas cette opération gratuitement. En effet, il prend une commission sur chaque Linden dollar échangé sur le Lindex ou même sur tout autre site de change extérieur à Second Life. Dans ce cas les internautes paient deux commissions : celle du site sur lequel ils font la transaction et celle de Linden Lab.

En France, le change peut être considéré soit comme une opération de banque connexe85 soit comme une opération de change manuel86 dans les deux cas il faut des agréments pour exercer ces activités.

Les opérations de change de Linden Lab sont comparables à celles effectuées par les banquiers, ces opérations constituants des opérations connexes aux termes de l’article L. 311-2, 1°, du Code monétaire et financier.

Elles peuvent l’être pour leur propre compte ou pour celui de la clientèle. Dans ce dernier cas, elles donnent lieu à la perception d’une commission. Les opérations de change sont source d’obligations et de responsabilité pour les établissements de crédit.

En effet, d’une part, la réglementation impose à ces derniers des règles précises relativement à la comptabilisation des opérations de change et à la surveillance des positions de change. D’autre part, les établissements de crédit sont tenus d’une obligation de moyens dans l’accomplissement des diligences nécessaires à l’exécution du service de change.

Linden Lab ne remplie pas toutes les conditions pour exercer cette activité. Il ne fournit pas les garanties financières permettant de couvrir le risque de change et ne fournit pas non plus les éléments de surveillance et de comptabilisation des changes pour permettre de lutter contre le blanchiment d’argent. Enfin, point important, il contrôle de surcroît le marché des changes du Linden dollars dans la plus grande opacité.

Linden Lab rejette pourtant toute responsabilité en cas d’arrêt ou d’échec des opérations de change.

Linden Lab exerce de façon illégale une activité bancaire. Et en agréant des établissements de change (en devises officielles) il exerce des activités d’autorité bancaire de manière illégale.

85 Article L. 311-2 du Code monétaire et financier.

86 Article L.520-1 à L.520-4 du Code monétaire et financier.

B. Les établissements de change agréés.

Linden Lab a établi une liste des établissements de changes qui ont son agrément. L’agrément des établissements de change, permet à Linden Lab de contrôler les entrées de Linden dollars dans Second Life et d’éviter les entrées de faux Linden dollars.

Ce sont des établissements que Linden Lab estime sûrs et auxquels il permet d’utiliser le système Risk Api. L’utilisation du système Risk Api permet aux sites de change d’accéder aux données à caractère personnel que détient Linden Lab et de vérifier qu’il s’agit bien d’un avatar identifié comme tel par Linden Lab.

Ces établissements n’ont pas, comme Linden Lab, d’agrément officiel pour effectuer des opérations de change.

Ils n’offrent par conséquent aucune garantie financière aux internautes qui sollicitent leurs services. Ce qui peut être important car une opération de change Linden dollars / euros par exemple peut mettre trois semaine pour être exécutée entièrement. Dans ce laps de temps le taux de change ou la situation de Second Life peut évoluer et l’opération échouer à la défaveur de l’internaute.

Ils n’offrent aucune garantie en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d’argent, même si la plupart limite le montant des transactions par jours ou par semaine et de cette façon contribue à la limitation des risques.

Malgré tout, le système d’identification des avatars ne semble pas satisfaisant même couplé aux données personnelles bancaires des internautes87.

Par ailleurs, le transfert de données à caractère personnel (ni la détention) n’a pas fait l’objet de déclaration de Linden Lab pour ses activités européennes. Ainsi nous ne savons pas dans quelles conditions de sécurité et de confidentialité s’effectuent la conservation et le transfert des données.

A noter que le site européen de change ELDEX-change informe les internautes qu’il « garantit l’entière protection des données personnelles utilisées pour effectuer les commandes. Toutes les données du client sont conservées et utilisées en accord avec les lois allemandes de protection de données et de télé-service. ». C’est-à-dire conforme à la directive européenne du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard de traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données88.

87 Revue Banque, hors série « Second Life », octobre 2007, page 11.

88 Directive 95/46/CE du parlement européen et du conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à..

Mais, les autres sites se proclamant officiels et partenaires de Second Life ne font pas état de l’application de cette réglementation.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Risques juridiques générés par le système monétaire de Second Life
Université 🏫: Université Paris-1 Panthéon Sorbonne - Master 2 professionnel droit de l’internet public
Auteur·trice·s 🎓:
Madame Corinne Hubert

Madame Corinne Hubert
Année de soutenance 📅: Mémoire en vue de l’obtention du Master - 2007/2008
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