Évaluation de la rentabilité des projets de micro-assurance

Évaluation de la rentabilité des projets de micro-assurance

Chapitre III – Évaluation de la rentabilité et de la viabilité des projets

Chapitre I Une assurance peu conventionnelle

Chapitre II

Quelle place pour l’assureur dans la micro-assurance ?

Pourquoi assurer les pauvres ? Cette question simple, chaque assureur va se la poser avant de commencer à s’intéresser à des projets de micro-assurance. La taille du marché détaillée ci-dessus peut être un atout. Le potentiel de croissance est d’autant plus important que la croissance de la population dans les pays en développement est exponentielle.

Les personnes pauvres sont souvent parmi les plus vulnérables dans une société parce qu’elles sont exposées à une plus large palette de risques. Ces personnes ne peuvent pas accumuler du capital car leurs revenus sont trop faibles. Malgré les systèmes informels d’assurance qu’ils élaborent pour gérer de façon autonome leurs risques, d’autres mécanismes de protection semblent indispensables pour vaincre leur vulnérabilité.

Pourquoi les assureurs évitent-ils d’assurer les individus à faibles revenus39 :

  •  Les primes sont minimes
  •  Les frais sont élevés L’infrastructure fait défaut
  •  Certains risques sont accentués

Pourquoi la micro-assurance peut-être une bonne affaire :

* Elle offre de nouveaux et vastes segments aux assureurs dont les marchés sont saturés : certaines études suggèrent que « parmi les quatre milliards d’individus qui ont à peine deux dollars par jour pour vivre, moins de dix millions ont couramment accès à l’assurance. »

* Les clients aux revenus actuellement limités seront les clients riches de demain

39 IntoAction Micro-assurance, L’assurance au service des pauvres, compte rendu de la conférence sur la microasurance Schloss Hohenkammer à Munich 18-20 octobre 2005, Craig Churchill, Dirk Reinhard, Zahid Qureshi, janvier 2006

A. Une rentabilité incertaine

1. Des risques accrus

« L’encaissement des primes est faible, les frais d’administration sont relativement élevés et l’infrastructure nécessaire à l’assurance fait défaut ; autant d’arguments justifiant le manque d’intérêt des assureurs professionnels pour ce marché. »

Hana-Jürgen Schinzler40

a) Risque moral

Le risque moral existe lorsque l’assuré va être encouragé à certaines pratiques risquées du fait qu’il soit assuré. La mise en place de franchise ou de participation au frais atténue ce risque. L’AssEF pour son programme d’assurance santé au Bénin laisse 30% des frais à la charge de l’assuré.

Certaines exclusions empêchent également la survenance délibérée de l’évènement assuré. Le contrat d’assurance vie de Tata-AIG en Inde exclut le suicide survenu la première année. D’autres micro-assureurs excluent la préexistence d’une maladie grave comme un cancer.

b) Anti-sélection

Le risque d’anti-sélection est important dans le domaine de la micro-assurance et particulièrement pour les systèmes de micro-assurance santé. Les assurés cherchent à assurer s’assurer alors qu’ils présentent un risque plus élevé. Par exemple au Bénin, l’AssEF a constaté que le nombre de consultations prénatales était plus important que celui attendu.

Dès lors qu’elles présentent le « risque » d’être enceinte, les femmes cherchent à se prémunir contre les coûts d’une grossesse grâce au système d’assurance proposé. Le tableau suivant montre comment la fréquence des consultations prénatale est supérieure à celle projetée.

40 Président du conseil de surveillance de la Münchener Rück et Président du Conseil de la Fondation Münchener Rück

Fréquence d’utilisation : consultations prénatales (en %)41

Évaluation de la rentabilité des projets de micro-assurance

Cette exemple montre que malgré les tentatives de l’assureur pour contrer le risque d’anti-sélection (ici une période probatoire de 3 mois), il doit rester vigilant.

c) Fraude

La fraude exige de la part des micro-assureurs des contrôles rigoureux à la souscription et lors de l’indemnisation. Pour l’assurance santé, les bénéficiaires doivent présenter des documents justifiant leur identité afin d’être indemnisés.

Les contrôles ne sont pas toujours aisés car la documentation demandée n’existe pas nécessairement. La surveillance du portefeuille nécessite une certaine expertise des risques dont seul l’assureur à l’expérience. Le contexte politique ainsi que les traditions culturelles peuvent favoriser la fraude ce qui ne facilite pas la tâche de l’assureur.

d) Risque covariant

Le risque covariant est celui d’un péril qui frappe un grand nombre de titulaires de police au même moment (par exemple un séisme) ou une série de risques qui surviennent régulièrement ensemble (au même moment ou dans les mêmes circonstances)42.

Les micro-assureurs sont exposés à ce risque dans la mesure où ils couvrent souvent des groupes de population provenant d’une même région voire d’un même village. La petite taille des institutions ne permet pas toujours une mutualisation des risques. L’assureur traditionnel qui intervient sur le marché est très utile puisqu’il peut diluer cette covariance au sein d’un portefeuille plus vaste.

41 Olivier Louis dit Guérin, Association d’Entraide des Femmes (Bénin), Case Study n°22, february 2006

42 Glossaire de la micro-assurance en Annexe

2. L’évaluation des programmes de micro-assurance

Il existe des organismes qui notent les Institutions de Microfinance (IMF) à la manière des agences de rating selon des méthodes et critères précis. Ils proposent ensuite leurs listes aux donateurs et investisseurs pour qu’ils fassent leur choix.

Mais l’investissement dans une institution de microfinance ou de micro-assurance se fait-il de la même façon que dans une entreprise ? Le mode de financement par investissement n’est-il pas moins légitime que le don ?

Mix-market, par exemple, est une base d’information sur la microfinance disponible sur un site internet. Cette plate-forme, qui fournit des renseignements sur près de 1000 IMF, est un projet de l’UNCTAD – United Nations Conference on Trade and Development.

Il est intéressant de constater que les informations se concentrent principalement sur les données financières des institutions ainsi que leurs résultats audités. Il reste à savoir si les donneurs et investisseurs choisissent réellement les projets qu’ils vont financer sur ces critères. Il semble en effet que d’autres paramètres puissent entrer en ligne. La viabilité des institutions est fondamentale pour assurer la pérennité des partenariats.

Les organisations de microfinance reçoivent de la part des assureurs qui s’engagent à leurs côté un soutien financier essentiel. L’aspect financier est fondamental mais il ne faut pas non plus négliger l’implication des structures par des moyens non-financiers, par exemple en fournissant du matériel, des ressources humaines, ou des prestations gratuites.

Pour mesurer les performances d’un produit de micro-assurance, les analystes ont besoin d’un référentiel. Il s’agit de mesurer la viabilité (dans le sens durable) des entreprises de micro-assurance et non de se focaliser sur les chiffres de la rentabilité à très court terme. Le « Workshop » de Luxembourg en octobre 200643 avait insisté sur la mise en valeur des « performances sociales » des activités de micro-assurance.

43 Performance indicators for microinsurance practitioners, Workshop report, Luxembourg, 16/17 October 2006

Les 10 indicateurs clés44

IndicateurDescriptionRecommandations dans le cadre de la micro-assurance
1– Revenu net=Revenu net (sans les charges) / Primes émisesUn bénéfice de 5% est considéré comme acceptable
2– Frais de gestion et acquisition=Charges d’exploitation / total des primes perçues plus autres revenus d’assuranceCharges d’exploitation = frais de personnel, de transport

(et autres frais liés à la vente des polices) ; les coûts indirects, s’il y a lieu, doivent être imputés.

entre 5 et 30%.20% est jugé être un ratio convenable
3– Ratio « sinistres à primes »=Total des frais d’indemnités versés sur une période / total des primes (cotisations) acquises au cours de la même période (déduction faite d’éventuelles primes versées au réassureur)< 60%
4– Taux de renouvellement=Nombre d’assurés reconduisant leur assurance/ Nombre total d’assurésDes variations importantes sont observées suivant le contexte et le produit (on juge que 80% est un bon taux ; un minimum de50% atteste d’une fidélisation des clients, donc de l’intérêt du produit).
5- Délai de paiement des sinistres= Délai entre la date de déclaration de sinistre et le paiement des prestationsLes règlements de sinistres doivent prendre maximum deux
dus à l’assuré ou sesbénéficiaires.semaines.Au-delà de 90 jours, le programme doit être sérieusement modifié.
6- Taux de rejet des sinistres= Pourcentage de sinistres déclarés qui ne sont pas indemnisés par l’assureur (cas d’exclusions prévus notamment dans le contrat)Un ratio trop élevé signifierait par exemple une propension à la fraude, ou un manque d’explication de l’assureur à l’égard des assurés. Dans tous les cas, un ratio trop élevé constitue un mauvais résultat.
7- Taux de croissance= croissance de l’activité entre deux datesExprimé en nombre d’assurés, valeur des primes, etc.
8- Taux de participation= Pourcentage de la population cible effectivement couverteDans les pays occidentaux, on juge que80% est un taux correct. Dans les pays du Sud, ce taux peut varier

fortement (en assurance maladie, on estime que

30% est déjà un très bon taux moyen).

9 – Ratio de solvabilitéLes entreprises d’assurance doivent en effet disposer d’une marge de solvabilité prudentielle fixée par la réglementation.Marge prudentielle définie souvent par la réglementation.115% au minimum
10 – Ratio de liquidité(Cash ou actifs convertibles facilement en cash, à disposition de l’assureur) / (Sinistres à payer dans les trois mois ou dans l’année selon les commentateurs)Ce ratio doit être supérieur à 1.

44 D’après le tableau du Portail Microfinance : http://lamicrofinance.org/resource_centers/micro_assurance/micro_assurance6

Denis Garand et John Wipf ont mené une étude sur plusieurs micro- assureurs pour déterminer quels indicateurs devaient devenir des outils de référence pour les comparaisons entre organismes de micro-assurance. Ces indicateurs sont à la fois qualitatifs et quantitatifs. L’agrégation des scores obtenus pour chaque indicateur donne le classement dans le tableau suivant pour les micro-assureurs retenus :

Classement des IMF selon les critères d’évaluation proposés45

Micro-assureurPaysRating
YeshasviniInde82%
Card MBAPhilippines77%
SEWAInde76%
AssefBénin73%
Grameen KalyanBangladesh70%
ServiPeruPérou64%

Les « ratings » proposés par Denis Garand et John Wipf font la synthèse entre l’ensemble des indicateurs. Ils prennent en compte le marketing et la distribution, le management et la viabilité financière, l’efficacité et l’investissement des organisations.

A la manière des agences de rating pour les compagnies d’assurance, la notation des micro-assureurs peut fournir des données intéressantes pour les comparer de manière plus efficace et pour qu’ils puissent apprécier leur position par rapport aux autres.

Toutefois d’autres critères que la viabilité financière et économique sont sans doute à prendre en compte.

Viabilité administrative Viabilité fonctionnelle Viabilité institutionnelle

Efficacité des règlements de sinistres

Impact : population couverte

Mais les indicateurs correspondant sont encore en cours d’élaboration.

45 Denis Garand, John Wipf, Performance indicators and benchmarking, Protecting the poor : a Microinsurance compendium, 2006

3. L’observation des expériences à travers quelques exemples

Comment les assureurs, acteurs sur le marché perçoivent la micro-assurance ? Est-ce véritablement une activité de « niche » ? Pourquoi s’engagement-ils dans la micro-assurance ?

D’après l’analyse des expériences des assureurs, ceux qui se sont engagés ne l’ont pas fait jusqu’à maintenant sur des critères financiers de rentabilité.

a) Les assureurs engagés dans la micro-assurance

AIG en Ouganda s’est associé à l’IMF FINCA pour 3 raisons principales :

  • * l’infrastructure quelle proposait était préexistante : l’institution avait déjà constitué son réseau de distribution et possédait des données historiques sur les populations nécessaires à une bonne tarification des produits de micro-assurance
  • * la possibilité de se désengager rapidement
  • * le faible coût du projet et les pertes limitées

Cet exemple montre l’extrême (l’excès de?) prudence avec laquelle les assureurs s’engagent dans les programmes de micro-assurance.

Le bilan de cette expérience semblait positif en 2003. AIG Ouganda assurait 1 600 000 vie, équivalant à 13% de la population ougandaise, le chiffre d’affaire était en augmentation avec17% de bénéfices et l’assureur jouissait d’une bonne image auprès de la population.

L’assureur AIG a eu en Inde plusieurs autres motivations pour s’intéresser à la micro-assurance. Pour pouvoir vendre de l’assurance, l’assureur Tata-AIG était obligé de vendre un certain pourcentage de polices aux populations à bas revenus (de 7 à 16% en Vie et de 2 à 5% en Non vie). Cette condition à l’entrée sur le marché, fixée par l’autorité de contrôle, l’a donc contraint de s’intéresser à la micro-assurance.

Plusieurs points pouvaient l’intéresser :

Mettre en œuvre la politique de responsabilité sociale de l’entreprise

Obtenir le soutien de l’organe de contrôle indien

Promouvoir la marque AIG à travers le pays

Initier des programmes pour une rentabilité future

Au total, 34 100 contrats de micro-assurance ont été souscrits entre mars 2002 et juin 2005 avec un total de USD 122 000 primes. Le coût de la mise en place du programme est de l’ordre de USD 234 000 (hors indemnités et commissions des « micro-agents »). Il est trop tôt pour connaître la rentabilité du programme mais il est intéressant de voir la part minime qu’occupent les activités de micro-assurance dans les opérations de Tata-AIG : 0,5% des primes, 1% du personnel et moins d’1% des provisions.

La Equidad est une coopérative d’assurance formée à l’origine pour protéger les ménages les plus pauvres et les micro-entreprises. Ce n’est pas dans un but lucratif que cette coopérative a choisi de vendre des contrats de micro-assurance.

Son produit « Amparar » distribué pas l’institution de Microfinance WWF est devenu rentable en 18 mois seulement et assure actuellement près de 12 000 vies. Le revenu généré par la vente de ce produit était en 2004 de 22% des primes émises. S’il est encore trop tôt pour conclure sur la profitabilité de ce produit, les résultats sont encourageants.

Il faut toutefois nuancer l’impact des résultats de la micro-assurance. Les deux produits de micro-assurance de la Equidad représentaient au total 3% seulement des primes de la société vie.

b) Un assureur plus hésitant

D’autres sociétés ont pu être amenées à évaluer les possibilités de faire de la micro-assurance et rejeter cette idée.

HSBC Assurances avait organisé une étude de faisabilité en 2006 pour lancer un projet de micro-assurance avec une ONG (Opportunity International la première institution caritative («charity ») au Royaume-Uni) déjà partenaire sur des projets de microfinance avec la partie bancaire.

La banque est en effet impliquée dans de nombreux programmes qu’il s’agisse de micro-crédits en Inde et au Mexique ou de faciliter les transferts d’argent des travailleurs migrants philippins à leurs familles. Malgré ces premières expériences positives dans le domaine de la microfinance, les opportunités en micro-assurance n’ont pas donné suite. Les bénéfices pour HSBC étaient répertoriés comme suit :

  •  La reconnaissance de la marque auprès d’une nouvelle cible
  •  L’influence sur les populations pauvres, consommateurs de demain
  •  Mise en place aisée pour un potentiel de clients important
  •  Un projet peu coûteux
  •  L’intégration dans les objectifs de responsabilité sociale (« Corporate social responsibility »)

Le produit d’assurance emprunteur proposé devait être rentable au bout d’une année. Pourtant HSBC n’a pas jugé intéressant ce projet pilote.

S’agit-il d’un manque d’intérêt de la part de ce bancassureur de niveau mondial ? L’assurance semble pourtant être au cœur de ses préoccupations stratégiques.

Les possibilités de mener un projet ont été évaluées et rejetées. Les retombées financières du projet étaient dérisoires pour HSBC si bien que le projet était analysé uniquement du point de vue de ses retombées en terme d’image et de responsabilité sociale.

De plus, les exigences de « compliance » (conformité a la législation) auxquelles sont soumises les institutions financières mondiales posaient problème. Les objectifs de KYC (Know Your Customer) établis par le GAFI (Groupe d’Action Financière sur le blanchiment des capitaux) comme un standard international sont fondamentaux pour un groupe financier comme HSBC.

Le fait que les clients des institutions de micro-assurance ne sont pas toujours en mesure de fournir des documents attestant de leur identité est problématique pour une banque. Elle ne peut pas accepter ces clients sans risquer d’être impliquée dans des affaires de blanchiment d’argent.

KYC

Le devoir de diligence de la banque en matière de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme et de relation d’affaire avec des personnes politiquement exposées est de plus en plus réglementé et est rendue obligatoire dans plusieurs pays dont les Etats-Unis avec le « Bank Secrecy Act » et le « USA Patriot Act ». Les institutions financières doivent, pour quantifier le risque apporté par chaque client, les identifier et vérifier les informations qui le concerne, notamment s’assurer qu’il ne figure pas sur les listes officielles de traque des terroristes.

Il semble difficile d’exiger au niveau des institutions de micro-assurance d’effectuer des contrôles aussi drastiques que ceux demandés par les services de « compliance » des grands groupes.

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