Le respect des obligations, la vente en ligne de médicaments

Le respect des obligations de résultat sur l’internet – Section 3 :
58- Il importe de préciser que le pharmacien est également soumis à des obligations de résultat, celles qui résultent de son statut de commerçant, fondées sur sa responsabilité contractuelle reposant sur les articles 1641, 1642, 1644 et 1645 du Code civil. Ce sont les obligations issues du contrat de vente. Le pharmacien, en tant que vendeur, est tenu d’exécuter correctement le contrat de vente qui le lie à son client, et doit donc répondre des vices cachés du médicament délivré. La responsabilité du fabriquant du médicament peut être mise en cause si les vices étaient inconnus du pharmacien. En outre, le pharmacien doit délivrer un produit conforme à celui que le client lui demande et cette vigilance se ressent à plusieurs niveaux. Ainsi, il doit contrôler le nom du produit, les voies d’administration et le dosage du médicament. Parallèlement à cela, il ne doit pas commettre d’erreur résultant d’une négligence ou d’une inattention et ne doit dispenser que des produits conformes à la pharmacopée française.
De toute évidence, il n’y a pas de difficulté particulière à la transposition de ces exigences sur l’internet car elles l’ont déjà été pour toutes les ventes à distance. Le fait que le produit livré soit un médicament ne pose pas davantage de problèmes que le respect des obligations qui incombent à tout vendeur au titre du contrat conclu avec le consommateur.
59- Il lui incombe en outre des obligations de résultat résultant de sa profession, comme celle d’un exercice personnel. Ainsi le pharmacien doit « exécuter personnellement les actes professionnels, ou [du moins] en surveiller attentivement l’exécution s’il ne les accomplit pas lui-même »126. Dans le même sens, « aucun pharmacien ne peut maintenir une officine ouverte, ou une pharmacie à usage intérieur en fonctionnement, s’il n’est pas en mesure d’exercer personnellement ou s’il ne se fait pas effectivement et régulièrement remplacer »127. Ensuite, une officine doit afficher clairement et lisiblement de l’extérieur le nom des propriétaires de façon conforme à la dignité professionnelle128.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a été amené à se prononcer sur la vente de lentilles de contact sur l’internet et a considéré que « la lecture combinée des articles L. 505 et L 508 [du CSP] et les impératifs de santé publique qu’énonce la jurisprudence tant communautaire qu’interne [permettent d’affirmer] que la vente de ces produits requiert la présence effective et permanente d’un opérateur qualifié exerçant la profession d’opticien- lunetier, garantissant la protection de la santé publique ; or attendu qu’en l’état du mécanisme de vente à distance mis en œuvre en l’espèce ; entre « personnes absentes », il n’est manifestement pas rapporté en preuve que ce procédé permette de garantir le respect des obligations édictées à l’égard du vendeur par les dispositions réglementaires en vigueur »129.
Cette espèce était relative à des lentilles de contact, qui sont des produits pharmaceutiques, et la profession d’opticien-lunetier est moins réglementée que celle de pharmacien ne l’est. Dès lors, il est logique de transposer cette exigence à la pratique qui nous inquiète, d’autant plus qu’elle consiste à imposer à un site de vente de médicaments la présence effective et ininterrompue d’une personne qualifiée, id est du pharmacien administrateur du site, ce qui est impossible, ou du moins à ce qu’il soit garanti que des pharmaciens sont continuellement présents sur le plateau, ce qui est en revanche possible. Ainsi, l’obstacle français de l’exigence d’un colloque singulier entre le patient et le pharmacien serait susceptible d’être franchi et le respect des règles déontologiques qui gouvernent la profession deviendrait concevable.
Dans un même ordre d’idées, la Cour d’appel de Paris a condamné le laboratoire Juva Santé pour avoir commercialisé des produits destinés aux lentilles oculaires via un site internet130. En vertu de l’article L. 4211- 1- 2° du CSP, la v ente de ces dispositifs médicaux est réservée aux pharmaciens, et, par dérogation, aux opticiens. Comme le rappelle la décision, ces restrictions se justifient par des raisons de protection de la santé ou de la vie des personnes et, dans ces réseaux, des professionnels spécialisés ou habilités sont à la disposition des clients, ce qui n’est a priori pas le cas d’un site sur l’internet ni des rayons « parfumerie » ou « parapharmacie » des hypermarchés, selon la Cour d’appel. Elle considère dans cette espèce que le laboratoire a, en passant outre ce monopole, désorganisé le marché et privé le consommateur du conseil et de l’assistance dont il pourrait bénéficier de la part de professionnels. Or, ici encore, l’argumentation de la Cour peut être remise en cause. Il est tout à fait possible que des professionnels spécialisés soient à la disposition des clients sur l’internet. La Cour le rappelle, les obligations liées au monopole pharmaceutique et à l’exercice personnel de la profession ne sont ni contraires à la Directive sur les dispositifs médicaux ni à celle sur le commerce électronique, qui prône certes la libre circulation des marchandises, mais n’intervient pas sur les régimes dérogatoires. En tant que telles, leur respect doit être assuré, quel que soit le contexte de la vente. Ce raisonnement par affirmation est critiquable, si la vente sur l’internet enfreint nécessairement le monopole de la pharmacie, elle peut tout à fait être envisagée dans le respect du monopole du pharmacien. Le site internet doit présenté de façon digne et conforme à la profession et être administré par des pharmaciens dont le nom doit être affiché clairement et lisiblement, il n’y a pas d’obstacle lié à l’exercice personnel, qui ne soit infranchissable.
Toutefois, la distinction entre monopole de structure et de personne ne devrait pas, à notre sens, être totalement éliminée par la seule acception du monopole en tant que monopole du pharmacien, ni par l’assimilation de la définition de la pharmacie électronique à la pharmacie physique, permettant de respecter le monopole de la pharmacie sur l’internet. En effet ces distinctions pourraient demeurer utiles. Si le droit français consacrait la licéité de la vente via l’internet des seuls médicaments non soumis à prescription médicale, il pourrait s’agir de soumettre les médicaments soumis à prescription médicale obligatoire au monopole de structure, de la pharmacie physique, tandis que les autres ne seront soumis qu’au monopole du pharmacien. Le monopole de la pharmacie est plus exigeant, car il exige que le cadre de la vente soit l’officine pharmaceutique physique, ce qui induit de fait que le vendeur sera nécessairement un pharmacien, le monopole du pharmacien étant une notion à contenu limité qui impose seulement la présence d’un pharmacien, quel que soit le lieu de la commercialisation.
Dès lors qu’il n’y a plus d’échange réel entre le pharmacien et le médecin, il importe de mettre à la disposition du cyber-consommateur des moyens virtuels d’échange efficaces avec son contractant afin, d’une part, de lui garantir l’information et la protection nécessaires et de permettre, d’autre part, au professionnel de la santé de satisfaire les nombreuses règles déontologiques qui encadrent sa profession.
60- L’étude du contexte juridique de la vente de médicaments démontre que le pharmacien peut voir sa responsabilité engagée facilement, en particulier sur l’internet. Le nombre des obligations auxquelles il est soumis est considérable en droit français, la confiance en l’internet est moindre, donc les exigences doivent être intensifiées. Il semble évident que le risque pour le pharmacien de commettr
e une faute dans l’hypothèse de l’exercice de sa profession par le biais d’une officine électronique en vendant des médicaments au public français est considérablement accru du fait de l’immatérialité de la relation ainsi que des échanges. Cette difficile appréhension sur l’internet d’une relation virtuelle particulière entre le patient et la personne qui lui délivre des médicaments présente un risque important. En effet, la conclusion d’un contrat à distance entre « absents » implique de nombreux obstacles au respect des diverses obligations précitées en l’absence d’une relation de visu avec le patient, que ce soit dans l’exécution des prescriptions, leur contrôle, dans l’octroi de conseil ou encore des fautes inhérentes à la conformité ou la qualité du produit vendu.
Si l’on examine pas à pas et rigoureusement les règles qui gouvernent la profession de pharmacien, chaque disposition suscite un nouveau problème d’interprétation à la lueur du droit du commerce électronique ; n’est-il pas plus logique de faire le constat que la loi française est par définition destinée à s’appliquer à quiconque se trouvera sur le territoire physique français et que par là même elle n’est pas foncièrement adaptée à un vecteur de communication immatérielle ?
61- Il est nécessaire, certains diront vital, que les autorités françaises se positionnent sur cet enjeu de santé publique, qu’il soit décidé au terme d’une réflexion pragmatique si la vente de médicaments sur l’internet est interdite en droit français ou si au contraire elle est autorisée. Quoiqu’il en soit, l’admission de cette pratique nécessiterait un bouleversement des règles de droit de la santé publique et il semble qu’une démarche aisée pour l’inclure dans notre législation pourrait consister en la mise en place d’une réglementation particulière à la vente de médicaments via l’internet. La refonte pourrait ressembler à ce qui a déjà été imaginé afin de faciliter le fonctionnement des pharmacies à usage intérieur, dont le régime est fixé par les articles L. 5126- 7 et suivants, complétés par la loi du 27 juillet 1999. Il faudrait dès lors penser à insérer un régime propre à l’officine électronique et établir en outre un système technique adapté au support, qui permettrait à la fois de satisfaire les nombreuses exigences déontologiques, et de contrôler leur respect.
Néanmoins, il convient de rappeler qu’une autre démarche peut être envisagée, et c’est cette voie qu’empruntent aujourd’hui les juridictions, à défaut de règles spéciales. Les règles françaises peuvent être repensées afin de les adapter à l’internet. Si certains auteurs sont catégoriques et déclarent que « la vente au public et l’achat de médicaments via l’internet, en France, sont interdits »131, il n’y a néanmoins pas d’obstacle catégorique infranchissable à l’admission d’une cyber-commercialisation de médicaments, à condition que ce type de vente respecte des normes de sécurité et soit sous contrôle.
62- En tout état de cause, il est nécessaire de renforcer la relation entre le professionnel de la santé et le patient afin de respecter l’exigence sanitaire du colloque singulier sur l’internet, malgré le paradoxe classique de la révolution informatique où l’on voit que les internautes sont connectés au monde entier mais restent néanmoins seuls face à leurs écrans. A toutes les interrogations succèdent inévitablement les questions pratiques, plus particulièrement techniques, destinées au respect des exigences juridiques. Or, il a été démontré que les réponses aux principales difficultés constatées qui naissent de l’évolution technologique peuvent être trouvées au sein même de la technologie qui les génère. La seule difficulté qu’il resterait à résoudre serait la question du remboursement des dépenses de santé sur l’internet par l’assurance maladie, la réponse résultera de son appréciation et ne présente pas de difficulté d’ordre juridique.
Quoiqu’il en soit et quelles que soient les solutions pouvant être apportées afin de permettre sur l’internet le respect de la réglementation pharmaceutique, le débat pourrait renaître au regard des dispositions de l’article R. 5015- 3 du CSP car la dispensation de médicaments sur l’internet pourrait être considérée par les membres de l’Ordre comme un fait de nature à déconsidérer la profession ou comme une « pratique contraire à la préservation de la santé publique »132, voire contraire à la dignité de la profession. En outre, s’il est possible d’imaginer que la plupart des dispositions législatives régissant la vente de médicaments en ligne puissent être adaptées à l’internet, la pratique se heurte toujours à un autre facteur : l’internationalité. En effet, nul n’ignore que l’internet constitue un espace affranchi de ses frontières physiques. L’applicabilité des règles de la vente de médicaments à l’internet a été abordée dans un contexte territorial national ; lorsqu’elle est imaginée dans un univers transfrontière, le constat se heurte toujours à cette difficulté : toutes ces exigences n’ont pas été harmonisées à un niveau international. Il n’est donc pas nécessaire de cataloguer toutes les dispositions législatives françaises qui régissent la vente de médicaments qui deviennent d’application délicate lorsqu’elles sont confrontées au dépassement des frontières pour arriver à ce constat. En revanche, il convient d’analyser les moyens juridiques dont nous disposons pour appréhender les interrogations nées d’un commerce transfrontière de médicaments via l’internet afin d’envisager des solutions.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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126 Article R. 5015- 13 du CSP.
127 Article R. 5015- 50 du CSP.
128 Articles R. 5015- 52 et R. 5015- 53.
129 TGI Paris Ord. Ref., 24 novembre 1998 n° 63197/ 98 (BF)- Gazette du Palais 23-24 juillet 1999.
130 CA Paris, 5°ch. A, 2 mars 2005, n° 03/ 07533.
131 Voir J. Parrot, Internet, le Code, la loi et l’Ordre, Bulletin de l’Ordre n° 366 avril 2000.
132 Article R. 5015- 10 du CSP : «Le pharmacien doit veiller à ne jamais favoriser, ni par ses conseils ni par ses actes, des pratiques contraires à la réservation de la santé publique ».

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