Un brevet renforcé et un champ de brevetabilité élargi

Un brevet renforcé et un champ de brevetabilité élargi

Section 2 – Environnement actuel

La section précédente jette un éclairage nouveau sur le patent trolling en montrant que des conditions juridico-économiques similaires à celles d’aujourd’hui avaient, au 19ème siècle, stimulé des comportements opportunistes de certains détenteurs de brevets. Il convient à présent d’étudier les circonstances propres à l’époque actuelle.

§1. Un brevet renforcé et un champ de brevetabilité élargi

Outre un renforcement progressif du droit des brevets85, de nouvelles catégories d’inventions sont entrées, au fil des ans, dans le champ de la brevetabilité. L’arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis Diamond v. Chakrabarty86 de 1980 constitue la véritable impulsion vers un élargissement du champ de la brevetabilité : le Chief Justice Warren E. Burger reprit, dans son argumentaire, un élément fondamental tiré d’un rapport accompagnant le Patent Act de 195287.

Selon ce rapport, est brevetable « anything under the sun made by man ». Ainsi, toute invention de l’homme peut être brevetée. En l’espèce, il s’agissait d’un organisme génétiquement modifié88.

Les deux domaines entrés récemment dans le champ de la brevetabilité et pertinents pour notre étude sont les logiciels et les business methods. Nous l’avons évoqué brièvement au chapitre précédent : les trolls aiment les brevets larges, protégeant des inventions issues de domaines propices au hold-up et/ou affectés par un épais patent thicket, difficilement interprétables et, parfois, à la validité douteuse. C’est dans ces domaines particuliers que sont, le plus souvent, issus des brevets de « mauvaise qualité »89.

A. LES LOGICIELS

Le cas des logiciels ou softwares illustre bien l’élargissement du champ de la brevetabilité. Puisque ceux-ci sont un ensemble de codes, leur protection relevait traditionnellement du domaine du droit d’auteur, du copyright : c’est le caractère écrit du code qui sous-tend ce principe. Ces dernières années, l’on a assisté à une recrudescence des brevets accordés pour des logiciels, surtout aux Etats-Unis90 mais en Europe91 également : c’est la solution technique qui est maintenant protégée.

Bien qu’une protection intellectuelle des logiciels soit bienvenue, les critiques estiment que le brevet, dans son état actuel, n’est pas le mécanisme le plus approprié : D. L. Burk et M. A. Lemley92 montrent que le système actuel génère, dans ce domaine, quelques brevets larges dominants ce qui, selon eux, ne convient pas à une industrie caractérisée par des innovations rapides, incrémentales et cumulatives. Cela est dû à des critères stricts pour estimer le caractère non-évident de l’invention combinés à une obligation de divulgation relativement laxiste. Si le brevet ne définit pas de manière claire, précise et non ambigüe l’objet de la protection, il sera malaisé à interpréter et génèrera une insécurité juridique de laquelle les trolls pourront, le cas échéant, profiter.

B. LES BUSINESS METHODS

Les business methods sont, depuis 199893, brevetables aux Etats-Unis. Ces brevets ont surtout cours dans le domaine de l’e-commerce94 et des services financiers.

Premièrement, estimer une demande de brevet pour une business method est particulièrement difficile pour les examinateurs, spécialement en ce qui concerne le caractère non-évident de la méthode et la réalisation de l’inventaire de l’état de la technique95.

D’un examinateur à l’autre, une demande de brevet sera acceptée ou rejetée, parfois même sur base des mêmes critères. Ensuite, un brevet sur une business method souffre des limites du langage : il est difficile, pour l’inventeur, de décrire, avec suffisamment de précision et de clarté, l’étendue exacte de ses revendications. Une fois délivré, le brevet sera toujours sujet à interprétation, que ce soit celle d’un concurrent, d’un contrefacteur ou d’un juge. Enfin, et ceci est la conséquence des deux points précédents, leur validité est fréquemment discutable.

85 Pour un bref historique et un état des lieux des principaux textes législatifs américains, européens et internationaux, qui témoignent d’un renforcement du droit des brevets et de la protection de la propriété intellectuelle au sens large, voyez l’Annexe II.

86 Diamond v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980).

87 S. Rep. No. 1979, 82d Cong., 2d Sess., 5 (1952) et H.R. Rep. No. 1923, 82d Cong., 2d Sess., 6 (1952).

88 En Europe, l’on reste réticent vis-à-vis de la brevetabilité du vivant. Il reste que la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, J.O., L 213, du 30 juillet 1998, p. 13 admet, dans une certaine mesure, la brevetabilité des gènes et des séquences génétiques, s’ils sont le résultat d’un processus qui a mené à les isoler. Le préambule est chargé de considérations éthiques, fait rare pour une directive européenne et témoin de la sensibilité du sujet.

89 Voyez J. F. MCDONOUGH III, « The Myth of the Patent Troll: An Alternative View of the Function of Patent Dealers in an Idea Economy », Emory Law Journal, vol. 56, p. 202. A titre d’exemples, l’auteur cite l’ U.S. Patent No 6,701,872 portant sur une méthode pour entraîner un chat domestique avec un pointeur laser et l’U.S. Patent No 6,368,227 portant sur une méthode pour « balancer une balançoire ».

90 Voyez Diamond v. Diehr, 450 U.S. 175 (1981). Cette décision, la première du genre, établit que l’exécution d’un processus physique, contrôlé par un programme informatique, est brevetable. Voyez également In re Lowry, 32 F.3d 1579 (Fed. Cir. 1994) pour le cas d’une mémoire contenant des structures de données ainsi que BITLAW, « The History of Software Patents: From Benson and Diehr to State Street and Bilski », http://www.bitlaw.com/software- patent/history.html (consulté le 7 juillet 2010).

91 Bien que la convention de Munich exclut explicitement, en son article 52, les programmes d’ordinateur du champ de la brevetabilité, un certain nombre de brevets furent néanmoins délivrés, portant alors sur la solution technique.

92 D. A. BURK et M. A. LEMLEY, « Designing Optimal Software Patents », Minnesota Legal Studies Research Paper, 2005, n° 05-11 et Stanford Public Law Working Paper, 2005, n° 108, p. 81.

93 State Street Bank and Trust Company v. Signature Financial Group, Inc., 149 F.3d 1368 (Fed. Cir. 1998).

94 Citons le brevet U.S. Patent No 5,845,265 de MercExchange qui couvre la fonction « Buy it now » de eBay ou le U.S. Patent No 5,960,411 qui protège la technologie « One click ».

95 W. FISHER et G. ZOLLINGER, « Business Method Patents Online », http://cyber.law.harvard.edu/ilaw/BMP/ (consulté le 2 août 2010).

96 Bilski v. Kappos, 561 U.S. (2010).

La Cour Suprême des Etats-Unis a récemment rendu un arrêt96 qui encadre plus qu’il ne remet en question la validité des brevets portant sur les business method . La Cour a refusé de les exclure catégoriquement du champ de la brevetabilité mais a réaffirmé l’usage du « machine-or- transformation test »97 comme indice pour déterminer la brevetabilité. La décision n’a pas été unanime, ce qui prouve le caractère hautement subjectif des critères de brevetabilité des business methods98.

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