Notion de faute permettant de dépasser la limitation de responsabilité

Notion de faute permettant de dépasser la limitation de responsabilité

§ 1) Élargissement de la notion de faute permettant de dépasser la limitation de responsabilité

Le Parlement européen estime que « la définition dans la Convention LLMC de la faute de nature à faire sauter le plafond de limitation de responsabilité (faute inexcusable) est interprétée de manière contrastée par les juridictions des États Membres».

Certaines Cours continuent d’exiger, pour admettre le déplafonnement de la limitation de responsabilité, que le plaignant apporte la preuve que la personne responsable avait effectivement conscience des conséquences dommageables de son comportement.

Le responsable se voit alors accorder de fait un droit quasi- absolu de limiter sa responsabilité. D’autres juges estiment que la gravité de l’acte ou de l’omission doit parfois conduire à présumer que leur auteur avait nécessairement conscience des conséquences dommageables qui pouvaient en résulter (c’est le cas de la jurisprudence française).

Cette divergence d’interprétation doit être considérée « comme inadéquate au moment où les principes de précaution et de «pollueur payeur» sont reconnus et mis en œuvre par le droit communautaire et où la protection des citoyens contre les risques industriels est au cœur des préoccupations de politique publique». Cette situation n’est ni un encouragement à la vigilance et au respect des normes internationales par les opérateurs du transport maritime, ni un traitement juste des victimes tierces qui peuvent se voir lésées par une limitation de leur dédommagement alors même que la personne responsable aurait agit dangereusement et sans se préoccuper des conséquences dommageable de son action («recklessness»).

Il a été donc suggéré par le Parlement, le texte initial de la proposition de directive élaboré par la Commission ne comportant pas de disposition analogue259, de faire prévaloir une interprétation large de la notion de faute inexcusable260 afin de laisser au juge la possibilité de lever le plafond de limitation de responsabilité lorsque les responsables auraient dû avoir conscience de la probabilité d’un dommage s’ils avaient agi en bons professionnels.

« Le Parlement européen propose que l’Union européenne adopte une acception plus sévère de la « faute inexcusable» que l’OMI, en épousant le concept des jurisprudences les plus récentes ( arrêt Heideberg – 31 mai 2005 – Cour d’Appel de Bordeaux) de « faute inexcusable objective», qui vise à l’appréciation de la faute sur la base de son degré de gravité, plutôt que sur l’indémontrable conscience des dommages graves qui pouvaient en résulter261».

Cette interprétation inscrite dans la directive permettrait alors de traiter les plus graves des dommages de pollution subis par les tiers non parties à l’opération de transport ou aux dommages environnementaux à la faune et la flore aquatique ou côtière (catastrophes chimiques). L’intégration du texte en droit communautaire permettrait par ailleurs à la Cour de Justice de faire prévaloir cette interprétation dans l’ensemble des États Membres.

Ce qui nous semble néanmoins peu cohérent dans le raisonnement du Parlement européen, c’est que la proposition de la directive en cause fait expressément et directement référence à l’article 4 de la Convention de Londres. Or, la Convention de Londres est un texte de chef international, adopté sous les auspices de l’OMI, et pas communautaire, dont l’objectif est d’unifier262 un certain domaine maritime de droit (celui de la limitation de responsabilité pour des créances maritimes) à l’échelle mondiale263 et non pas communautaire.

L’adoption d’un tel texte amènerait à perturber l’ordre juridique international, compte tenu que l’intention du législateur international était, nous l’avons déjà noté, de créer un droit de limitation incontournable. C’était pour ça qu’il a mis sur le pied l’expression de l’article 4 comme cause de déchéance, pour assurer que l’armateur ne serait privé du bénéfice de limitation que dans des hypothèses rares de comportements manifestement « inexcusables»264.

Pour conclure, on constate que l’esprit et la lettre des deux textes (Convention de Londres et Proposition de directive) sont essentiellement différents de façon à ce que l’adoption définitive de la dernière par l’UE aura inévitablement pour corollaire la naissance des deux ordres juridiques (un communautaire et un international) jouant en parallèle265 et rendant encore plus laborieux l’œuvre des tribunaux qui seront appelés à appliquer et surtout à interpréter, pour la même institution, des textes et des notions divergentes. Nous allons nous trouver devant la confusion la plus complète. En outre, il est loisible qu’un isolationnisme juridique et commercial au détriment de l’Europe soit créé.

259 Article 4§3 de la proposition de la Commission : « Les États membres déterminent le régime de responsabilité civile des propriétaires de navires et s’assurent que le droit des propriétaires de navires de limiter leur responsabilité est régi par toutes les dispositions de la convention de 1996».

260 Article 6§3 de la proposition de directive de la Commission, amendée (amendement n0 20) par le Parlement Européen : « Pour l’application de l’article 4 de la convention de 1996, la conscience d’un dommage probable par la personne responsable peut dans tous les cas être déduite de la nature et des circonstances mêmes de son fait ou de son omission personnels commis témérairement».

261 G. Savary, « Sécurité maritime : la responsabilité juridique face aux traditions maritimes», article paru sur le site personnel du député européen de même que dans «L’ Observateur de Bruxelles» – N°69. Il reste que l’arrêt de la CA de Bordeaux a, comme P. Bonassies l’a fait remarquer, été censuré par la Cour de cassation.

262 Massimiliano Rimaboschi, op. cit., p. 163 et s. et p. 211 et s.

263 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n0 10, p. 10 : « L’internationalisme du droit maritime découle de la nature des choses (…) les réglementations maritimes ont tendu à s’harmoniser et à s’unifier dans une dialectique permanente du national et de l’international».

264 Ph. Boisson, préc. : « Il y a un risque de conflit entre droit européen et droit international qui peut devenir source d’insécurité juridique et de distorsion de concurrence au détriment des armateurs français et européens».

265 Définissant le champ d’application de la directive, l’article 3§1 prévoit que celle-ci s’applique : a) aux zones maritimes sous juridiction des États membres, conformément au droit international; b) aux navires d’une jauge brute égale ou supérieure à 300 tonneaux, à l’exception du régime de responsabilité prévu à l’article 6 qui s’applique à tous les navires.

266 En effet, la Commission sur les 25 amendements adoptés en 1ère lecture par le Parlement européen, en retient 18 dans leur intégralité. Elle a également retenu, partiellement ou sous réserve de reformulation, 5 amendements parmi lesquels celui qui porte sur la notion de faute inexcusable. Finalement, la Commission ne peut pas accepter 2 autres amendements, et en particulier celui demandant la création d’un Fonds de solidarité destiné à couvrir les dommages causés par un navire n’ayant souscrit aucune garantie financière.

Il importe finalement de souligner que l’amendement proposé par le Parlement Européen au sujet du contenu de la notion de faute inexcusable a soulevé les réserves de la Commission266 qui énonce que « la description de la conduite supprimant le droit à la limitation (comportement à partir duquel le propriétaire de navire perd son droit à limiter sa responsabilité) est incomplète et doit donc être revisitée pour refléter de façon intégrale le dispositif de la directive, à savoir non seulement l’article 6, paragraphe 3a (fondé sur la faute inexcusable), mais aussi l’article 6, paragraphe 4 (fondé sur la négligence grave)».

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