Faute inexcusable et limitation de responsabilité, dommages matériels

Faute inexcusable et limitation de responsabilité, dommages matériels

Section 2 – La limitation de responsabilité : droit exceptionnel de l’armateur ?

L’auscultation des éléments de la notion de faute inexcusable nous conduit catégoriquement à confirmer la réserve des tribunaux à l’égard de l’institution de la limitation de responsabilité. La circonspection de la jurisprudence à l’endroit de cette institution dérogatoire au droit commun de responsabilité se manifeste en effet principalement par la conception abstraite de la faute inexcusable (§ 1).

Mais il convient de s’interroger si cette sévérité dont les tribunaux français font preuve dans l’appréciation de la faute inexcusable est justifiée, d’autant plus que l’ambition du législateur international était d’instaurer un droit à limitation presque incassable, en se prévalant d’une conception restreinte de la faute inexcusable. La problématique ainsi dégagée ne peut être épluchée qu’après avoir envisagé les dispositions du Code ISM et avoir analysé leur impact sur l’évaluation de la responsabilité de l’armateur et par extension sur son droit de limitation (§ 2).

§ 1) Le concept jurisprudentiel de la faute inexcusable facilite l’exclusion de l’armateur de la limitation de responsabilité

A) Faute inexcusable et limitation de responsabilité pour des dommages matériels

L’intention des rédacteurs de la Convention de Londres et par extension celle des rédacteurs de la loi française était incontestablement d’ouvrir plus largement l’accès à la limitation, en substituant, comme faisant obstacle à la limitation, la faute inexcusable à la simple faute, un droit «incontournable»111. D’après l’article 4 de la Convention, le critère de la conscience de la probabilité du dommage est subjectif et il ne suffit pas qu’un acteur plus raisonnable que le défendeur aurait eu conscience du risque pour conclure que le défendeur a commis une faute inexcusable.

Aux antipodes de l’esprit de la Convention de Londres, la jurisprudence française loin d’analyser le droit à limitation de responsabilité comme un droit inconditionnel, consacre – en maintenant que le critère de la conscience de la probabilité du dommage est un critère objectif112 – un privilège113 auquel peut seul prétendre l’armateur se conduisant en professionnel de haute conscience et compétence114.

La faute inexcusable est, comme Mme Isabelle Corbier le fait remarquer, devenue une simple variété de faute lourde, la jurisprudence s’appuyant sur l’idée que l’armateur est tenu d’une véritable obligation de sécurité de résultat115. Tout manquement à cette obligation doit être qualifié de faute inexcusable.

Si la jurisprudence ne semble pas avoir définitivement tranché la question du concept de la faute inexcusable, les deux derniers arrêts de la Cour de cassation dans les affaires  »Multitank Arcadia » et  »Heidberg » entraînant des réserves, on peut raisonnablement prétendre que la conception française de la faute inexcusable a été considérablement rénovée au cours de la dernière décennie.

Il s’agit d’un assouplissement constant de son admission au risque de renverser la logique de la limitation de la réparation tant et si bien que, de principe, la limitation de réparation deviendrait exception116.

Le droit maritime est donc actuellement le théâtre d’une évolution de la notion de la faute inexcusable. Cette mutation de la faute inexcusable en droit maritime n’est tout de même pas sans rappeler celle qu’elle connait actuellement en droit des accidents du travail dont l’évolution est sous- tendue par un objectif identique, à savoir casser la limitation forfaitaire de la loi du 9 avril 1989 et assurer ainsi à la victime une réparation intégrale de son préjudice117. « Pour la jurisprudence aujourd’hui, le recours à une conception large de la faute inexcusable, notion dont la définition varie selon les personnes qui l’invoquent, permet tantôt une meilleure indemnisation du salarié, tantôt la réparation intégrale du préjudice subi en matière de transport»118.

Confirmant son entreprise d’élargissement de la faute inexcusable en droit maritime, la Cour de cassation par son arrêt  »Stella Prima »119 a consacré la notion de l’apparence de faute inexcusable. En se contentant d’une simple apparence de faute inexcusable, la jurisprudence ouvre une lézarde dans la « clé de voûte» du droit maritime et place le droit à limitation de responsabilité en lévitation, entre deux chaises, entre la déchéance définitive et le droit à limitation avéré. « Cette position n’est certainement pas conforme à l’esprit, ni à la lettre de la convention de Londres. Le droit à limitation existe ou n’existe pas; il ne devrait pas suivre l’état de la marée judiciaire, dans ses flux et reflux».

Néanmoins, à vouloir adopter une conception de plus en plus large, les juges du fond risquent de faire perdre toute substance à la notion de faute inexcusable. Cette jurisprudence s’inscrit dans le droit fil de l’évolution du droit consistant à déchoir plus systématiquement le transporteur de soin droit à limitation, évolution que le renforcement de la sécurité maritime ne dément pas, bien au contraire120. « La notion de faute inexcusable de l’armateur permet actuellement aux juges du fond d’établir une distinction entre le « bon» et le « mauvais» armateur. Seul l’armateur irréprochable – c’est-à-dire l’armateur à qui l’on ne peut rien reprocher – est en droit de limiter le montant de sa responsabilité. à défaut, l’indemnisation des victimes ne peut être qu’intégrale121»

Cette solution pose d’ailleurs le problème de « l’interprétation franco-française» des principes d’origine internationale et plus particulièrement des conventions internationales de droit maritime122. Comme l’observait le Professeur Antoine Vialard l’interprétation judiciaire française du concept de faute inexcusable constitue donc un océan d’originalité dans une jurisprudence internationale massivement contraire123.

Cela à provoqué « l’isolationnisme» de la jurisprudence française dont certains auteurs se plaignent par rapport à l’interprétation de l’article 4 de la Convention de Londres qui tendait, nous venons de le souligner, à rendre « incassable» la limite de responsabilité124.

Il y a en effet dans les pays anglo-saxons (ou dans la Belgique125), une interprétation plus restrictive de l’exception prévue à l’article 4 au principe général de limitation de la responsabilité126 sauf aux États-Unis, qui n’ont pas ratifié la Convention de Londres et qui appliquent comme cause de déchéance du droit à limitation du shipowner, la owners privity or knowledge127 prévue dans la section 183 du 46 U.S.C128. On en infère que dans la comparaison entre le droit américain et la jurisprudence française il existe un phénomène d’unification.

111 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité» : DMF 2002, p. 403; R. Grime, « The loss of the right to limit», Institute of Maritime Law, The University of Saouthampton, Limitation of Shipowners Liability, The new law, , éd. Sweet & Maxwell, p 102 et s. : The formulation of intent and recklenesse contained in art. 4 of the Convention would seem to produce a result extremely favourable to limitation. There is good grounds for the view tha the rest is subjective and in its own terms requires proof a degree of knowlwdge which is likely to be difficult to etablish.

112 Et en mésestimant le caractère personnel de la faute inexcusable.

113 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., n0 435, p. 288 et P. Bonassies, « La convention de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes et le protocole de 1996» : Annales Inst. Méditerranéen Transp. Mar. 1996, p. 50 : la limitation de responsabilité de l’armateur même si elle se justifie par le caractère d’intérêt général de cette navigation, ne peut être conçue comme constituant pour les armateurs un droit incontrôlée. Au contraire, elle reste un privilège, que chacun doit mériter en prenant toutes les mesures qu’imposent la réglementation applicable en la matière ou la simple prudence d’un bon armateur.

114 T. com. Bordeaux, navire « Heidberg », 27 sept. 1993 : DMF 1993, p. 731, obs. A. Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes» et obs. T. Clemens-Jones « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ?».

115 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», Mélanges P. Bonassies, éd Moreux, 2001, p. 103 et s.

116 I. Corbier, « The notion of faute inexcusable », article publié sur le site personnel de l’auteur (www.isabellecorbier.com).

117 Cf supra, p. 24.

118 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» publié sur le site personnel de l’avocat, www.isabellecorbier.com de même qu’ à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p. 52-69.

119 Cass. com., 3 avril 2002, navire  »Stella Prima », DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité» et Hors série, DMF 2002, obs. P. Bonassies; pour l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier, v. CA Montpellier, 7 déc. 1999, DMF 2000, p. 813, obs. A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire» du droit à limitation de responsabilité» et Hors série, DMF 2000, obs. P. Bonassies : « nous regretterons que le juge se soit limité à la constatation d’une faute « présentant l’apparence d’une faute inexcusable».

120 P. Bonassies, Rapport des synthèse, Actes de la 9ème journée Ripert, DMF 2002, p. 1085 : cette réserve des tribunaux se manifeste surtout à propos de la notion de faute entraînant déchéance pour l’armateur du droit à limitation. V. aussi Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire», préc., no 51 : Rodière craignait que l’érosion de la faute ne pousse les juges à voir partout la faute inexcusable, par exemple le seul fait pour un armateur de laisser naviguer un navire dont il connaît un défaut quelconque (V. R. Rodière, Traité général de droit maritime : Dalloz, 1976, Introduction et Armement, n° 613).

121 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» publié sur le site personnel de l’avocat, www.isabellecorbier.com de même qu’ à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p.52-69.

122 M. Rimaboschi, op.cit., p. 213.

123 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire» du droit à limitation de responsabilité», DMF 2000, p. 813.

124 A. Vialard, « L’évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation» : DMF 2002, p. 579.

125 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute», DMF 2001, p. 659.

126 P. Bonassies, ibid : Il existe quand même certains États maritimes où aucune décision significative n’est certes intervenue, notamment en Italie ou en Grèce -ajoutons nous- (V. ainsi A. Kiantou Babouki, Droit Maritime, Sakkoula, 5e éd., 2005, p. 388; E. Gologina-Oikonomou, « Limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (l’article 4 de la Convention de Londres notamment en droit grec)», Quatrième conférence du droit maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international, Sakkoulas, 2001, p. 101).

127  »Privity extends to those faults in witch the owner actually participated, while konwledge includes those faults of which the owner has personal cognizance ».

C’est un double défaut que présente ainsi la conception française de la faute inexcusable : l’application d’une interprétation franco-française à un concept d’origine internationale, d’une part; et la violation manifeste de l’intention clairement affirmée du législateur international de rendre pratiquement « incassable» la limitation de la responsabilité, d’autre part.

La seule « vraie justification» de cette jurisprudence est, ce faisant, de venir en aide à des victimes : « déjà victimes de dommages causés par l’activité armatoriale, elles étaient, de surcroît, exposées à des plafonds de réparation qu’elles jugeaient ridiculement bas129 ». La jurisprudence française a certainement dû être influencée, par mansuétude à l’égard des victimes, par les plafonds relativement bas de la limitation de responsabilité octroyée à des armateurs dont l’image n’est pas toujours celle de l’impécuniosité130.

« Compte tenu du niveau plutôt faible de la limitation de responsabilité que la convention de Londres met en place, il est de plus en plus fréquent, si ce n’est pas systématique que le créancier auquel cette limitation est opposée cherche à en priver le débiteur en invoquant la faute inexcusable»131. « On constate ici, plus encore que dans le transport maritime des marchandises, la tentation quasi systématique des victimes de faire prononcer la déchéance du bénéfice de la limitation invoquée par le transporteur ou l’armateur»132.

Les tribunaux s’érigent en effet en censeurs des dispositions légales limitatives de responsabilité lorsque ces limitations ne permettent plus, de toute évidence, de répondre à l’attente légitime des victimes. Et cela d’autant plus que la Cour de cassation laisse aux juges du fond une grande liberté pour apprécier si les éléments constitutifs de la faute inexcusable existent bien. Influencés par la gravite d’un accident et par les conséquences dommageables de celui-ci pour la victime, les juges du fond ont tendance à faire perdre sa place spécifique attribuée à cette faute133.

« Or pour rester objectif, force est de signaler que les tribunaux français n’ont jamais nié le droit à limitation de l’armateur qui respecte ses obligations. Pour eux la limitation de responsabilité demeure un élément fondamental du droit maritime134». En témoignent deux arrêts de la Cour d’appel d’Aix en Provence135.

Le premier est l’arrêt  »Zulu Sea »136. Dans la première affaire en se fondant sur les conclusions de l’expert, les juges du fond ont constaté que l’abordage était dû à une succession de divers incidents mécaniques (d’où la responsabilité de l’armateur). Puis, relevant que le navire était en bon état d’entretien et que les fautes d’appareillage ne pouvaient pas être considérées comme des fautes personnelles commises par l’armateur, les juges du fond ont autorisé ce dernier à limiter sa responsabilité.

Et c’est le même raisonnement que l’on retrouve dans l’arrêt  »Moldavia »137. Dans cette affaire le navire  »Moldavia » avait dérapé de son mouillage sous l’effet du vent et avait endommagé les installations piscicoles d’une ferme marine, située au large de Juan-les-Pins.

L’équipage n’avait pas pu éviter le choc car la commande d’inverseur s’était cassée. Les juges du fond ont également considéré que cette défaillance mécanique ne constituait pas une faute inexcusable de l’armateur dans la mesure où l’armateur rapportait la preuve de l’état de navigabilité du navire et où la preuve contraire de l’innavigabilité du bâtiment n’était pas démontrée, une telle preuve ne pouvant pas être rapportée par un incident isolé affectant un organe accessoire du navire.

Les tribunaux français savent marquer des limites à leur rigueur (et ses limites se trouvent dans la violation de l’obligation de sécurité). Quand cela leur paraît fondé, ils n’hésitent pas à refuser de voir dans l’erreur commise, voire la carence manifestée par un armateur, une faute inexcusable.

Tout cela va-t-il changer ? Le Professeur Pierre Bonassies opine que « appliquer avec rigueur la notion de faute inexcusable ne saurait affecter un armateur conscient de ses responsabilités138. Demain d’ailleurs, la conception objective qu’a le droit français de la faute inexcusable pourra s’appuyer sur les obligations imposées aux armateurs par le Code ISM139 (demain ou plutôt ce jour même, puisque le Code ISM est applicable à tout navire depuis ce 1er juillet 2002 à zéro heure) (…) le maintien d’une conception exigeante de la faute inexcusable est peut-être l’une des conditions de la survie de l’institution».

« D’ailleurs les arrêts de  »Zulu Sea » et de  »Moldavia » n’apportent pas la conviction que les conclusions présentées ci-dessus peuvent être reformées, d’autant plus que la même Juridiction (la Cour d’appel d’Aix en Provence) a dans son arrêt  »Multitank Arcadia »140 manifesté une extrême rigueur 141». Il demeure que l’on serait tenté de le penser à la lecture de la jurisprudence récente de la Cour de cassation.

En effet, il ne faut pas méconnaitre que l’analyse de la jurisprudence française, la plus récente nous précise que l’exception à la limitation a été interprétée avec plus de rigueur qu’auparavant. La Cour de cassation marquant une certaine réticence142 a refusé de confirmer le concept de la faute inexcusable préconisée par les juridictions du fond dans les affaires des navires  »Mulitank Arcadia »143 et  » Heidberg »144. Certes, les motifs de ce refus ne s’appuient pas sur le fond du litige et en définitive sur la substance de la notion de la faute inexcusable et ses rapports avec l’institution de la limitation.

128 P. Bonassies ibid : « Mais les tribunaux américains, sur le fondement d’autres textes, témoignent de la même rigueur que les tribunaux français».

129 A. Vialard, ibid; V. aussi P. Bonassies, « La faute inexcusable de l’armateur en droit français», préc., p.75 et s. : Cette sévérité s’explique aussi sans doute de la culture juridique dont les juridictions françaises sont imprégnées. En droit français, la règle que chacun doit réparer le dommage causé par sa faute est fortement affirmé par l’article 1382 du Code civil, un texte que le Conseil Constitutionnel a lu comme posant un principe général de valeur constitutionnelle.

130 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité» : DMF 2002, p. 403; P. Bonassies, préc., p. 1085 : Or, c’est certainement la modestie de la limitation qui conduit les tribunaux à adopter une conception très ouverte de la notion de faute inexcusable; A. Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes», DMF 1993, p. 731.

131 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité» : DMF 2002, p. 403.

132 A. Vialard, Droit maritime, PUF, Droit fondamental, 1997, p.133, n° 155.

133 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» publié sur le site personnel de l’avocat, www.isabellecorbier.com de même qu’à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p. 52-69 : Il faut l’admettre : le principe de la limitation de responsabilité est remis en cause, voire battu en brèche.

134 P. Bonassies, op.cit., p.75 et s.; Hors série, Le droit positif en France en 2001, DMF 2002, obs. P. Bonassies.

135 V. également dans le même sens un arrêt de la Cour d’appel de Douai qui a attribue le droit a limitation a l’armateur ayant pris en considération que « le dommage trouve son origine dans une « banale» faute de navigation de son capitaine (simple faute d’imprudence, dit l’arrêt), alors qu’il ne peut être reproché à l’armateur aucune faute inexcusable dans la sélection ou la formation des membres de son équipage ou de son capitaine» ( CA Douai, 17 oct. 2002, navire  »Vasya Korobko » : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard).

136 CA Aix-en-Provence, 5 nov. 1998, navire « Zulu Sea » : DMF 2002, p. 125, obs. P. Simon, B. Coste.

137 CA Aix-en-Provence, 8 juin 2000, navire »Moldavia  » : DMF 2002, p. 132, obs. P. Simon, B. Coste.

138 V. aussi Y. Tassel, préc., no 52 pour une lecture prototype de la Convention de Londres : Si l’on admet que la limitation repose sur le risque de mer, c’est-à-dire sur la considération que le milieu marin aggrave les conséquences de l’erreur humaine, il devient légitime de la laisser s’appliquer encore en cas de faute simple, y compris personnelle à l’armateur (…) Dès lors, on doit écarter l’idée que la réforme de 1976 tient aux excès de la jurisprudence ou à la pression des armateurs et des assureurs. Corrélativement, il convient d’apprécier avec une certaine rigueur la faute inexcusable pour laisser à la limitation un espace encore utile; Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute», DMF 2001, p. 659 : On ne doit pas aller jusqu’à une appréciation purement concrète de cette conscience parce que la faute inexcusable demeure une conduite non intentionnelle et parce que l’on reste en présence d’une responsabilité civile.

139 Cf infra, p.123.

140 CA Aix-en-Provence, 10 oct. 2001, navire « Multitank Arcadia » : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code ISM et la limitation de responsabilité de l’armateur».

141 P. Bonassies, préc. p.75 et s.

142 Y. Tassel, op.cit., no 49.

À l’instar de la faute inexcusable du transporteur maritime dans l’affaire du navire Ethnos, c’est sur la base des motifs procéduraux (défaut de base légale, violation du principe de contradiction) que la Haute Juridiction a écarté les motivations des tribunaux de fond. La question peut donc se poser valablement : ce serait là l’amorce d’une révolution dans l’approche du problème, et la limitation de responsabilité deviendrait véritablement ce droit incassable, appelé de leurs vœux par les rédacteurs des conventions internationales ?

Deux raisons peuvent principalement justifier la légitimité de cet élargissement, l’une tenant à la cohérence des arrêts de la Cour de cassation145 et leur conformité avec le principe « la limitation de responsabilité de l’armateur demeure la règle, le droit commun et la déchéance l’exception »146, principe qui constitue en définitive un des aspects de la spécificité du droit maritime.

L’autre repose sur des considérations d’ordre économique, politique et sociale favorables à l’abandon de l’interprétation in abstracto de la faute inexcusable de l’armateur puisant dans la globalisation de l’économie et dans la mondialisation de la concurrence. En effet, la mondialisation de l’économie et de la concurrence ne peut pas tolérer des différences législatives importantes au regard de questions aussi importantes que celles touchant à la responsabilité. En d’autres termes, ce serait la nature même des choses qui réclamaient l’unité de la discipline147.

« Cette réorientation ne manquerait pas de ressusciter le débat sur la légitimité de la limitation, au regard des montants retenus dans les différents textes qui y font référence. S’agissant de dommages causés à des biens, le plus souvent à des biens assurés, tout est en la matière question d’arbitrage entre les intérêts opposés des armateurs ou transporteurs et ceux des chargeurs ou propriétaires des biens endommagés.

Une limitation incassable n’est acceptable que si les plafonds retenus le sont eux-mêmes. Si tel n’est pas le cas, il se trouvera toujours des avocats pour plaider la faute inexcusable, et des tribunaux pour se rendre à leurs arguments 148». « Une augmentation très sensible devrait être apportée au montant de la limitation».

Certes, les montants de 1976 ont été augmentés par le Protocole de 1996. Cette hausse des plafonds va modifier la rigueur à l’égard de la faute inexcusable ? Le Professeur Pierre Bonassies ne le pense pas : « l’augmentation demeure modeste – sauf pour ce qui est des créances des passagers. Si l’on tient compte, ici aussi, de l’érosion monétaire depuis 1996, les montants prévus par la Convention de 1976 n’ont guère été augmentés que de 50 à 100 % (multipliés par un facteur de 1,5 à 2). Et puis surtout, le Protocole de 1996 n’a été, à ce jour, ratifié que par un petit nombre d’États149».

143 Cass. com., 8 oct. 2003 : navire « Multitank Arcadia » : DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation par le juge de la faute inexcusable»; Hors série, DMF 2004, obs. P. Bonassies, RTD Com.2004, p. 391, obs., Ph. Delebecque.

144 Cass. com., 30 oct. 2007, navire « Heidberg », RD Transp. Comm.11, obs. M. Ndende. V. aussi l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire du navire  »Laura » : « toute faute inexcusable de l’armateur est exclue si son choix a porté sur une personne expérimentée et apte à accomplir les services demandés» (Cass. com. 4 Oct. 2005, navire  »Laura » : DMF 2006, p.118, rapport G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque); et le professeur Philippe Delebecque ajoute quant à faire un rapprochement, dans un sens ou dans un autre, avec la fameuse affaire du « Heidberg», on se permettra, pour l’instant, de nourrir encore un certain doute . Cependant l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux a été censuré.

145 J.-P. Beurier, Droits maritimes, Ouvrage collectif : Coll. Dalloz Action, 2006-2007, M. Ndende, Limitation de responsabilité de l’armateur, p. 407 : L’une de preuve de cette dérive de la faute inexcusable réside dans le fait que la jurisprudence a fini par construire une notion a facettes multiples ou a géométrie variable et qui retient tantôt à la faute personnelle de l’armateur, et tantôt celle de ses navigants et autres préposés. Le retour de la jurisprudence à un minimum d’harmonie et d’orthodoxie est assurément souhaitable.

146 I.Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» publié sur le site personnel de l’avocat, www.isabellecorbier.com de même qu’ à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p. 52-69.

147 M. Rimaboschi, op.cit., p. 213.

148 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire» du droit à limitation de responsabilité», DMF 2000, p. 813.

149 P. Bonassies, préc.p.1085.

150 Il importe sur ce point de souligner qu’en vertu de la jurisprudence Maria Bel (Cass. Com., 28 mai 1991, navire  »Maria-Bel », DMF 1992, p. 665, obs. Ph. Godin et Hors série, Le droit maritime français en 1992, DMF 1993, obs. P. Bonassies), « le fonds de limitation, dans la procédure ouverte par une ordonnance du président du tribunal, est régi par la loi en vigueur, non pas à la date où les dommages ont été causés, ou du dépôt de la requête formée par le propriétaire du navire, mais à la date où l’ordonnance a été rendue». Cette solution comme l’a fait relever le Professeur Pierre Bonassies est favorable pour les victimes en cas de modification législative du montant du fonds. « Si l’armateur tarde a constituer le fonds, le créancier bénéficiera du nouveau montant de la limitation. Il en serait de même si l’ordonnance autorisant la constitution du fonds était reformé en appel. Le juge d’appel devrait calculer le fonds sur la nouvelle base» (P. Bonassies et Ch. Scapel, op.cit., p. 267, no 409).

151 Cette position a été exprimée lors d’une discussion au sujet du contenu de la notion de faute inexcusable, dans le cadre de nos recherches. Elle n’est pas publiée dans de texte.

Il faut donc attendre les arrêts des cours de renvoi de même que les décisions à venir de la Cour de cassation150. Sur ce point, nous tiendrions à mettre en exergue l’opinion du Professeur Philippe Delebecque qui estime que la cour d’appel de renvoi va, dans sa décision qui sera rendue dans l’année prochaine, retenir une conception de la faute inexcusable moins sévère, accordant ainsi à l’armateur le droit à limiter sa responsabilité : « en effet, l’armateur était en l’espèce assez prudent pour l’en priver»151.

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