Les éléments de la faute inexcusable de l’armateur

Les éléments de la faute inexcusable de l’armateur

Deuxième partie

La mise en place de la faute inexcusable et ses conséquences

Cette deuxième partie de notre étude sera entièrement consacrée à ce que le Professeur Pierre Bonassies avait appelé « la limitation de responsabilité de l’armateur face à la faute inexcusable». Nous allons dès lors examiner en premier lieu comment la jurisprudence française conçoit le concept de l’article 4 de la Convention de Londres, intitulé conduite supprimant la limitation, c’est à dire la faute inexcusable de l’armateur.

Ensuite nous allons analyser l’impact de cette conception de la faute inexcusable sur le droit à limitation de l’armateur et finalement nous allons s’interroger si cette conception est tenable sous l’éclairage notamment de la modestie des montants de limitation et des dispositions du Code ISM (Chapitre 1).

En deuxième lieu nous allons étudier comment le rôle de la faute inexcusable dans l’institution de la limitation de responsabilité se concrétise par l’entremise de la procédure de la limitation et ensuite nous allons de scruter les effets que l’admission de la faute inexcusable a sur les droits de l’armateur (Chapitre 2).

Chapitre 1 : la conception jurisprudentielle de la faute inexcusable de l’armateur et ses incidences sur l’institution de la limitation de responsabilité

La Convention de 1976 était constamment présentée, pour le moins dans les ambitions de ses rédacteurs comme un texte de transaction : les armateurs ont accepté une augmentation des plafonds de limitation en contrepartie de la règle de l’article 4 de la cause de déchéance du droit à limitation qui témoignait intention de créer un droit de limitation incassable1. Telle ne semble pas être la volonté de la jurisprudence française qui, pour traduire la périphrase de l’article 4, adopte le concept de la faute inexcusable et elle s’oriente, en opérant un rapprochement avec sa vieille jurisprudence en droit du travail et sa jurisprudence récente en droit des transports, vers une interprétation ouverte de celle-ci, d’où la rigueur à l’égard de l’armateur. Pour les tribunaux français, la notion de faute inexcusable n’est en rien une barrière infranchissable, elle n’est en rien « unbreakable».

La sévérité, ici manifeste, de la jurisprudence paraît s’exprimer par l’entremise des éléments qui composent la notion de la faute inexcusable. C’est donc pour ça qu’il convient de nous attacher à l’analyse de ces éléments de la faute inexcusable (Section 1), avant de nous pencher sur les interférences du concept français de la cause de déchéance du droit à limitation sur l’institution traditionnelle de la limitation de responsabilité de l’armateur de même que sur la question de savoir si ce concept est tenable (Section 2).

Section 1 – Les éléments de la faute inexcusable de l’armateur

La faute inexcusable de l’armateur se définit dans l’article 4 de la Convention de Londres sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, repris en termes identiques par l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967, comme tout fait ou toute omission personnels commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

Il résulte de cette définition textuelle que la notion de faute inexcusable se compose de trois éléments. Trois sont les caractéristiques qui doivent se réunir pour déboucher sur la qualification du comportement de l’armateur de faute inexcusable. Il faut tout d’abord un acte ou une omission fautifs, à savoir la violation d’une obligation (appartenant à l’armateur) ou d’un devoir qui n’est pas justifiée par une cause de non imputabilité et qui est à l’origine du dommage (§1).

1 E. Somers, « Effects of ISM on the Limitation of Liability : the End or a New Beggining, International Maritime Conference on International Safety Management Code (ISM) and Maritime Competition», D. eur. Transp. 1999, p.38 : « Under the LLMC ’76 Convention breaking limitation is much harder task in exchange for which shipowners acepted much higher limits of liability (…) The degree of proof is substantially higher under the LLMC Convention. Cases of intentional loss will be rare and claimants must show recklesness which is more than carelessness. This makes extremely difficult to break limitation».

2 C’est nous qui soulignons.

3 V. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 280 no 428 et s. et « La faute inexcusable de l’armateur en droit français», préc., p. 75 et s.; D. Christodoulou, « L’impact du Code ISM sur la règle de la limitation de responsabilité et en particulier sur les conditions pour une indemnisation complète du dommage éprouvé», Quatrième conférence du droit maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international.

Ensuite le fait ou l’omission qui se trouve à l’origine du dommage doit être attribuable personnellement à l’armateur (§2) et enfin il faut que le dommage causé par le fait ou l’omission personnels de l’armateur soit commis témérairement mais avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablemen t 2 (§3), élément qui permet au juge de mesurer la gravité de la carence de l’armateur et l’intensité de sa faute3.

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