Office des brevets laxiste, Environnement du Patent Trolling

Office des brevets laxiste, Environnement du Patent Trolling

§2. Un Office des brevets laxiste

Les Offices des brevets examinent les inventions qui leur sont soumises sur base des critères de brevetabilité – nouveauté, activité inventive et application industrielle – et délivrent, le cas échéant, des brevets. Leur rôle est crucial et leur mission doit être remplie avec le plus grand professionnalisme car les conséquences d’un brevet accordé pour une technologie déjà existante, ou portant sur une invention trop large, par exemple, peuvent être désastreuses.

Malheureusement, les Offices des brevets sont tributaires de facteurs organisationnels, de ressources financières limitées et d’un personnel qui, parfois, commet des erreurs. Ainsi, des « mauvais brevets » sont quelques fois accordés et les conséquences sur le bien-être global et l’innovation, parfois néfastes.

Ces problèmes sont plus aigus aux Etats-Unis pour un certain nombre de raisons. Parallèlement à l’élargissement du champ de brevetabilité, le nombre de demandes traitées par l’Office américain des brevets, l’USPTO, a considérablement augmenté. On le constate sur la figure 1, ci-dessous, les demandes de brevet ont commencé à croître fortement à partir de 1980, peu après l’arrêt Diamond v. Chakrabarty, évoqué supra.

Ainsi, le nombre de demandes a augmenté mais les ressources humaines de l’Office n’ont pas évolué en proportion. Un tel état de fait a pour conséquences un allongement des délais de délivrance99 ainsi qu’une diminution du temps alloué à l’examen de chaque demande, ce qui accroît le risque que des « mauvais brevets » soient délivrés100. En moyenne, seules dix-huit heures sont accordées à l’examen de chaque demande. Cette durée comprend la lecture de la demande, la recherche et la lecture de l’état de la technique, la comparaison de ce dernier avec la demande, la rédaction de documents internes, une éventuelle interview avec le demandeur et la vérification formelle des diagrammes et demandes.

Nombre de Demandes de Brevet et de Brevets délivrés par année

Figure 1 : Nombre de Demandes de Brevet et de Brevets délivrés par année101

De plus, les examinateurs de brevets sont soumis à un système d’évaluation de la performance qui récompense non pas la qualité des brevets délivrés mais bien la quantité102. P. Merges pointe également une rotation importante de personnel qui conduit à un manque d’examinateurs seniors et à une formation inadéquate des nouvelles recrues.

Enfin, une augmentation substantielle du nombre de demandes de réexamen103, stimulée par le coût relativement peu élevé d’une telle procédure comparé à celui d’une action en justice, a également alourdi la tâche du personnel de l’USPTO.

En Europe, la doctrine104 considère généralement que l’Office européen des brevets (OEB) réalise un travail de meilleure qualité.

§3. Des frais de justice importants

Les patent trolls sont d’autant plus susceptibles de prospérer que les frais de justice, au sens large, sont importants. Le défendeur préférera trouver un accord avec le troll tant que les royalties demandées par le troll pour la licence d’exploitation sont inférieures à l’ensemble des coûts qu’engendrerait une action en justice.

RoyaltiesE (Coût total d’une action en justice)
E (Frais de justices)
+E (Dommages et intérêts) * P (Condamnation assortie de dommages et intérêts)
+E (Injonction de cessation) * P (Condamnation assortie d’une injonction de
cessation)105

où E est l’Espérance mathématique et P, la Probabilité.

Seul le membre de gauche, les royalties, de cette inéquation peut être connu ex ante : il s’agit soit de la demande du troll soit du montant que les parties ont atteint par la voie de la négociation.

Par contre, les frais de justice consisteront en une estimation grossière car les litiges ayant trait à la propriété sont souvent longs et incertains. Ceux-ci comprennent, entre autres, les frais d’avocats, qui représentent un montant très important pour la plupart des défendeurs, surtout aux Etats- Unis, où les professionnels de la propriété intellectuelle sont grassement rémunérés, souvent sur base d’un pourcentage sur les dommages accordés, le cas échéant, à leur client.

De plus, il est bon de préciser que, toujours aux Etats-Unis, la règle bien connue chez nous106 du loser pays n’est pas d’application107. Ainsi, chaque partie supporte ses propres frais de justice, quelque soit l’issue du litige. En 2009, les coûts moyens estimés d’un litige ayant trait à un brevet se montaient, aux Etats-Unis, à trois millions de dollars et à cinq millions en cas d’appel108. Pour une entreprise à la santé financière fragile ou pour un inventeur individuel, dépenser de tels montants est littéralement impossible. En Europe, les coûts des litiges sont, en apparence, plus raisonnables :

200.000 euros en France et aux Pays-Bas, 250.000 euros en Allemagne et 1,5 millions d’euros au Royaume-Uni, en première instance109. Cependant, le fait qu’il n’existe, à ce jour, pas de véritable brevet européen unifié110, peut parfois augmenter les frais de justice de manière considérable : le litige doit, en effet, être porté devant chaque juridiction nationale.

En ce qui concerne les probabilités, tant celle d’essuyer une condamnation à payer des dommages et intérêts que celle ayant trait à une injonction de cessation, elles sont très difficiles à estimer, d’autant plus que le brevet litigieux est vague. Cette difficulté est renforcée par le recours de plus en plus fréquent au mécanisme du jury, par l’absence de précédents dans le domaine et par le tribunal choisi par le demandeur.

Il reste à estimer le montant des dommages et intérêts; encore une tâche bien ardue, voire impossible à réaliser ex ante. De plus, ce montant est susceptible d’être multiplié par trois si le caractère volontaire de la contrefaçon est établi : il s’agit des treble damages, évoqués supra. Quant au coût qu’engendrerait une injonction de cessation, on peut le modéliser comme le manque à gagner qu’encourrait le contrefacteur s’il ne pouvait plus commercialiser les produits protégés par le brevet.

97 Selon ce test, un procédé est brevetable (1) s’il est implémenté dans une machine particulière, conçue et adaptée pour réaliser ledit procédé d’une manière non conventionnelle et non triviale; ou (2) s’il transforme un produit ou chose d’un état à un autre.

98 Voyez la concurring opinion du juge Stevens et celle du juge Breyer.

99 Selon David Kappos, le directeur de l’USPTO, le backlog s’élevait en mai 2010 à 1,7 millions de demandes. E. PERROTT, « USPTO Backlog Reaches 1.7 Million », Intellectual Property Brief, 29 mai 2010, http://www.ipbrief.net/2010/05/29/uspto-backlog-reaches-1-7-million/ (consulté le 2 août 2010).

100 M. A. LEMLEY, « Rational Ignorance at the Patent Office », Northwestern University Law Review, 2001, vol. 95, n° 4, p. 2.

101 UNITED STATES PATENT AND TRADEMARK OFFICE, U.S. Patent Statistics Chart Calendar Years 1963-2009, http://www.uspto.gov/web/offices/ac/ido/oeip/taf/us_stat.htm (consulté le 7 août 2010). Un brevet délivré l’année n représente une demande introduite, en moyenne, en n-2,5.

102 R. P. MERGES, « As many as six impossible patents before breakfast: property rights for business concepts and patent system reforms », Berkeley Technology Law Journal, 1999, vol. 14, p. 609. Voyez également sur le système de performance ainsi que des propositions de réformes UNITED STATES DEPARTMENT OF COMMERCE, « United States Patent and Trademark Office – USPTO Should Reassess How Examiner Goals, Performance Appraisal Plans, and The Award System Stimulate and Reward Examiner Production », 2004, http://www.docs.piausa.org/GAO-Report- On-PTO-IPE-15722-09-04.pdf (consulté le 8 juillet 2010).

103 Voyez Annexe III.

104 Voyez, entre autres, D. GUELLEC et B. VAN POTTELSBERGHE DE LA POTTERIE, The Economics of the European Patent System – IP Policy for Innovation and Competition, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 203.

105 Cette formule consiste en une adaptation de celle proposée dans J. M. GOLDEN, « “Patent Trolls” and Patent Remedies », Texas Law Review, 2007, vol. 85, p. 2127.

106 En Europe, par contre, cette règle s’applique. Il conviendrait, donc, dans le cas européen, d’adapter la formule en multipliant l’espérance des frais de justices par la probabilité d’une condamnation.

107 Sauf cas exceptionnel, 35 U.S.C. § 285.

108 R. D. MARGIANO, « US – Litigation: Cost and duration of patent litigation », Managing Intellectual Property, http://www.managingip.com/Article/2089405/Cost-and-duration-of-patent-litigation.html (consulté le 9 juillet 2010).

109 S. CASTONGUAY, « Coût des litiges de propriété intellectuelle », Magazine de l’OMPI, 2010, n° 1, p. 12.

110 Voyez l’Annexe II.

Le recours à un arbitre, en la personne du juge, est donc entravé par une série de barrières, principalement financières, qui conduisent souvent le défendeur à préférer la voie de l’accord, hors des Cours et tribunaux, même s’il a objectivement de sérieuses chances de voir son point de vue favorablement entendu.

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