Droit de brevet : efficacité statique et efficacité dynamique

Droit de brevet : efficacité statique et efficacité dynamique

Section 2

Entre efficacité statique et efficacité dynamique

Une invention est le produit de l’ingéniosité d’un esprit humain et cette création de l’esprit peut être assimilée à une production d’information, de connaissance.

Avec P. Belleflamme et M. Peitz25, nous pouvons considérer que les activités génératrices d’information souffrent de trois sources de défaillance de marché, qui génèrent un problème d’appropriabilité : (1) incertitude; (2) indivisibilités; et (3) externalités.

En ce qui concerne les décisions d’investissement dans des projets de recherche et développement, la gestion du risque est capitale. Ces projets sont, en effet, frappés d’une incertitude, plus ou moins importante, tant technologique que commerciale, et les décisions d’investissement sont toujours liées à celles ayant trait à la gestion du risque.

Les séparer est pratiquement impossible à cause du hasard moral qui apparaît lorsque le transfert du risque porte préjudice à l’efficacité de l’investissement : l’échec est-il la conséquence d’un manque d’effort et/ou d’investissement ou est-il simplement le produit d’une certaine malchance ?26 Cet état de fait mène souvent à un sous-investissement.

La présence d’indivisibilités contribue également au problème d’appropriabilité de la connaissance. La création de connaissance suppose d’importants coûts fixes et présente des économies d’échelle engendrées par la division d’un travail hautement spécialisé. Combinées au caractère discret de l’information, ces deux caractéristiques entraînent souvent des coûts marginaux de production inférieurs aux coûts moyens, ce qui rend la tarification au coût marginal impossible d’un point de vue économique.

Restent les externalités. On peut définir une externalité comme un effet, positif ou négatif, que l’activité d’un agent a sur un autre agent, « sans qu’aucun des deux ne reçoive ou paye une compensation pour cet effet »27. La connaissance et l’information sont, par nature, des biens publics purs et leur production génère des externalités.

Un bien public est non-rival; il sera dit « pur » lorsqu’il est également non-exclusif. Tout d’abord, l’information est non-rivale. Son utilisation par un agent n’empêche pas son utilisation par un autre agent. En d’autres termes, le coût marginal engendré par l’utilisation d’un agent supplémentaire est nul et ce, quel que soit le niveau de production. Par conséquent, lorsqu’un producteur fait payer au consommateur l’utilisation de son produit ou service, la consommation est inutilement rationnée.

Ensuite, l’information est non-exclusive. Ainsi est-il impossible d’exclure quiconque de l’utilisation du bien même s’il ne participe pas au coût de production de celui-ci. Pour le producteur, la capacité d’exclusion est fondamentale car, en l’absence de celle-ci, il ne peut réaliser aucune vente, et, partant, aucun profit. Par conséquent, il préférera ne pas produire et le risque de sous-production est alors élevé.

Ces trois défaillances de marché – incertitude, indivisibilités et externalités –, engendrent un problème d’appropriabilité. Si les innovateurs ne peuvent s’approprier totalement le fruit de leur travail, il est probable que cela affecte négativement leurs efforts de recherche. Ainsi, si le marché ne fournit pas d’incitants suffisants à l’innovation, la production d’information sera vraisemblablement insuffisante et les conséquences sur le bien-être global seront négatives.

Pour résoudre ce problème, la puissance publique peut soit restreindre l’exploitation de la connaissance, soit en augmenter le rendement attendu en réduisant les coûts de production. Dans le premier cas, l’usage des droits de la propriété intellectuelle est un moyen potentiel. Dans le second, le subside est le mécanisme le plus évident.

La propriété intellectuelle résout les problèmes de sous-production et de sous-utilisation de manière séquentielle. En conférant un droit exclusif d’exploitation à l’inventeur, le droit de la propriété intellectuelle fournit les incitants nécessaires à l’investissement dans la recherche; en conférant ce droit pour une période de temps limitée, il assure une diffusion suffisante du produit de la recherche. Dans un premier temps, ce droit rend le bien exclusif : les consommateurs paient au producteur des royalties pour bénéficier du produit ou service. Dans un second temps, le bien tombe dans le domaine public et les utilisateurs en bénéficient au coût marginal28.

cité dans S. SUBRMANIAN, « Different Rules for Different Owners: Does a Non-Competing Patentee Have a Right to Exclude? A Study of Post-Ebay Cases », CCP Working Paper, 2007, n° 07-18, p. 10.

24 Loi du 28 mars 1984 sur les brevets d’invention, art. 53, op. cit. et 35 U.S.C. § 283.

25 P. BELLEFLAMME et M. PEITZ, Industrial Organization : Markets and Strategies, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, pp. 506-507

26 P. BELLEFLAMME, « L’économie de la propriété intellectuelle. Introduction et description du contenu », Reflets et perspectives de la vie économique, 2006, vol. XLV-2006/4, p. 6.

27 D. HENRIET, « Externalité, économie », Encyclopaedia Universalis, 2010.

28 Pour une modélisation économique du mécanisme, voyez l’Annexe I.

Le droit de la propriété intellectuelle réalise donc un équilibre entre des considérations d’efficacité dynamique et des considérations d’efficacité statique. D’abord, inciter à la recherche; ensuite, assurer une diffusion correcte de ses résultats. Cet équilibre est nécessairement imparfait : dans la première phase, la protection génère un « poids-mort »29 pour la société dans son ensemble alors que, dans la seconde, l’innovateur perd ses royalties, ce qui peut engendrer un sous- investissement ultérieur dans la recherche.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top